Le « zéro déchets », c’est pas pour demain ... (2ème partie)

  • Time to read 9 minutes
le plastique

Le plastique

En Province sud, chaque habitant produit en moyenne environ 438 kg de déchets par an (chiffres de l’ADEME). Le rapport annuel  2017 du SIGN pour la gestion des déchets nous apprend que  6% seulement des déchets ménagers du Grand Nouméa sont valorisés.  En Europe, le taux de recyclage des déchets se situe pour l’Allemagne aux alentours de 60 %, pour le Royaume Uni  de 43 % et la France de 39 %. Pour ne pas crouler sous nos déchets, deux pistes s’imposent : réduire la quantité de nos déchets et augmenter la part de valorisation et de recyclage.  Sommes-nous  sur cette voie ?

La presse ne tarit pas sur les innombrables opérations organisées dans le cadre de la semaine européenne de réduction des déchets orchestrée par l’ADEME., en partenariat avec la Province Sud et la ville de Nouméa. « Des ateliers pour réduire ses déchets » LNC du 19 /11/2018, « L’internat provincial de La Foa réduit ses déchets » LNC du 23 :11/2018, «  Ils sont écoresponsables au quotidien » LNC du 24/11/2018…. Vous avez dit Greenwashing ? En tous les cas, ça y ressemble…

I. Des faits, des chiffres et des zones d’ombre

Depuis plusieurs années, Action Biosphère participe à la CCSPL ( Commission Consultative des Services Publics Locaux) du SIGN ( Syndicat Intercommunal du Grand Nouméa) et donne son avis sur les Rapports Annuels relatifs à l’adduction d’eau en provenance du Grand Tuyau et sur la gestion des déchets du Grand Nouméa. De l’examen des documents qui nous ont été soumis pour la partie déchets, en amont de la dernière réunion de la CCSPL, le 16 novembre 2018, il ressort principalement les éléments suivants :

En 2017, la CSP a traité 185 255 tonnes de déchets qui se répartissent entre déchets industriels à hauteur de 57%.et déchets ménagers à hauteur de 43 %. Les déchets ménagers, traités par la CSP pour le compte du SIGN s’élèvent à 82 656 tonnes, correspondant à la Délégation de Service Publics ( DSP), auxquels il convient d’ajouter 4616 tonnes en provenance d’autres collectivités, pour un total donc de 87 272 tonnes.
Selon l’Ademe, la quantité moyenne de déchets produite par habitant en Province sud en 2017 est de 438 kg/hab/an
Les déchets industriels provenant d’entreprises, s’élèvent à 97 983 tonnes. Ils sont constitués à 31 % de déchets verts (DV), de 32 % de déchets industriels (DIB) ?, de 10 % de déchets liquides biodégradables (DLB), et de 27      % de cendres.
La quantité de ces déchets industriels traités par la CSP, dans le cadre de contrats privés, sur lesquels on a peu de visibilité, est tout à fait considérable et on est de ce fait en droit de s’interroger sur la compatibilité du traitement des DMA, qui relève du Service Public et le traitement de déchets dans le cadre d’ activités privées, ayant pour finalité le profit des actionnaires. Il s’agit là d’un mélange des genres, qui ne va pas nécessairement dans le sens de l’intérêt général, notamment sur le plan financier et fiscal.
Un audit sur l’équilibre financier du contrat de DSP, incluant notamment un état des lieux des activités privées effectuées par le délégataire tant sur le centre technique de Ducos que sur les centres de traitement situés à Gadji a été demandé par le SIGN, pour une meilleure appréciation de la situation. Il n’a à ce jour, pas été mené à terme.
19 % des déchets du SIGN sont collectés en Apport volontaire, en PAV ou déchetteries, avec 5 déchetteries en service. Ce chiffre risque de rester relativement stable dans les années à venir puisqu’il repose exclusivement sur une démarche volontaire des administrés.
6% seulement des déchets du SIGN sont valorisés. Les déchets ménager en provenance des QAV se répartissent dans les catégories suivantes : Ferraille 29 %, DEEE : 14%, Déchets verts : 11%, Verre : 17%, Carton : 6%, batteries : 5%, Papier : 7%, Canettes alu : 1%, huiles : 1%, Plastique ; 1%, vêtements : 1%, cables, piles, non-ferreux.
Le Mont Dore a mis en place une collecte sélective des déchets au porte à porte, avec 2 poubelles et la création d’un centre de tri. On ne peut que déplorer que les autres communes du grand Nouméa,, Nouméa, Dumbéa et Païta n’aient pas suivi ce mouvement.
Le fait de baser le tri et le recyclage de ses déchets exclusivement sur un acte personnel volontaire condamne toute tentative de développement du tri et du recyclage et impose au final un traitement classique par enfouissement.
706 405 653 cfp c’est la somme que la CSP a perçu du SIGN, au titre de la part traitement de la REOM 2017.

Zoom sur les filières réglementées.

En 2003, la province a instauré un dispositif REP (Responsabilité Elargie du Producteur) destiné à collecter et traiter des déchets jugés dangereux ou polluant. Il comprend 6 filières : les Déchets Electriques et Electroniques, les pneus, les batteries, les huiles, les piles, les véhicules hors d’usage. L’importateur ou le producteur de ces produits a pour obligation légale de prendre en compte la gestion du traitement de ses produits en fin de vie, qui font l’objet d’une éco –participation, qui s’ajoute ainsi au prix de vente. Le dispositif REP est confié à un éco-organisme : Trecodec, chargé de sa mise en œuvre et de son fonctionnement. Il est financé par un fonds, la TAP, provenant d’un prélèvement sur les produits de ces produits mis sur le marché. A titre d’exemple, pour ce qui est des pneus usagés, Trecodec a passé une convention avec la CSP qui a mis en place à Gadji une unité de déchiquetage des pneus, dont les ships devaient initialement servir de matériaux de drainage, une filière qui n’a pas abouti. Ils sont au final exportés comme combustible en Asie.
Le dispositif des REP est financé par la TAP, Taxe de soutien aux Actions de lutte contre les Pollutions, qui est de 5% de la valeur du produit importé. En 2015, les recettes réelles de la TAP se sont élevées à 204 885 463 cfp (source DIMENC)

II. Perspectives

La gestion des déchets ménagers et assimilés est de compétence communale (collecte et traitement). Les communes du Grand Nouméa ont délégué tout ou partie de cette compétence au SIGN. Toutefois, la Province peut légiférer en matière de déchets au titre de sa compétence sur l’environnement. C’est ainsi que dès 2003, la province a instauré le dispositif REP (Responsabilité Elargie du Producteur).

   1. Proposition de loi du Pays relative à l’interdiction de mise sur le marché de divers produits en matières plastiques

Jeudi 27 décembre 2018, Nina Julié et Philippe Michel ont déposé au Congrès un projet de loi qui vise à « réduire les déchets plastiques en réglementant l’importation et la distribution de divers produits en matière plastique. Ce projet stipule donc pour l’essentiel, que :
A compter du 1er mai 2019, il sera interdit d’importer et de mettre à disposition, à titre onéreux ou gratuit des sacs de caisse en matière plastique à usage unique destinés à l’emballage de marchandise au point de vente, à l’exception de sacs compostables constitués pour tout ou partie de matières biosourcées.
Seront interdits également les sacs de caisse réutilisables en matière plastique destinés à l’emballage de marchandise au point de vente sauf ceux compostables et constitués pour tout ou partie de matières biosourcées et ceux recyclables…
A compter du 1er septembre 2019, il sera également interdit de mettre à disposition, à titre onéreux ou gratuit les produits en matière plastique à usage unique tels que des gobelets, verres, tasses, assiettes, couverts, pailles à boire, et touillettes en matières plastiques jetables
A compter du 1er mai 2020, seront interdites les barquettes en matières plastiques jetables destinées à l’usage alimentaire
Sur le plan juridique, il est intéressant de noter que le projet porté par la Province Sud relève de la Nouvelle Calédonie, compétente en matière de droit commercial et de la consommation et nécessite de ce fait une loi de Pays.
Comme on peut l’imaginer ce projet de loi suscite de nombreuses réactions, d’adhésion ou de rejet autant chez les consommateurs que les commerçants et les professionnels
Sur le principe, on ne peut qu’accueillir favorablement un projet de loi qui vise à réduire les déchets en interdisant les sacs plastique. Nous émettons toutefois une franche opposition sur les points suivants :
-l’autorisation de sacs à usage unique constitués pour tout ou partie de matières biosourcées et compostables (selon la norme européenne EN 13432), dont la teneur serait arrêtée par le gouvernement avec une teneur minimale préconisée de 30% biosourcée. Le fait que les sacs se décomposent et donc disparaissent de notre vue ne signifie pas que les substances qui les composent se soient volatilisées. La norme européenne à laquelle il est fait référence est rassurante, mais elle ne garantit pas l’innocuité de tels produits en l’absence d’études sérieuses sur leurs impacts sur l’environnement et la santé. En vertu du principe de précaution, nous ne pouvons donc pas y être favorables.
- l’autorisation de sacs en plastique réutilisables biosourcés et compostables ou recyclables…qui devront être constitués à partir de 2022 de matière plastique recyclée à hauteur au moins de 30%. Le recyclage de ce type de sacs localement nous parait, à court et moyen terme, hautement improbable. Le problème de leur collecte séparée, de leur conditionnement en vue de leur expédition, leur acheminement dans un centre de tri à l’étranger et le coût induit par l’ensemble de ces opérations demeure, quelle que soit la matière qui les compose. Nous ne voyons donc aucun intérêt à remplacer un déchet existant par un autre, sensiblement de même nature, d’où notre avis défavorable sur ce point aussi.  
 Pour conclure sur ce point nous ne pouvons qu’adhérer sans réserve, une fois n’est pas coutume, à l’avis émis par l’Autorité de la Concurrence dont LNC se sont fait l’écho dans un article du 3 novembre 2018 :
« L’objectif de protection de l’environnement pourrait être atteint, plus encore, par l’interdiction pure et simple de tout type de sacs plastiques sans créer de concurrence entre producteurs locaux et grossistes importateurs en privilégiant le développement de produits substituables (papier, tissu, tressage…. »

2. Schéma Provincial de Prévention et de Gestion des Déchets 2018- 2022

Consultable sur le site de la Province Sud, le Schéma Provincial de Prévention et de Gestion des Déchets 2018- 2022 a le mérite de jeter les bases d’une politique de gestion des déchets à l’échelle de la Province Sud pour les années à venir.
Pour info, voici un tableau des gisements de déchets recyclables en PS (chiffres de la Province- estimation 2014 AWIPLAN/CBE)

Gisement des déchets en PS

Déchets issus des ménages

Déchets issus des entreprises

Total

Papier Journaux Revues Magazines

6119

?

 

Verre

5494

?

 

Carton

4800

21 701

26 567

Canettes

921

?

 

Ferreux

1284

?

 

Plastique

2594

6107

8701

Total

21 278

27 808

49 088

 

Le schéma provincial de prévention et de gestion énonce un certain nombre de principes : instaurer une gouvernance efficiente, responsabiliser tous les acteurs, prévenir et réduire la production et la nocivité des déchets, garantir le traitement des déchets et développer leur valorisation localement.
Il comprend également des objectifs stratégiques avec des indicateurs de suivi, comme par exemple à l’horizon 2022, pour la Province Sud :  :
    • Réduire de 10% de DMA, par rapport à 2016
    • Réduire de 10% la production de DNDAE (ou DIB)
    • Diminuer de 15% le tonnage des déchets enfouis en ISD
    • 100% de déchets verts valorisés
    • 75% de boues de STEP valorisées
    • Valorisation des déchets d’emballage : 30% des canettes alu mises sur le marché, valorisés
    • 40% d’emballages en verre mis sur le marché valorisés
Il est prévu par ailleurs la création d’une nouvelle filière REP, la filière REP emballage, qui comprend un certain nombre de sous-filières : verre, canette, carton, plastique, métaux ferreux.

La réduction de 10 % de DNDAE et de 15% des déchets enfouis à l’ISD est quasiment acquis avec l’utilisation des cendres de Prony dans le processus de séchage des boues de Valé dans le cadre du projet Lucy et la valorisation des déchets verts mélangés aux boues de step pour en faire du compost.
L’objectif de valorisation des canettes alu de 30% et du verre de 40% ne nous parait pas à la hauteur des enjeux.
Même si ces objectifs constituent une avancée notamment sur les déchets verts et les boues de step, on est loin d’un scénario « zéro déchets » avec une planification filière par filière de la réduction des déchets et leur valorisation.
Et pourtant un article paru dans « La Tribune » nous montre que ce scénario est réaliste. Capannori, une ville de 47 000 habitants en Toscane est « à la tête du tri et du recyclage en Italie. Entre 2005 et 2018, le pourcentage des déchets triés y est passé de 35% à 88%, grâce d’abord à la généralisation d’une collecte porte à porte, qui permet de séparer davantage de types de déchets, puis mise en place d’une fiscalité incitative, à savoir d’une taxe locale pour les ordures ménagères, calculée en fonction des déchets produits… Alors que la quantité de déchets ultimes s’élève à 360 kg par an, selon les chiffres de l’Ademe, elle ne s’élève actuellement qu’à 14 kg pour les familles les plus vertueuses de Capannori. Avec l’aide d’un centre de recherche et la coopération des entreprises, cette ville vise à atteindre 90% à 95% de déchets triés en 2020.
Cet exemple montre que cette démarche, si elle s’ inscrit dans la durée et qu’elle est portée par une véritable volonté politique, on peut y arriver…Qu’est-ce qu’on attend ?

Bibliographie :
    • Rapport annuel 2017 sur le prix et la qualité du service public de la gestion des déchets ménagers et assimilés – SIGN
    • Audit de l’équilibre économique du contrat de DSP déchets du SIGN – Rapport final / synthèses ATECSOL 19 avril 2018
    • Schéma provincial de prévention et de gestion des déchets 2018- 2022 Province Sud
    • Guide des déchets en Nouvelle Calédonie –Comprendre la gestion des déchets – ADEME
    • Italie : Capannori, à la pointe du tri des déchets. La Tribune.