Lettre ouverte au Haut Commissiare à propos du schéma d'aménagement NC2025

nc2025

Monsieur le Haut Commissaire,

Nous avons été très honorés d’être invités, par vous-même et Monsieur le Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à la Première Conférence sur le Schéma d’Aménagement et de Développement du Pays, mercredi 14 mai 2008 à Koné. Nous sommes satisfaits de constater que de nombreuses autorités, venant d’horizons différents et exerçant des fonctions diverses, se trouvent enfin réunies indépendamment des étiquettes politiques, pour mener une réflexion approfondie sur des problèmes de société, comme l’aménagement de l’espace, les choix énergétiques, le développement industriel ou agricole, la gestion de l’eau et des déchets, les transports, en dépassant le cadre et le calendrier liés aux échéances électorales. Dans un article récent paru dans les Infos sous le titre «  L’après nickel, c’est aujourd’hui », nous avions d’ailleurs salué cette initiative, tout en déplorant qu’elle arrive bien tard, 10 ans après la signature de l’Accord de Nouméa et l’adoption de la Loi Organique.

Nous avons aussi constaté que tous les intervenants, sans exception ont mis l’accent sur le développement économique, ce qui somme toute, correspondait à l’annonce, mais que l’environnement, une fois de plus a été réduit à la portion congrue, ce qui montre bien que le concept de développement durable, dont l’environnement constitue pourtant l’un des piliers n’est pas encore rentré dans les mœurs.

Nous en voulons pour preuve la réaction des orateurs à la question posée par Monsieur Talamona, qui faisait partie de la délégation EPLP : «  Comment concilier une croissance forte de l’ordre de 7% appelée de tous leurs vœux par les leaders politiques et le problème planétaire du réchauffement climatique qui a d’ores et déjà des conséquences écologiques, mais aussi économiques non négligeables ? » Toute l’assistance a pu constater que cette « question qui dérange » est restée sans réponse, alors qu’elle se trouve aujourd’hui au coeur de toute réflexion sérieuse sur le développement.

Dans ces conditions, parler comme vous l’avez fait lors de votre discours, d’ « absolutisme  écologique » en Nouvelle-Calédonie nous paraît hors de propos voire démagogique. Est-ce faire preuve d’absolutisme écologique que de promouvoir une politique « zéro déchets », alors que de nombreuses collectivités en Nouvelle Zélande, en Australie, au Canada, mais aussi en France, ont adopté cette démarche ? Est-ce faire preuve d’absolutisme écologique que de demander l’adoption d’une politique volontariste en matière d’énergies renouvelables permettant comme en Allemagne, au Japon, mais aussi à la Réunion et en France à des particuliers de se doter de panneaux solaires raccordés au réseau ? Est-ce faire preuve d’absolutisme écologique que de demander l’application de mesures telles qu’elles sont prévues dans la Loi cadre de Protection de la nature de juillet 1976 en métropole, qui n’a pas été rendue applicable en Nouvelle Calédonie ?

Vous n’êtes pas sans savoir que la Nouvelle-Calédonie a pris en matière de protection de l’environnement un retard considérable, déjà bien avant que cette compétence ne soit transférée aux Provinces. Alors, quand nos déclarations ou nos prises de positions paraissent excessives au regard de quelques esprits archaïques, elles ne relèvent la plupart du temps que du simple bon sens et de ce qui serait considéré ailleurs comme des lieux communs.

Ce retard accumulé, parfois avec la bénédiction de l’Etat, est d’autant moins acceptable que la Nouvelle-Calédonie est considérée par la communauté scientifique internationale comme l’un des principaux  hot spots de la planète pour sa biodiversité. De plus, contrairement à une idée largement répandue, que vous contribuez à entretenir, la protection de l’environnement n’est pas de la seule compétence des Provinces, elle est une compétence largement partagée, y compris avec l’Etat.

L’exemple le plus flagrant est la lutte contre les feux de brousse, qui implique les Communes, les Provinces et l’Etat, et qui a été au centre des préoccupations de toutes les associations de défense de la nature ces 40 dernières années. Pourquoi a-t-il fallu attendre la catastrophe de la Montagne des Sources pour obtenir un début d’organisation des moyens par la Sécurité Civile ? Pourquoi la Réglementation minière, qui était jusqu’à une époque récente de compétence Etat, n’a-t-elle pas évolué depuis 1954 ? Pourquoi la Nouvelle-Calédonie a-t-elle été écartée de l’application du Protocole de Kyoto ? Pourquoi aucune mesure concrète n’a-t-elle été prise en application de la Convention de Rio pourtant ratifiée par la France et applicable en Nouvelle Calédonie en matière de protection de la biodiversité et de lutte contre l’introduction d’espèces exogènes (écrevisses, tortues de Floride…) Pourquoi, malgré l’annulation d’ICPE par le TA pour manquement aux normes environnementales, l’Etat a-t-il continuer à accorder une aide fiscale considérable à une multinationale métallurgique ? Pourquoi autorise-t-on en  Nouvelle-Calédonie l’usage de pesticides reconnus cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques interdits en métropole ? Sommes-nous en matière de protection de l’environnement et de la santé, des Français de seconde zone ?

Dans ce contexte, au lieu de parler d’absolutisme écologique, il aurait été plus approprié de souligner le courage de ceux qui s’engagent, souvent en prenant des risques, par une contribution active à la protection de l’environnement, plutôt que de les fustiger.
Pour terminer, nous considérons qu’aucun Schéma d’Aménagement et de Développement crédible ne peut se faire sans un inventaire rigoureux des Zones d’Intérêt Ecologique de Faune et de Flore. Une telle étude constitue, à nos yeux, la pierre angulaire et le préalable à tout programme de Développement ou d’Aménagement. Il serait en effet totalement irresponsable, de livrer un Pays qui a un taux d’endémisme de flore de l’ordre de 80% à l’appétit vorace d’aménageurs et d’exploitants de tous poils en l’absence de connaissances précises et de mesures de protection appropriées des ressources naturelles qu’il recèle.
Nous nous permettons donc de solliciter  de votre bienveillance, le financement et la réalisation d’une telle étude sous l’égide du Muséum d’Histoire Naturelle, comme celle qui a été menée à Santo en 2007.

Veuillez agréer, Monsieur le haut Commissaire, l’expression de notre considération respectueuse.