En décembre 2019 le Congrès de Nouvelle Calédonie a voté à l’unanimité un vœu de déclara on d’urgence climatique et environnementale. Nous ne pouvons donc que nous réjouir que le gouvernement, 4 ans après, décide enfin d’adopter une “stratégie calédonienne du changement climatique”. Reste à voir comment cette stratégie se traduira dans un avenir proche en actions concrètes sur le terrain.
1. La stratégie calédonienne du changement climatique.
La stratégie calédonienne d’urgence climatique qui nous est proposée par le gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux. Les dispositions qui y sont énoncées ressemblent à un catalogue de bonnes intentions, sans objectifs mesurables ni calendrier de mise en œuvre, ni évalua on de coût, donc très éloignées d’un véritable plan de gestion opérationnel. L’urgence climatique et environnementale est une problématique qui mérite à notre sens une réflexion plus approfondie et sans complaisance sur les choix de société qui nous ont conduits dans l’impasse économique, sociale, sanitaire et environnementale dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
2. L’industrie du nickel et l’énergie.
En 2009 déjà, les auteurs du “Schéma d’Aménagement et de Développement Nouvelle Calédonie 2025 avaient pointé du doigt le fait que la Nouvelle Calédonie se place dans le peloton de tête des pays les plus émetteurs de GES. En 2022, les chiffres confirment cette assertion, avec 27 t de CO2 par habitant et par an. Il est tout à fait surprenant que le projet de “stratégie calédonienne du changement climatique” n’évoque que marginalement les activités liées à l’industrie du nickel et de l’énergie, alors qu’elles impactent tous les domaines de la vie quotidienne des calédoniens et qu’elles représentent près de 80% de nos émissions de CO2. En matière d’énergie, Le STENC en 2016 avait vocation à définir le volet d’atténuation de lutte contre les effets du changement climatique. Une révision du STENC en 2022 a montré que le fort développement des fermes solaires photovoltaïques n’a pas empêché “une augmenta on en volume des émissions de GES et que l’énergie de la NC conserve un caractère très carboné”
3. Planifier la sortie du nickel
Sachant que la Nouvelle Calédonie importe environ 98% de l’énergie qu’elle consomme, que ses importations sont principalement constituées de charbon, de gaz et de produits pétroliers, que la mine et la métallurgie représente ¾ de notre consomma on d’énergie, il ne fait aucun doute que l’industrie du nickel est à l’origine des records de notre Pays en ma ère de consomma on d’énergie fossile et d’émission de CO2. Le nickel n’est pas une ressource renouvelable, son exploita on aura donc nécessairement une fin. L’exploita on du nickel est indissociable d’une source d’énergie de très grosse puissance. A noter que la Nouvelle Calédonie a échappé jusqu’ici aux pénalités qui pourraient lui être infligées pour ses émissions excessives de CO2. C’est une mono industrie dont nous avons tous plus ou moins profité. Elle a des avantages et des faiblesses. Faute d’une véritable poli que pays, la Nouvelle Calédonie dispose aujourd’hui de 3 usines qui sont toutes plus ou moins à l’arrêt, malgré tous les avantages consentis comme le pacte de stabilité fiscale ou d’autres subventions accordées par l’Etat et les collectivités locales. Pour se convaincre des conséquences délétères de l’exploita on du nickel, il suffit de se rendre à Thio pour constater ce qui reste de ce e région après plus de cent ans d’exploita on. Face à ce constat, il nous apparaît que le moment est venu aujourd’hui de faire un bilan et de nous poser la question de l’après-nickel. Compte tenu de tous ces éléments, nous considérons qu’il faut planifier la sortie du nickel en développant des activités économiques alternatives, respectueuses de la santé et de l’environnement, en particulier des “niches” à forte plus-value” et pourvoyeuses d’emplois. Planifier la sortie du nickel, c’est en même temps agir sur les causes d’émission de GES et sur les conséquences de l’industrie du nickel sur la santé, l’environnement, l’organisa on sociale, et contribuer à développer des activités économiques alternatives. C’est une décision que Hallegatte (Rapport STERN) appellerait une “mesure d’adaptation sans regret” parce que même si elle n’avait qu’un impact limité sur les émissions de GES à l’échelle de la planète, elle aurait sur la santé et l’environnement du Pays, d’autres effets positifs comme l’amélioration de la qualité de l’air.
4 Relocaliser l’économie.
La sortie du nickel ne sera économiquement et socialement viable que dans la mesure où les emplois perdus dans le nickel seront compensés par de nouveaux emplois générés par la relocalisation de l’économie qui consiste à produire localement tout ce qui peut l’être, pour éviter l’importation et garantir la sécurité alimentaire. Produire localement, c’est contribuer à réduire l’empreinte écologique en évitant les transports massifs de marchandises en avion ou en bateau. C’est aussi, par exemple dans le domaine agricole, promouvoir une production saine et respectueuse de l’environnement, imposer des règles strictes et contraignantes pour réduire l’usage de pesticides, ouvrir des marchés (cantines, restauration, créer des entreprises de transformation ( jus, confitures, conserves surgelés, farine, fruits secs …) et organiser des circuits courts, pour la distribution, faciliter la création de réseaux de proximité entre producteurs et consommateurs.
5. Aménagement- Déplacement- Environnement
Dans différents domaines de la vie quotidienne, voici quelques exemples d’actions concrètes en matière d’urgence climatique et environnementale qu’il serait possible de mettre en œuvre dans des délais assez brefs. Certaines figurent dans la stratégie du gouvernement, d’autres devraient y être inscrites.
Aménagement du territoire : Développer des centres d’activités et de service décentralisés permettant aux gens de réduire la distance entre leur résidence et leur lieu de travail. Maintenir ou développer des services de proximité, comme des écoles, des collèges (Rivière Salée) de médecins et services de soins …
Déplacements : Réduire nos déplacements en avion en instaurant un crédit carbone par habitant, avec une contribution modeste pour ceux qui voyagent peu en avion et une forte taxation pour les grands voyageurs. Décourager le tourisme de croisière fortement polluant et peu rémunérateur pour le pays. Pour les déplacements internes, favoriser les transports en commun en visant leur gratuité. Instaurer une vignette automobile à faible coût pour les petites cylindrées et une contribution élevée pour les 4x4 à forte puissance et véhicules de luxe.
Environnement : S’engager résolument à réparer les dégâts des mines, par exemple le reboisement des 20 000 hectares de mines orphelines. Lutter contre les feux de brousse et engager une politique volontariste de reboisement et de protection des zones de protection des captages d’eau y compris les périmètres éloignés
6. Gouvernance
Certaines assertions dans le rapport de présentation du projet de délibération inspirent le doute. On peut y lire, dans l’introduction l’annonce de “ l’intensification de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes tels que les cyclones” et un peu plus loin ; “l’activité cyclonique en NC n’a pas montré de changements significatifs en termes de fréquence ou d’intensité”. A propos de la montée du niveau de la mer : “A raison de 2,9 mm/an depuis 1992, selon Topex- Poséidon, on arrive à 22 cm en 2100, ce qui est loin des 60 cm annoncés dans le Grand Nouméa. Il est évidemment difficile dans ces conditions de se faire une idée précise de la situation. Il ne demeure pas moins vrai qu’une information transparente, rigoureuse et cohérente sont des bases d’une gouvernance saine.
Avec son palmarès en matière d’émission de GES, la Nouvelle Calédonie est mal placée pour afficher son engagement en matière de lutte contre les perturbations climatiques et environnementales. C’est jouer d’une certaine façon au pompier pyromane. Elle est d’autant moins crédible quand elle valide des actions en contradiction flagrante avec les déclarations et l’image vertueuse qu’elle cherche à promouvoir. C’est le cas par exemple quand on soutient que 10% du Parc Naturel de la Mer de Corail sont intégralement protégés, alors que 2% seulement sont classés en réserve naturelle intégrale, ou quand on décide arbitrairement de multiplier par deux le prix d’un ticket de bus.
7. Conclusion
La stratégie calédonienne d’urgence climatique telle qu’elle nous est proposée ressemble à un écran destiné à occulter la dérive calamiteuse du pays en matière d’émission de GES et s’apparente à un dispositif ayant pour principale finalité la captation de fonds dont la gestion sera confiée à un groupe “d’élus” peut-être tentés de l’orienter sur des plans à court terme qui échappent au contrôle de la société civile. La crise que traverse actuellement le Pays et l’urgence climatique ne nous permettent plus de nous contenter d’effets d’annonce, à fin commerciale comme “reverdir le nickel”, ou d’instrument au service d’intérêts particuliers. Elles nécessitent une réflexion approfondie et partagée sur les causes qui nous ont conduits à cette situation et les moyens à mettre en œuvre pour nous en sortir. Repeindre en vert un système économique et social archaïque en train de s’effondrer n’a aucun avenir.
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