Usine du Sud - Accord politique

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Lac de Yaté, 42km²= surface de la fosse minière

Lac de Yaté, 42km²= surface de la fosse minière

Réponses de Raphaël MAPOU, porte- parole de l’ICAN aux questions d’Action Biosphère du 27 mars 2021

 Préambule :

Pour commencer, nous tenons à saluer l’organisation de la lutte qui a permis de faire entendre les revendications légitimes des populations et l’engagement de discussions coordonnées par le président du congrès pour sortir du conflit que nous considérons comme une avancée importante. Il n’est toutefois pas moins vrai que l’accord politique issu de ces discussions comporte des zones d’ombre qui méritent quelques éclaircissements. Il soulève également des questions légitimes, du fait de notre soutien à la mobilisation du collectif USUP, auxquelles nous souhaiterions avoir des réponses. Ces questions sont l’objet du présent document.

1.    Cession des titres miniers : Les titres miniers de VNC seront cédés volontairement à Sud Nickel filiale de Promosud. Quelles sont les modalités de cette cession et quel en est le montant ?
Réponse : la délibération provinciale votée par l’assemblée provinciale a autorisé la vente sous condition suspensive à savoir « que les titres seront transférés à la filiale de promosud qui vient d’être crée, sud nickel ». Les titres miniers comme l’usine sont cédés au prix symbolique de 1 euro.

2.    Amodiation : « Les titres miniers seront amodiés à Prony Ressources pour une durée indéterminée…Le contrat d’amodiation sera négocié par Sud Nickel et le consortium de rachat….sans préjudice pour la viabilité économique de la nouvelle société ». En cas de déficit de celle-ci quels bénéfices la Province sud retirera-t-elle de l’amodiation de ses titres miniers ?
Réponse : L’amodiation est un bail d’exploitation qui rentre dans la catégorie Charges de GORO/PRONY RESSOURCES et est payé comme les autres charges d’exploitation.

3.    La société Prony Ressources sera détenue par 4 entités.
- La SPMSC qui porte la participation des 3 provinces, à hauteur de 30%. Où les provinces trouveront-elles les moyens de financer 30% des actions, sachant que la PS n’a pas réussi à payer 5% des actions qu’elle devait à Valé ?
- Une fiduciaire à titre provisoire, à hauteur de 21%, qui transmettra ses titres progressivement au FCPE à hauteur de 12%. En quoi consiste le FCPE ? et au FPRESC (Fonds de Prévention des Risques Environnementaux et Socio-culturels) à hauteur de 9%. Selon A. Digoué, « ce fonds sera sollicité selon les besoins…Le but est de travailler le statut pour que tout le monde s’y retrouve » LNC du 12/3/2021. Quelles garanties sont-elles données dans le cadre de l’accord pour que ces fonds bénéficient bien aux générations futures ?
- Trafigura à hauteur de 19%. (Un spécialiste en négoce des matières premières)
- Compagnie Financière de Prony à hauteur de 30% avec actionnariat majoritaire MANCO (sans Antonin Beurrier).
Sachant qu’au 12/01/2021, la CFP ne disposait que d’un capital social d’1 euro et que son président était Antonin Beurrier, quel crédit peut-on accorder à cette assertion ? De plus, comment un complexe comme celui de l’usine du sud peut-il valoriser de façon « optimale » le minerai du sud sans partenaire industriel ayant une expertise avérée en hydrométallurgie ? Et en cas de déficit ou de faillite, qui devra prendre en charge les pertes ?
Réponse : Nous avons tenté jusqu’au terme du délais fixé pour les négociations, d’introduire un expert industriel en hydrométallurgie et raffinage comme « Murin Murin » du groupe Glencore. Mais ni Trafigura, ni Glencore n’ont accepté de se marier sur ce projet. Il y a un engagement à ce qu’une étude faisabilité de la raffinerie soit commandée par Trafigura. Deux orientations stratégiques devront être appréciées : la raffinerie pour du Nio et une raffinerie pour obtenir du nickel batterie ( avec Tesla). En cas de déficit, c’est Trafigura/CFP qui devra répondre et il a une obligation de résultat : rendre rentable l’usine sinon, en septembre 2024, il pourra être remercié.

4.    L’exportation de minerai : Pourquoi l’accord politique ne comporte-t-il aucune mention sur l’exportation de minerai brut, alors que l ’USUP s’y était vivement opposé, arguant du fait que cette option relève d’une politique de la terre brûlée. L’absence de contrainte dans ce domaine laisse à la nouvelle société Prony Ressources toute liberté d’y avoir recours, le cas échéant pour équilibrer ses comptes comme le prévoyait A. Beurrier ?
Réponse : L’exportation de saprolites n’est pas prévue dans l’accord politique.

5.    Le Conseil d’administration : Le conseil d’administration de la société Prony Ressources compte 8 sièges :
- 2 SPMSC et 2 pour la fiduciaire (FCPE et FPRESC) donc 4 sièges pour 51% des actions,
- 4 à répartir entre CFP et Trafigura (représentants des intérêts privés)
Cette répartition ne garantit pas aux représentants des intérêts « Pays » (4 sur 8) d’être majoritaires au CA et ouvre la porte au leadership des intérêts privés, particulièrement ceux de la CFP présidée jusqu’à nouvel ordre par Antonin Beurrier, sur les décisions prises par le CA de Prony Ressources. Comment en a-t-on pu arriver à une telle dérive en contradiction flagrante avec les objectifs du collectif USUP ?
Réponse :  Le conseil d’administration : pourquoi les intérêts Calédoniens sont minoritaires ? Parce que le cadre des négociations - au moment où elles ont été ouvertes (2ème quinzaine de février)- étaient verrouillés par l’Etat et Vale Toronto et la province sud. Pour ces derniers, le choix était fait de confier les commandes à un industriel et donc le conseil d’administration est majoritairement contrôlé par Trafigura/CFP.
Au moment de l’ouverture des négociations, nous avons dû nous déterminer après avoir cru jusqu’en février 2021 que l’on pouvait faire une nouvelle offre avec le soutien de l’État. Ce ne fut pas le cas et nous n’avons eu que deux possibilités :, aller à la négociation avec un cadre arrêté autour de Trafigura/CFP ou ne pas y aller et demander la fermeture. La deuxième option aurait été un échec y compris sur le plan environnemental.

6.     L’amnistie : S’agissant d’un accord politique dans lequel l’Etat n’a pas particulièrement brillé par son engagement dans le respect de l’article 32 de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, pourquoi les négociateurs n’ont-ils pas exigé et obtenu l’amnistie pour toutes les personnes impliquées dans les évènements en lien avec la transaction de l’usine du sud, en priorité pour les salariés que Valé a récemment décidé de licencier en raison de leur engagement dans ce conflit ?
Réponse : L’amnistie – c’était un Objectif, mais l’Etat n’est pas partie prenante des discussions. Il y a eu une fin de non recevoir. Aujourd’hui on s’occupe des affaires judiciaires et des licenciements. Il est clair que le bon règlement de ces deux questions constitue, une question essentielle pour l’avenir de l’usine.

7.    Environnement : Prétendre inscrire la transaction de l’usine du sud dans une trajectoire globale de développement durable, vouloir donner la priorité aux sujets environnementaux en invoquant un éventuel partenariat avec Tesla pour produire du NHC de batterie pour voitures électriques, le projet de ferme solaire de 30MW et la neutralité carbone en 2040, ça ressemble davantage à du greenwashing avec des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient. Pourquoi ne trouve-t-on dans l’accord aucun engagement ferme garantissant le financement de l’oeil, ce qui constitue pourtant une action urgente et prioritaire en matière d’environnement ?
Réponse : Environnement : L’oeil… Il est vrai qu’il n’y a pas eu d’engagement ferme mais il y a eu quand même un engagement de principe. La critique est compréhensible mais attendons de voir ce qui sera fait. Il y a une différence notoire avec le traitement du pacte de développement durable qui lui est reconduit. C’est vrai, mais il ne faut pas oublier que si le maintien du Pacte est acté, c’est entre autres le résultat de recours judiciaires engagés par l’avocat de Rhéébù Nùù et du CCDK. Pour l’oeil, personne n’avait pris la responsabilité d’engager un recours judiciaire contre Vale pour faire respecter ses engagements.

8.    Garanties : L’accord annonce un doublement des garanties environnementales portées par Prony Ressources et exigées par la PS. En l’absence des résultats des 7 expertises, comment est évalué le montant des garanties et sur quelles bases sont-elles calculées ? En cas de fermeture de l’usine, les 17 milliards prévus sont-ils suffisants ? En cas de faillite du consortium, comment seront financées ces garanties ? Après la vente du complexe, dans quelle mesure la responsabilité de Valé reste-t-elle engagée en cas de catastrophe avec KO2, mais également vis-à-vis de la réhabilitation du site ? Ne serait-ce pas là tout l’intérêt que Vale a de vendre tout en donnant de l’argent… une fois la vente signée, quel recours aurait la NC pour faire valoir une quelconque responsabilité de Vale dans la détérioration du Sud ?
Réponse :  Nous avons fait le tour de la question avec la Dimenc qui estime qu’au vu de ce qui se fait au niveau national et européen, le chiffre de 17 milliards constitue un niveau élevé en matière de garanties.La garantie est une somme consignée qui est mobilisable de suite, s’ il y a un accident majeure sur KO2. Après ce sera au tribunal de statuer sur les dégâts réels et de condamner l’industriel à payer le surplus… Affirmatif : on ne pourra pas faire revenir VALE après son départ… mais on le savait quand on s’est engagé dans la discussion. Par ailleurs, exiger de vraies garanties de Vale avant son départ, était de la responsabilité de l’État français, du Congrès et de la Province Sud. BEURRIER a su manoeuvrer pour le compte de Vale Toronto pour rendre caduque ce sujet, depuis 2020 et le lancement de la procédure d’appel d’offre.

9.    Suivi : L’accord prévoit la création d’un comité de suivi des 7 expertises et d’un autre comité environnemental constitué de structures locales de défense de l’environnement, dont les membres seront désignés par l’autorité régulatrice. Quels sont les critères et les modalités de choix de ces structures ? Pourquoi 2 comités ? leur mission est-elle de représenter la société civile en toute indépendance ou s’agit-il de comités « godillot » destiné principalement à cautionner les décisions des « autorités régulatrices » ?
Réponse : Les réunions du CICS doivent permettre le suivi du projet au niveau environnemental. Il faudra que ce CICS soit régulièrement convoqué. Pour le comité de suivi, il est question de trouver une formule d’organisation avec le CCCE et l’oeil ainsi qu’avec GREENCROSS pour suivre en premier les travaux des 7 expertises commandées et assurer ensuite un suivi participatif.

10.    Greencross et consultation du public : L’accord prévoit la consultation des populations locales sur l’impact de l’usine du Sud au travers des 7 expertises validées par la PS, dont la restitution au CICS sera assurée par Greencross. De nombreuses ONG sévissent déjà en NC, parfois au détriment des associations locales. Quelle est l’utilité d’une nouvelle ONG en NC ?

11.    Expertises : Parmi les 7 expertises retenues par les autorités de l’Etat et la PS, alors que le Grand Sud est reconnu comme un hot spot de la biodiversité et du micro endémisme notamment pour le maquis minier, pourquoi ne trouve-t-on pas d’expertise spécifiquement dédiée à la biodiversité terrestre, à la conservation des espèces endémiques rares menacées, un bilan des plans de conservation, un état des surfaces à réhabiliter…. Selon B. Richer de Forges, une véritable expertise pour évaluer les dégâts de l’usine du sud sur la biodiversité et proposer des solutions pour qu'une telle destruction ne se poursuive pas, les experts devraient être : un microbiologiste, un spécialiste de la faune des sols, un botaniste, un entomologiste, un hydrobiologiste, un écologiste des milieux tropicaux, un sédimentologue…
 Réponse : Expertises : vous avez raison

12.    Le projet Lucy et après ? : Dans la perspective d’une sécurisation du barrage et surtout de la gestion à venir des résidus, le projet Lucy semble être une priorité, mais que fera-t-on des résidus solidifiés quand le bassin de stockage sera plein dans 10 ans ?
Réponse :  Il y a des expertises sur la solidité du barrage et un autre sur la qualité des résidus solidifiés pour savoir, quelle est le relargage des métaux lourds ? Pour 11 ans, il est question de faire du stockage-poids sur le barrage et l’expertise répondra sur la stabilité des résidus solidifiés.

Conclusion :

Après plus de 10 ans de fonctionnement de l’usine du sud, les pertes gigantesques qu’elle a générées, la destruction massive qui lui sont imputable, nous considérons que, pour des raisons géographiques, écologiques, climatiques, botaniques… l’hydrométallurgie n’a pas sa place dans le sud et qu’il convient de décider de mettre un terme à cette technologie particulièrement destructrice. Nous proposons donc un arrêt planifié de cette activité au plus tard dans une dizaine d’années et de remplacer les emplois détruits par la fermeture du site, par autant d’emplois créés dans des activités économiques alternatives respectueuses de la santé et de la nature. Nous demandons, dans cette perspective, qu’un budget conséquent soit d’ores et déjà prélevé sur les sommes destinées à la reprise de l’usine du sud pour être affecté à la création de ces activités alternatives créatrices d’emplois. Cette doléance peut-elle faire l’objet d’un amendement de l’accord politique entre l’USUP/ICAN et la PS et inscrite dans la délibération de la PS qui validera la transaction ?

Réponse : Sur votre conclusion, je n’ai pas d’observation particulière. La première échéance est le rendu des 7 expertises qui diront si les impacts sont réversibles ou pas. Puis il y a l’échéance de 2024, pour savoir si le modèle marche ou pas, est rentable ou pas. Nous avons inscrit la mise en place du Fonds de Prévoyance des Impacts environnementaux et socio-culturels, qui sera en soi, le départ du fonds pour les générations futures.

Dernière précision :
Nous avons décidé d’engager les négociations en mi-février, après avoir attendu que l’Etat français, réponde favorablement à la demande formulée par le FLNKS, d’une intervention de l’Etat. Concrètement, nous avons défendu le principe d’avoir dans le consortium un industriel en hydrométallurgie & raffinerie, avec une contrainte environnementale majeure : le traitement des résidus de l’usine pour éliminer à terme, les risques du bassin KO2.  Nous sommes obligés de reconnaître à posteriori que le cadre de la négociation était verrouillé depuis le 04 décembre et nous pensons avoir sauvé l’essentiel, car la stratégie de certains de nos détracteurs et même l’État, était que notre mobilisation aboutisse à un échec avec un plan de mise en sommeil qu’une majorité de Calédoniens nous reprocherait ensuite.