La réserve botanique de la Chute de la Madeleine Propositions de mesures urgentes pour la préservation du site (1994)

chutes de la Madeleine

Résumé : La Rivière des Lacs, et en particulier la Chute de la Madeleine est un site tout à fait exceptionnel, sur le plan mondial. Aujourd’hui (1994), par manque de mesures concrètes de préservation des espèces qui y vivent, ce site risque d’être définitivement dégradé sous la pression du public. Après un état des lieux, nous proposons un ensemble de mesures afin d’en assurer sa réhabilitation et sa survie.

Situation géographique et caractéristiques du milieu.

Situation géographique

"Le site de la Chute de la Madeleine est situé sur la bordure Nord – Nord/Ouest d’un ensemble topographique connu en Nouvelle-Calédonie sous le nom de Plaine des Lacs.
Cet ensemble comprend une plaine se situant entre 240 et 260 mètres d’altitude et culminant à 600 mètres au Pic du Pin. La Plaine des Lacs est drainée par la Rivière des Lacs qui prend sa source dans le Lac en 8, franchit la ride Nord de la plaine par une chute d’un dénivelé de près de 10 mètres : la Chute de la Madeleine, puis se jette dans le Lac du barrage de Yaté… " ( Jaffré 1988)

Caractéristiques physiques du milieu

« Le substrat géologique est formé de péridotites et les sols sont de nature ferrallitique ferritique. Ils sont caractérisés du point de vue chimique par des teneurs très faibles en tous les éléments majeurs, excepté le magnésium et des teneurs élevées en fer et en chrome ; Les concentrations en nickel et en manganèse sont également supérieures à la normale dans les horizons de faible profondeur. La Plaine des Lacs reçoit entre 2500 et 3000 mm de pluie par an… » (Jaffré 1988)
A noter qu’une partie importante de la Réserve subit régulièrement des inondations, en particulier en saison cyclonique. Seul un couvert végétal homogène est alors en mesure de protéger les sols fragiles contre une érosion rapide.

Spécificités biologiques : la flore et la faune

« La végétation de la Chute de la Madeleine appartient au maquis minier qui regroupe un ensemble de formations sclérophylles, sempervirentes et héliophiles arbustives plus ou moins buissonnantes ou ligno-herbacées à strates Cypéracéennes denses » ( Jaffré 1980)
Le maquis est dominé par le bois de fer de montagne associé à d’autres espèces plus communes comme les kaoris de montagne, les chênes gommes.
Le sol est couvert de cypéracées robustes ayant l’aspect de grandes herbes et de fougères. Sur les sols les plus nus, on constate la présence de lichens.
A quelques centaines de mètres de la Chute, on observe les restes d’une ancienne forêt primaire avec la présence sur le sol de troncs de tamanous géants ( 1,50 m de diamètre). Actuellement une forêt secondaire s’est reconstituée, mais elle reste menacée par les feux.
Outre les végétaux communs à ce type de sols, on rencontre dans la région de la Madeleine des végétaux endémiques rares :

  • Le Néocallitropsis pancheri, une espèce relique qui subsiste aussi dans quelques rares endroits du sud de la Grande Terre. Cet arbre a été exploité pour une huile essentielle.
  • Le Nageia minor (bois bouchon). Cet arbre pousse dans les petites anses de la rive, sur sol instable. Il est fortement menacé au niveau de la Chute par l’érosion des rives et le vandalisme de certains promeneurs.
  • Le Dacrydium guillaumini. Il est réputé être le conifère le plus rare du monde ». ( Schneckenbürger 1991)

A cette végétation peu ordinaire, on peut aussi ajouter une flore et une faune aquatique particulière, comme une fougère poussant sous 4 mètres d’eau, une plante carnivore sous-marine, et d’autres plantes aquatiques dont une éponge et un lichen d’eau douce. On y trouve une crevette endémique mais la palme de l’originalité revient au poisson fossile dont l’origine remonte au Gondwana ( 135 millions d’années) : le Nésogalaxia.
Pour conclure, citons encore Jaffré :
« Un inventaire a permis de dénombrer 168 espèces de phanérogames et de fougères appartenant à 53 familles. Près de 95% de ces espèces sont des endémiques néo-calédoniennes, et une vingtaine sont localisées à l’extrême Sud de la Grande Terre…Le site de la Madeleine est, sur le plan botanique, tout à fait exceptionnel à cause de :

  • La richesse et la diversité de sa flore
  • La forte concentration de flore primitive
  • La présence de nombreuses espèces à distribution restreinte souvent rares et à biologie particulière ». A noter que la Réserve contient 8 espèces de conifères endémiques au Territoire.

Le classement du site

Situation avant le classement :

Longtemps avant sa mise en réserve, le site a dû subir de multiples dégradations. Il est difficile aujourd’hui d’en évaluer l’impact. On peut toutefois citer :

  • L’exploitation forestière a certainement contribué à la dégradation de la « nature forestière de la végétation climacique » ( jaffré 1988). De plus, chacun sait que l’exploitation forestière autrefois était pratiquement toujours accompagnée de feux dans le « Grand Sud ».
  • L’exploitation de Néocallitropsis pancheri pour l’extraction de son huile essentielle aujourd’hui encore recherché en parfumerie (Raharivelomanana 1993) a connu officiellement en 1958 des rendements records. (Boulet 1988) malgré l’interdiction de coupe de bois vert de cette essence par arrêté n° 860, le 8/9/1942 (Cherrier 1980)
  • La fréquentation du site par les promeneurs attirés par le spectacle de plantes étranges ou les possibilités de baignades qu’offre la Chute de la Madeleine, avait déjà entraîné la mise à nu du sol dans les endroits les plus fréquentés par piétinement ou passages de véhicules tous-terrains, ainsi que la dégradation des végétaux par vandalisme ou pour se procurer du bois de feu.
  • La pression des « feux de brousse ». En l’absence totale d’une lutte active contre les incendies, la fréquentation croissante des lieux a probablement multiplié les débuts de feux. Cependant, l’importance des feux a sûrement diminué, suite à la dégradation progressive de la végétation, à son caractère peu dynamique et aux pistes de 4x4 morcelant le couvert végétal
  • Il est probable que les campements militaires ont eu sur le milieu un impact encore plus musclé.

Le statut de la Réserve

Depuis les années 70, quelques personnes conscientes de la valeur inestimable du patrimoine naturel de la Madeleine ont souhaité ou demandé le classement de ce site.
La mise en réserve aurait dû le garantir contre les feux, lui apporter une protection des sols et un contrôle du ruissellement, considéré comme un danger pour la végétation riveraine, et bien sûr, une protection des végétaux inhérente à toute réglementation pour une réserve botanique.
« Des mesures d’aménagements adaptés, tenant compte des caractéristiques écologiques très particulières du milieu » étaient évoquées par Jaffré en 1988. Les demandes de classement étaient toutes sous-tendues par le souci de protéger le site et les espèces qu’il renferme contre les impacts humains.
Par la Délibération n° 39-90/APS du 28 mars 1990, la Province Sud décide le classement du site de la Madeleine, en « Réserve spéciale botanique », sur une surface d’environ 400 hectares, dans le but d’assurer la protection et la conservation de la flore… »
L’article 3 stipule :

  • « la cueillette, l’enlèvement, les déplacements ou les récoltes de tout minéral ou végétal ou partie de végétal sont interdits sur toute l’étendue de la réserve.
  • La circulation des véhicules automobiles et autres engins à moteur en dehors des chemins balisés à cet effet est interdite. »

Article 4 : « Des autorisations permettant de déroger totalement ou partiellement aux interdictions posées ci-dessus aux fins d’études ou de recherches scientifiques, ainsi que pour des raisons tenant à la nécessité de rétablir l’équilibre des espèces ou à la conservation du site naturel, pourront être accordées par le Président de la Province… »

Développement après la mise en réserve

Le Service Provincial de l’Environnement semble avoir calqué la gestion de cette Réserve sur celle de la Rivière Bleue. A noter toutefois que la signalisation est encore moins conséquente, que l’information du public sur les spécificités du site est inexistante, qu’aucune mesure de réhabilitation n’y a été appliquée. On ne peut que constater que l’administration a participé activement à l’accélération de la dégradation du site par :

  • L’ouverture à l’aide d’engins lourds, d’une piste d’accès jusqu’au bord de l’eau
  • Des travaux de terrassement pour la construction de plates-formes, bouleversant le profil du sol et favorisant le ruissellement et l’érosion,
  • L’apport de matériaux étrangers : différentes sortes de gravier, béton, bois traité etc..
  • Construction de toilettes avec une fosse septique qui draine apparemment dans le sol de la réserve
  • Construction de paillotes, destinées à accueillir plus de visiteurs, correspondant davantage aux besoins d’un parc de loisirs que d’une réserve botanique
  • L’aménagement de coins de feu, incitant le public à récolter le bois de feu nécessaire à ses grillades dans la réserve
  • La plantation d’arbres exotiques, des flamboyants qui heureusement végètent et le projet de planter dans un avenir proche d’autres arbres à ombrage.

L’intention affichée de la Province est de faire de la Madeleine une annexe de la Rivière Bleue, en infraction avec la réglementation de ce site. Comment dans ces conditions, pourrait-elle imposer le respect de cette même réglementation au public ?
Des installations mal entretenues, un bloc sanitaire sale, des coins de feu envahis par une végétation de graminées que personne n’enlève, en contact avec des peuplements de Néocallitropsis, véritable dispositif de mise à feu, donnent à l’ensemble un aspect bas de gamme qui n’invite pas le public à se montrer très respectueux du site. De fait, on se retrouve très loin de l’objectif fixé.

Etat des lieux actuel et risques prévisibles (en 1994)

Etat des lieux actuel

De toute évidence, le site est aujourd’hui beaucoup plus fréquenté qu’avant sa mise en réserve. Toutefois, l’aménagement du site destiné à favoriser l’accueil de visiteurs, en l’absence de mesures réelles de protection des espèces n’a qu’accentué les dégradations signalées précédemment : déstabilisation du sol, développement de l’érosion dû au piétinement et à la circulation automobile, destruction des plantes, coupe du bois pour le camping, ( Les Nageia minor semblent particulièrement affectés par le recouvrement de matériaux provoqué par l’érosion), apport d’engrais sous forme de carbonate de calcium provenant de béton instable, engrais humains laissé par ceux qui ne se servent pas des toilettes
Nous avons pu constater par ailleurs la présence de différentes graminées, de Triumfetta sp., d’Ageratum sp, de Polygala paniculata. Nous nous sommes même permis d’arracher en passant nombre de jeunes Pinus provenant d’un projet de « reboisement » abandonné, près de la réserve. Nous n’avons pas pu examiner l’état de la faune aquatique.

Risques prévisibles

Compte tenu des intentions exprimées par le !e service de l’Environnement de la Province, et vu la dynamique des dégradations, le pire est à craindre :

  • Anéantissement total des espèces végétales rares sur le site,
  • Invasion de plantes exotiques (Pinus….)
  • Développement de plantes pionnières banales au détriment des formations végétales à faible dynamique
  • Turbidité croissante de la rivière due à l’érosion qui risque d’affecter la végétation et la faune aquatiques.
  • Risques accrus de destruction du site par le feu en période de sécheresse, par l’absence de moyens de lutte organisés contre l’incendie.

L’écart qui sépare les bonnes intentions de l’administration, notamment lors de conférences internationales (Action stratgy for protected Areas in the South Pacific Région, 1985) et les réalités du terrain est plutôt décourageant.

Propositions pour une gestion appropriée de la Réserve

Sur le plan juridique, la réglementation en vigueur est parfaitement adaptée. Elle doit simplement être appliquée intégralement et les moyens de lutte contre les feux doivent y être considérés comme une priorité. La tentative de la Province Sud qui consiste à transformer la Réserve botanique en parc de loisirs est un défi au bon sens qui n’est pas à l’abri d’une suite juridique.

Diminuer la pression humaine sur la Réserve.


Au moins périodiquement, une réglementation de l’accès à la Réserve doit être envisagée, renforcée éventuellement par des clôtures aux endroits sensibles. Les pistes automobiles à l’intérieur de la Réserve doivent être fermées. Autour de la Réserve, une signalisation appropriée devrait être installée. Des chemins pour piétons exclusivement pourraient être aménagés et ne devraient pas être quittés par les visiteurs. La nécessité d’une réglementation de la baignade est à étudier.


Des alternatives touristiques


S’il est vrai que le Parc de la Rivière Bleue arrive à saturation, comme l’avance la Province, il convient effectivement de proposer aux citadins de nouveaux pôles d’attraction dans la nature.

  • La vallée de Dumbéa, proche de Nouméa et très accessible offre de nombreuses possibilités de baignade et de loisirs. Malheureusement, aujourd’hui cette vallée n’est pas attractive, car elle est relativement sale et la route est en très mauvais état. Des aménagements appropriés et une gestion rationnelle pourraient en faire un site agréable.
  • Le parc de la Ty, encore plus près de Nouméa, qui était avant les évènements de 84 un lieu de promenades, de pique-nique ou de baignade très prisé pourrait peut-être le redevenir, avec l’accord des responsables coutumiers et si les populations de Saint Louis étaient associées au projet et pouvaient bénéficier de retombées économiques sous forme d’emplois par exemple.
  • L’aménagement d’espaces verts en milieu urbain pourrait également sédentariser une partie de la population et offrir une alternative aux zones sauvages qui n’ont pas nécessairement une vocation touristique.

La réhabilitation du site de la Chute de la Madeleine


Une réhabilitation du site était déjà proposée par Jaffré en 1988, mais elle n’a jamais été réalisée. Aujourd’hui la dégradation du site rend la réhabilitation encore plus urgente. Une partie des dégâts sera probablement irréparable et la tâche sera difficile et coûteuse. Elle ne pourra être menée à bien que par une équipe encadrée par des scientifiques, des botanistes, des pédologues, des hydrologues, soutenue par le monde associatif, et « last but not least », le public qui doit être soigneusement informé.
Nous sommes tentés de considérer la préservation des espèces et de façon générale, du patrimoine naturel, au-dessus de tout calcul économique à court terme. La sauvegarde de ce site exceptionnel à l’échelle mondiale serait aussi une réussite sur le plan socio-culturel en Nouvelle-Calédonie.
Dans l’immédiat et sous réserve d’études plus approfondies, nous proposons les travaux suivants sur le terrain :

  • Le nettoyage du site de tout matériel exotique, instable, susceptible d’intervenir directement ou indirectement dans un processus biologique (béton, bois traité, gravier, fosses septiques, ordures…)
  • L’éradication des plantes exotiques envahissantes
  • Le contrôle du ruissellement (éventuellement par la mise en place de mini-barrages filtrants en pierre), de la zone.
  • La réhabilitation biologique du sol dégradé par un « mulching » utilisant de la litière prélevée après étude botanique dans la zone, accompagnée de l’arrêt immédiat de piétinement
  • La plantation prudente d’arbres et d’autres plantes, d’espèces présentes sur le site, afin de revégétaliser et stabiliser les endroits les plus dégradés
  • L’aménagement de sentiers pédestres d’une manière adaptée et durable sans favoriser le ruissellement et l’érosion, par exemple en pavés de pierres de la zone, avec un étiquetage des plantes le long des sentiers
  • L’aménagement d’un parking avec toilettes suffisamment loin du périmètre le plus sensible de la réserve
  • L’aménagement adapté et durable d’un point de vue à l’intérieur de la réserve, éventuellement sur l’une des plates-formes existantes, afin de permettre au public de se reposer et de contempler le paysage. A cet endroit pourrait également être installé un panneau explicatif afin de sensibiliser, d’informer et de responsabiliser le public.


Considérations générales sur la gestion des réserves naturelles en Nouvelle-Calédonie

Les problèmes évoqués autour de la Réserve de la Chute de la Madeleine sont symptomatiques d’un malaise plus général. Le Service de l’Environnement pour y faire face semble désespérément démuni et sous-équipé de plus d’une manière. Même un minimum de protection n’est pas assuré pour la plupart des réserves ; en fait elles n’existent que sur le papier. Les feux s’y propagent librement, on pratique la chasse et des sports mécaniques dans les réserves intégrales, on coupe du bois, on cherche des plantes dans les réserves botaniques….
On ne discerne pas de volonté manifeste pour conserver activement le patrimoine naturel. Seuls des intérêts autres, tels que le tourisme et le sport semblent être les mobiles de ce qui est entrepris dans ce domaine. La Réserve de la Madeleine est une illustration de cette dérive.

 Bibliographie

BOULET M. 1988 – La production forestière en Nouvelle-Calédonie. Publication du Service des Forêts et du Patrimoine naturel, Nouméa
CHERRIER JF 1980 – Néocallitropsis pancheri, famille des Cupréssacées. CTFT, Nouméa
JAFFRE T, 1980 – Etude écologique du peuplement végétal des sols dérivés de roches ultrabasiques en Nouvelle-Calédonie.
JAFFRE T. : Végétation et flore de la Chute de la Madeleine (Etude en vue d’une proposition de mise en réserve) Laboratoire de Botanique. ORSTOM Avril 1988
JAFFRE, VEILLON JM. Et CHERRIER JF 1987 – Sur la présence de deux Cupressacées, Néocallitropsis pancheri (Carr.) Laubenf. Et Librocedrus austrocalédonica Brongn. Et Gris, dans le massif du Paéoua et localités nouvelles de Gymnospermes en Nouvelle-Calédonie. Bul. Mus. Hist. Nat. Paris 4è sér. 9, section B, Adansonia n°3 : 273-288
RAHARIVELOMANANA, P et al, 1993 – Volatile Constituents of Néocallitropsis pancheri ( Carrière) de Laubenfels Heartwood Extracts ( Cupressaceae) J Esset Oil Res. 5, 587-595
SCHNECKENBURGER. S. 1991 – Neukaledonien Pflanzenwelt einer Pazifikinsel. Palmengarten. Frankfurt am Main.
VEILLON JM. 1981 – Réhabilitation de l’espèce Blechnum francii Rosenstock, fougère aquatique de la Nouvelle-Calédonie, Bull. Mus. Nat. Hist. Nat Paris 4è série 3, section B Adansonia n°2 :241 – 247
Action Strategy for Protected Areas in South Pacific Region. The Third South Pacific National Parks and Reserves Conference, Apia. South Pacific Commission. Nouméa. 1985