Lettre ouverte à monsieur Jean-Louis Veyret, président de la fondation des pionniers

usine KNS

Monsieur le Président,

Dans un article paru dans les Infos du 31 juillet 2009 sous le titre « Quelques nouvelles questions » à propos de l’usine du Nord, vous insistez sur le « silence assourdissant des associations écologiques » quant aux impacts environnementaux de cette usine.
Il ne m’appartient pas de répondre au nom de l’association Rheebu Nuu que vous citez explicitement, mais je souhaite en tant que président d’Action Biosphère, association de défense de l’environnement, faire les remarques suivantes :

 Dans un article paru dans les Infos le 8 juillet 2005 sous le titre «  Du classement des récifs coralliens au patrimoine mondial », nous avions posé la question de la compatibilité du classement avec les projets miniers, y compris celui du Nord

Le 11 septembre 2005, dans le cadre de l’enquête publique relative à l’usine du Nord, nous avons fait part de nos observations sous le titre : « Projet Koniambo : Points de vigilance » dont voici quelques extraits :

  1.  « L’approvisionnement en eau douce des installations minières du projet Koniambo ne doit pas mettre en péril les ressources en eau potable des populations ni l’équilibre écologique de la faune et de la flore de la région.
  2. Les espèces endémiques rares ou vulnérables de faune et de flore dans le périmètre du complexe industriel doivent être protégées et la conservation des espèces doit être garantie in situ. Sur mine, un inventaire préalable de faune et de flore doit être effectué, les zones servant d’habitat aux espèces en danger doivent être identifiées, ainsi que les zones tampons et les corridors écologiques, préalablement à toute exploitation. Si l’habitat d’espèces comme le Pétrel de Tahiti ou la Mégalure calédonienne ne peut être préservé sur le site de Koniambo, un site approprié doit être trouvé permettant à ces espèces de s’y adapter et de s’y reproduire. La pérennité de ces espèces doit être garantie préalablement à toute exploitation. Les parcelles de forêt sèche de la presqu’île de Vavouto doivent faire l’objet de mesures de protection.
  3. Le choix de Vavouto pour l’accès de bateaux à fort tirant d’eau, nécessitant un chenal d’accès et près de 9 millions de m3 de débris de dragage et leur rejet en mer ne nous paraît pas acceptable au regard des risques pour l’environnement marin, en particulier les coraux et les espèces inféodées. Le port et éventuellement l’usine doivent être installés en bord de mer sur un site en eau profonde ne nécessitant pas la destruction massive du milieu marin et le minerai pourrait être acheminé par barges.
  4. Le milieu marin risque également d’être fortement perturbé par l’enfouissement au fond de la mer du tuyau de rejet de l’eau de refroidissement de l’usine. La pose de cet émissaire nécessite une fouille générant des déchets de dragage et la mise en suspension de fines extrêmement préjudiciables aux coraux. Une autre solution ne portant pas atteinte au milieu marin doit être envisagée.
  5. Le stockage des scories doit se faire dans le respect de l’environnement et ne pas détruire ou perturber un milieu riche et fragile. La composition chimique de ces scories doit être précisément identifiée. Si celles-ci présentent un quelconque danger, par exemple par la présence de chrome 6, ou d’autres substances dangereuses, elles ne peuvent être considérées comme déchets inertes et doivent faire l’objet d’une gestion particulière….
  6. Toute surface décapée doit faire l’objet d’un reboisement en espèces endémiques… »

A propos de Vavouto, nous avons également précisé dans un document ultérieur :
« Les opérations de dragage du chenal entraîneront fatalement la mise en suspension de particules fines et de métaux lourds et affecteront :

  • la topographie des fonds environnants
  • la faune benthique via le dépôt des particules fines (coraux, éponges…)
  • la chaîne trophique du lagon, qui sera affectée par la turbidité de l’eau… »

Nous avions évoqué aussi les impacts liés aux rejets atmosphériques ( SO2) avec les risques de pluies acides, de CO2 par la centrale thermique, l’érosion, les risques liés à l’introduction accidentelle d’espèces exogènes nuisibles ou envahissantes, et ceux dus à la présence d’amiante sur le site, la gestion des déchets liés notamment à l’afflux massif de population, le choc culturel pour les populations riveraines induit par l’irruption brutale d’une industrie et le passage d’un mode de vie traditionnelle à une société de consommation à l’occidentale et les coût sociaux du fait de l’exclusion d’une partie de la population non touchée par les retombées directes ou indirectes du projet…

Dans un article plus récent, paru dans les Infos sous le titre « L’après nickel, c’est aujourd’hui », également diffusé sur Nouvelle-Calédonie Info, nous avions écrit :
« ….Dans le cadre du Schéma d’Aménagement et de Développement, on aurait pu imaginer, par exemple dans le Nord, une seule usine métallurgique à Téoudié-Gomen, traitant la totalité du minerai des massifs de Poum, Tiébaghi, Kaala, Ouazengo, Koniambo, Kopéto et Poya. A charge pour les opérateurs miniers de s’entendre sur les termes d’un partenariat.
Dans cette hypothèse, le minerai aurait pu être acheminé à l’usine par un réseau cohérent de chalandages ou de voies ferrées, solution non surréaliste puisque des chemins de fer existaient sur certains centres miniers quand l’exploitation du nickel en était à ses débuts. Cette solution aurait eu l’avantage de mettre un terme à l’exportation de garniérite brute peu profitable au pays, et de réaliser des économies d’échelle en desservant tous les massifs de la Côte Ouest. Elle aurait aussi permis d’éviter la construction à Vavouto d’un port en eau profonde, dans un endroit où il n’y a que deux mètres d’eau, opération qui nécessite le dragage d’un chenal de 6,5 km de long, de 300 mètres de large et de 12 mètres de profondeur, générant plus de 9 millions de m3 de sédiments à relarguer à l’extérieur du lagon. Même en prenant toutes les dispositions possibles, il est difficile de croire que ces travaux n’aient pas un impact important sur le milieu marin. L’extraction de « katcha » et la diffusion de fines entraîneront la turbidité de l’eau, une couche de résidus sur les coraux et une dégradation à grande échelle de la flore et de la faune marines.
Il est regrettable que l’hypothèse « Téoudié » n’ait pas été étudiée plus attentivement et chiffrée en amont des décisions engageant irréversiblement le Projet du Nord »
Dans ce même article, nous avions dénoncé la « Lettre de confort » annexée à la Délibération n° 320 du 21 novembre 2007 permettant à KNS d’échapper à toute mesure contraignante découlant d’une réactualisation de la réglementation minière.

Dans un autre article, paru dans les infos sous le titre «  L’activité du nickel, pertes et profits », nous avons évoqué le coût des rejets de CO2, dans l’hypothèse de l’adhésion de la Nouvelle-Calédonie au Protocole de Kyoto ou bientôt à celui de Copenhague si on lui imposait de payer le prix tutélaire de la tonne de CO2 évaluée aujourd’hui à 32 euros…et à qui incomberait cette charge. La centrale thermique au charbon de KNS y tient évidemment une part non négligeable.   

Au moment de la création du Comité de suivi environnemental du projet KNS, des représentants associatifs ont eu l’occasion d’exposer ces  éléments à l’assemblée et le 23 juin 2008, deux représentants des associations Action Biosphère et Corail Vivant ont rencontré des habitants d’Oundjo qui ont exprimé leurs inquiétudes et se sont révélés réceptifs à nos arguments.
Il est vrai que nous n’avons pas montré sur le terrain notre contrariété comme nous l’avons fait aux côtés de Rheebu Nuu pour l’usine du Sud. Nous avons exprimé nos réserves et notre opposition à certains aspects du projet du Nord, en particulier sur le chenal de Vavouto, mais nous avons estimé qu’il ne nous appartenait pas d’aller au-delà, dans la mesure où le projet du Nord est un projet de Pays qui s’inscrit dans une politique volontariste de rééquilibrage, détenu pour plus de la moitié des actions par les collectivités locales et qu’il est destiné à soutenir des initiatives visant à diversifier le tissu économique.
Il faut reconnaître aussi qu’il bénéficie d’une large adhésion des populations comme en témoigne la manifestation des peuples autochtones prévue prochainement à Vavouto, malgré tous les problèmes qu’il soulève. Il est en effet loin d’être exemplaire en matière de protection de l’environnement et il n’est pas du tout certain que ses promoteurs aient toujours choisi les solutions les moins destructrices pour le milieu naturel. Force est de constater qu’au Nord comme au Sud,  la logique économique l’emporte sur la protection de l’environnement.
   
Nos déclarations à propos de l’usine du Nord, dont certaines remontent à 2005 vous ont peut-être échappé parce qu’elles ne sont pas largement relayées par les médias locaux.  Comme vous pouvez le constater, elles ne peuvent pas être assimilées à un « silence assourdissant ».
L’histoire montre que les environnementalistes ont souvent une âme de précurseurs pour ne pas dire de pionniers, mais que les pionniers ont été rarement de fervents défenseurs de l’environnement. Nous sommes toutefois ravis de constater que les pionniers partagent aujourd’hui notre propre analyse à propos de la pollution entraînée par le dragage du chenal, le devenir des patates transplantées (que nous considérons aussi comme une opération de communication) , ou la destruction de la mangrove…

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos salutations distinguées