Urbanisme : verticalité ou horizontalité ?

urbanisme Nouvelle-Calédonie

« Votre maison est votre plus grand corps…Vous n’habiterez pas des tombes construites par les morts pour les vivants…Votre maison ne saurait contenir votre secret ni votre désir. Car ce qui est infini en vous habite le château du ciel, dont la porte est la brume du matin, et dont les fenêtres sont les chants et les silences de la nuit ; »    
Khalil Gibran*

Nous préférons être des hommes (et des femmes) debout. Autant dire que la verticalité ne nous effraie pas. Mais là n’est pas le sujet. C’est le projet d’une tour de 26 étages et de 92 mètres de haut, le Pacific Plaza, à proximité du rond-point Patch, à l’entrée de Nouméa qui a lancé le débat. Même si le permis de construire a été récemment annulé par le tribunal administratif, le sujet reste d’actualité. Convergence Pays a organisé une conférence le 3 juin sur le thème :

« Est-il préférable de développer un urbanisme vertical en construisant des tours ou plutôt horizontal avec des résidences pavillonnaires qui s’étendent en périphérie ? »

En Nouvelle-Calédonie, la demande en logements est forte, puisqu’il faudrait construire tous les ans plus de 2000 logements, pour les raisons suivantes :

  • -    la démographie : on estime qu’en Nouvelle-Calédonie, la population pourrait atteindre d’ici 2085, 500 000 habitants, si la croissance linéaire depuis 1955 se confirme.
  • -    l’évolution sociale avec l’augmentation des divorces et des familles monoparentales ou recomposées
  • -    la décohabitation au sein des familles ( jeunes gens qui n’habitent plus chez leurs parents)
  • -    l’exode rural et l’afflux de populations en provenance des provinces Nord et Iles
  • -    l’immigration

Face à cette situation, les élus, urbanistes et architectes envisagent principalement deux hypothèses : la densification du centre ville, avec la construction de tours et/ou l’extension en périphéries de lotissements pavillonnaires.
    Cette évolution n’est pas propre à la Nouvelle-Calédonie. Depuis la fin du 19° siècle, époque des premiers gratte-ciel à New York et Chicago, les architectes ont rivalisé d’audace en construisant des tours de plus de 200- 300 mètres de haut, comme à la Défense à Paris ( 301 mètres), Shanghaï ( 492 mètres) et plus récemment à Dubaï ( 818 mètres).

Selon les urbanistes, les avantages de constructions verticales ne manquent pas:

  • -    économie d’espace occupé au sol
  • -    coût du terrain en centre- ville
  • -    optimisation de l’espace et effets de synergie dus au regroupement des services auparavant dispersés
  • -    réduction des coûts en infrastructures : routes, lignes électriques, réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement

y compris des arguments d’ordre écologique :

  • -    moindre recours aux déplacements en voiture
  • -    et surtout préservation d’espaces naturels sauvages ou à forte valeur agricole.

La présence de tours dans une ville est souvent perçue comme un indice de prospérité et de prestige. Mais elle peut aussi être vécue par les citadins comme une source d’inquiétude, d’insécurité, d’univers carcéral.
C’est probablement l’une des raisons, avec le moindre coût des terrains en périphérie, pour laquelle, ceux qui en ont la possibilité préfèrent habiter des maisons individuelles. Outre les coûts en infrastructures, l’extension des lotissements en périphérie pose le problème de plus en plus aigu des déplacements aux heures de pointe.
Une observation attentive de la croissance des villes montre que, le plus souvent, les constructions verticales, à usage de bureaux, au centre se font simultanément avec une extension des lotissements pour les habitations en périphérie. Il n’y a donc pas lieu de les opposer. Dès lors, la question de favoriser l’une ou l’autre perd singulièrement de pertinence.
Par contre on peut se demander si cette évolution est une fatalité et s’il n’existe aucune alternative. L’urbanisme est le produit d’un héritage, d’une histoire, de contraintes géographiques, mais aussi d’un système économique, d’une organisation sociale, d’une philosophie de la vie. Les tours et les banlieues à perte de vue sont le reflet d’une idéologie dont le moteur est la loi du marché régi par l’offre et la demande, reposant sur la division du travail, qui fait de l’individu un auxiliaire de production et un consommateur. La ville est un milieu artificiel où chacun est anonyme et étroitement dépendant de circuits sur lesquels il n’a aucune maîtrise.
L’accroissement des villes s’accompagne de la désertification des campagnes, mais l’exode rural n’est pas une fatalité pour peu qu’on permette aux gens de vivre décemment à la campagne. Ce qui pousse les gens à partir en ville, c’est l’espoir d’y trouver du travail. C’est donc en créant des pôles d’activités à la campagne qu’on réussira à maintenir les gens à la terre.
La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à cette règle et il faut bien constater que peu d’efforts sont faits pour encourager les gens à demeurer ou à s’établir en brousse, hormis les grands projets industriels, qui tendent à créer de nouvelles villes. Et pourtant les chantiers ne manquent pas : artisanat et services de proximité, plantation de forêts, production agricole bio, tourisme vert…Au contraire, des mesures administratives sont prises pour faire disparaître les « tables d’hôtes »…Dans un passé relativement récent nos campagnes étaient peuplées et les équilibres naturels locaux ou planétaires n’en étaient pas pour autant menacés, au contraire. Peut-être du fait de la proximité des populations avec la nature, elles mesuraient d’avantage l’importance de la respecter.
Repenser l’urbanisme, c’est revoir les relations que nous entretenons avec la terre et nos semblables. C’est permettre à chacun de retrouver sa place dans une petite collectivité solidaire, c’est placer chacun devant sa responsabilité face au désordre planétaire.
Dans son livre « De la maison autonome à l’économie solidaire », Patrick Baronnet résume bien l’esprit de ce que pourrait être un « urbanisme écologique » :

« La maison : reflet de notre intérieur
L’intérieur de nous est délimité par notre peau
C’est elle qui est notre première enveloppe.
Notre deuxième intérieur est cet espace délimité
Par les murs de notre maison : expression de nous-même.
Notre corps est l’espace individuel
De nos productions, consommation et éliminations.
Notre maison, notre eïkos, est le lieu eikonomique,
L’unité économique où s’exercent nos fonctions corporelles
La maison est le fondement de l’écologie et de l’économie.
Oublier la racine des mots, c’est déraciner nos intérieurs.
Retrouver l’unité de notre personne,
Mettre de la cohérence dans les intérieurs que nous habitons,
C’est faire de l’économie une pratique qui nous concerne tous.
C’est édifier un monde ordonné
Sur les bases de notre maison intérieure,
C’est comprendre que le désordre planétaire
Ne peut pas être géré par ceux qui l’ont créé.
C’est faire de nos maisons, là où nous sommes,
Quelle que soient nos situations présentes,
Le lieu où chacun de nous est l’acteur indispensable
De l’économie et de l’écologie.
C’est s’offrir la plus belle aventure qui soit digne d’être vécue
Vivre sa vie. »

Inscrire cet esprit dans le concret, pour construire sa maison c’est tenter d’appliquer un certain nombre de principes, dont la liste n’est pas exhaustive, comme :

-    choisir l’emplacement et l’orientation de la maison, en fonction du vent, du soleil, du relief, des arbres…l’ouverture des portes et des fenêtres (dimensions orientation…), pour éviter ou réduire le recours à la climatisation et aussi s’abriter des vents dominants en bord de mer par exemple.
-    Choisir des matériaux sains, et de préférence peu éloignés du site de construction pour les murs et le toit. Ce critère n’est pas toujours aisé à respecter : par exemple, le bois, c’est sympa, mais il faut le traiter contre les termites et autres parasites ; la paille, il faut la changer assez régulièrement ; le béton, les parpaings et la tôle, c’est pas très écolo, mais c’est durable…le shingle ne permet pas la récupération de l’eau de pluie pour la consommation…Minimiser les déchets lors de la construction et en fin de vie de la maison en utilisant quand c’est possible des matériaux de récupération
-    Produire son électricité à l’aide de panneaux solaires ou d’une éolienne raccordée ou pas au réseau
-    Installer un chauffe eau solaire pour éviter de recourir au gaz ou à l’électricité
-    Récupérer l’eau de pluie dans des citernes pour l’usage domestique, éventuellement couplé à un filtre à osmose inverse pour la consommation
-    Se doter de toilette sèche pour éviter le gaspillage d’eau et la pollution des réseaux aquifères
-    Gérer ses eaux usées par lagunage et filtration par UV ou plantes aquatiques
-    Trier ses déchets et utiliser des bacs spécifiques selon leur nature : déchets organiques pour faire du compost, aluminium, verre, plastique, papier qu’on peut acheminer vers des points de dépôt
-    Faire son jardin pour y produire des fruits, des légumes et pourquoi pas des fleurs de saison, en utilisant le compost, éventuellement, si on dispose d’espace, élever quelques poules, canards, lapins, chèvres, cochon et vache pour les besoins de la maison
-    Prévoir une organisation intérieure de l’espace, agréable, fonctionnelle, conviviale, esthétique où en définitive il fait bon vivre
-    …

Il semblera à certains, que nous sommes loin du débat initial, sur la verticalité et l’horizontalité, mais en définitive, l’urbanisme et l’architecture ne doivent-il pas avant tout contribuer, dans le respect des équilibres naturels, à permettre à chacun de retrouver un peu de pouvoir sur son quotidien et de cultiver un certain art de vivre ?
* Khalil Gibran : poète et peintre libanais né en 1883, mort en 1931 à New York, auteur du livre : « Le Prophète », paru en 1923, d’où est extraite la citation.