Evaluation du plan de gestion 2018/2022 du Parc Naturel de la Mer de Corail

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La mer

Réponses au questionnaire de Bioeko.nc

Préambule :

Les objectifs formulés dans la présentation du questionnaire sont ambigus : S'agit-il de mesurer l'écart et la cohérence entre les objectifs fixés dans le Plan de gestion et les dispositions prises par la Direction des Affaires Maritimes entre 2018 et 2022 ? Et dans ce cas s’agirait-il plutôt d’une enquête de satisfaction comme peut en faire une entreprise auprès de ses clients ? Ou bien s'agit-il de mesurer l'écart entre les objectifs du Plan de gestion et la réalité observable sur le terrain ?
 Ce qui semble très difficile voire impossible, d'abord du fait qu'on n'a pas de rapports scientifiques chiffrés sur l'état du milieu qui nous permettraient d'évaluer l'évolution entre 2018 et 2022, ensuite parce que les objectifs tels qu'ils étaient formulés ne comportaient pas d'indicateurs chiffrés. Cette confusion vient surtout de la méconnaissance ou d’une utilisation impropre du concept d'objectif : celui-ci doit être le résultat d'un processus opérationnel (concret), observable (donc visible sur le terrain) et mesurable, c’est-à-dire qu’il s'appuie sur des critères et des indicateurs chiffrés. Ce qui n'est pas le cas du Plan de gestion tel qu'il a été conçu en 2018.

Questionnaire :
I. CONNAISSANCE DU PARC

1. Pouvez-vous citer les principales valeurs du Parc qui ont conduit à son classement ?

Les raisons qui ont conduit au classement ne correspondent pas nécessairement aux principales valeurs du parc. Ces raisons qui ont poussé au classement sont manifestement d’ordre géopolitique et économique alors que les principales valeurs du parc tiennent davantage à la conservation exceptionnelle de la biodiversité et des écosystèmes du milieu marin dans cet espace.
Raisons probables du classement :
- Présenter à l’international une vitrine de la Nouvelle-Calédonie et de la France dans le
Pacifique en matière de protection du milieu marin et de ses ressources
- Fixer un cadre destiné à favoriser l’exploitation de ressources biologiques et/ou le
développement futur d’activités extractives en eaux profondes.
- Capter des fonds auprès de bailleurs de fonds au niveau international et tirer profit de
certaines ressources en privatisant le développement de certaines activités.
- Légitimer et financiariser éventuellement des droits d’accès ou des permis d’exploration ou
d’exploitation

2. Quels sont selon vous les enjeux prioritaires de conservation au sein du Parc ?

- Préserver l’un des rares espaces intacts sur la planète dont les écosystèmes, en raison de leur éloignement sont restés quasi vierges ou n’ont été que faiblement impactés par les activités  humaines (par exemple, les récifs isolés ou les monts sous-marins) pour pouvoir les transmettre aux générations futures dans le même état que celui où on les a trouvés.
- Veiller au maintien du milieu et à la conservation des espèces par un contrôle rigoureux ou l’interdiction d’activités susceptibles d’y porter atteinte, (tourisme, pêche industrielle ou braconnage) pour éviter un effondrement des populations voire la disparition locale de certaines espèces.
- Prévenir et lutter contre toute forme d’agression du milieu (réchauffement climatique, pollutions par hydrocarbures, plastique, activités extractives, exploration et exploitation des ressources en eaux  profondes…)

3. Quels sont selon vous les enjeux économiques au sein du Parc ?

- Tourisme
- Pêche
- Possibles activités extractives y compris en eaux profondes
- Proposer sur le marché international des droits à polluer donc d’émettre du CO2 contre
rémunération, alors que la NC est dans le peloton de tête des pays émetteurs de carbone, et que ses émissions de CO2 sont intégrées dans le quota de la France métropolitaine.

4. Quels sont selon vous les enjeux culturels et/ou sociaux présents au sein du Parc ?

- Intérêt géostratégique de la France dans le Pacifique
- Avoir un contrôle sur la fréquentation de la zone
- Associer les kanak à la gestion du Parc pour faire valoir leurs liens coutumiers traditionnels, ce qui contribue à la crédibilité de la gestion du parc à l’international.

5. Selon vous, le développement de ces enjeux économiques est-il compatible avec les enjeux de conservation identifiés au sein du Parc?

Si la finalité du parc, telle qu’elle a été formulée à l’article 3 de la délibération n°51 CP du 20 avril 2011 est bien « une zone dédiée à la protection et au maintien de la diversité biologique et des processus écologiques qu’elle comporte ainsi que des ressources naturelles et/ou des valeurs culturelles qui lui sont associés », les activités qui y sont autorisées doivent être soumises à cette priorité et être soigneusement contrôlées pour éviter une dégradation du milieu. En raison de leur impact, certaines de ces activités, par exemple les activités extractives, doivent y être purement et simplement interdites. Selon la richesse ou l’intérêt biologique d’une zone, les mesures de protection adoptées peuvent varier mais ne doivent pas être dictées sous la pression d’impératifs économiques. Nous constatons avec regret que l’article 3 de la délibération de 2011 ne figure plus dans la Loi de Pays adoptée en décembre 2021, ce qui constitue à nos yeux une atteinte au droit de non régression en termes de législation de l’environnement.

6. Pouvez-vous citer les principaux enjeux de connaissance du PNMC ?

- Dynamique des populations, des cycles, des relations entre les espèces et des espèces avec leur milieu
- Connaître les impacts des activités humaines sur les espèces et les écosystèmes de la mer de Corail
- Connaissance des ressources génétiques et lutte contre la bio-piraterie (Protocole de Nagoya) – APA, (Accès aux ressources génétiques et Partage juste et équitable des Avantages découlant de  leur utilisation)- une compétence semble-t-il partagée avec l’Etat. ?

7. Au sein du Parc, quelles sont selon vous les 3 principales pressions et menaces pesant sur:

- les enjeux de conservation : Dégradation de sites sensibles consécutive à une fréquentation excessive ou inappropriée ; dérangement des grands vertébrés sur leurs sites de reproduction ; prises dites « accessoires » de la pêche industrielle
- les enjeux culturels : méconnaissance des standards internationaux de conservation (ex : catégories UICN et critères de gestion des AMP, et incohérence à l’interne, entre provinces et avec les pays limitrophes sur des points qui devraient être harmonisés en termes de protection de l’environnement…)
- les enjeux économiques : une exploitation voire un pillage des ressources au détriment des populations du pays, une gestion irresponsable à court terme, surpêche ou braconnage pouvant générer un effondrement des ressources halieutiques.

8. Pensez-vous que ce premier plan de gestion ait permis d’agir en faveur des enjeux de conservation prioritaires ?

Le Parc Naturel de la Mer de Corail apparaît avant tout comme une aire marine protégée sur
le papier, ce qui lui a valu la qualification d’être une coquille vide. Il a mobilisé beaucoup de
personnes, nécessité beaucoup de temps et d’énergie pour des résultats en faveur de la
conservation difficiles à évaluer et qui ne sont pas à la hauteur des enjeux (cf Entrecasteaux).

9. Pensez-vous que ce premier plan de gestion ait permis d’agir en faveur des enjeux culturels prioritaires ?

A notre connaissance, non. Car hormis l’étude anthropologique de M Degrémont, il n’y a pas
eu d’action répondant aux objectifs 3 et 4.

10. Pensez-vous que ce premier plan de gestion ait permis d’agir en faveur des enjeux économiques prioritaires?

Ce Plan de gestion a permis de recevoir des subventions européennes pour financer les services de communication.

II. IMPLICATION DES ACTEURS DANS L’ELABORATION DU PLAN DE GESTION ET NIVEAU DE COMPETENCE

1. Avez-vous participé à l’élaboration du plan de gestion ? Le plan actuel retranscrit-il vos attentes ?

Notre association, Action Biosphère, est membre du Comité de gestion et a participé à ce titre à l’élaboration du Plan de gestion dès la création du Parc en 2014. Nous avons tenté très régulièrement d’apporter notre contribution aux travaux du comité, mais regrettons que nos observations n’aient été que très rarement prises en compte ni fait l’objet de véritables débats sur le fond. Voir par exemple notre courrier en date du 20 décembre 2016

2. Etes-vous familier de la méthodologie d’élaboration d’un Plan de gestion environnemental ? Avez-vous bénéficié d’une formation sur le sujet ?

Nous n’avons pas la prétention d’être des spécialistes en Plan de gestion, mais nous avons étudié ce qui peut se faire ailleurs dans d’autres secteurs, pays ou autres AMP. Nous avons découvert la méthode Lisode lors des ateliers organisés par la Direction des Affaires Maritimes, mais nous regrettons qu’elle n’ait été que très insuffisamment appliquée à l’occasion de nos rencontres. Nous n’avons bénéficié d’aucune autre formation sur ce sujet. Nous pensons que les dysfonctionnements du comité de gestion tiennent moins de la formation de ses membres que de leur état d’esprit, de leurs motivations ou des finalités qu’ils poursuivent, de leur statut ou du statut des organismes qu’ils représentent, de conflits d’intérêts au sein du comité ou de la composition du Comité de gestion où les représentants de la société civile et des associations de défense de l’environnement local sont minoritaires.

III. IMPLICATION DES ACTEURS DANS LA GESTION DU PARC

1. Lors de cette première programmation du plan de gestion, à quelle action l’organisme que vous représentez a-t-il pris part ?
2. Souhaiteriez-vous être plus impliqué dans la gestion ?

Oui, à condition que les décisions par exemple du Comité de gestion soient plus en faveur de la protection et plus contraignantes lorsqu’il y a un risque d’atteinte à la nature.

IV. AVIS SUR LA GOUVERNANCE

1. Selon vous quel est le rôle actuel du Comité de gestion ?

Actuellement le Comité de gestion a un rôle de figurant. Il est censé être consultatif, mais n’est réuni que très occasionnellement et sert davantage de faire-valoir à des décisions prises ailleurs. Etant composé de plusieurs collèges qui ont des intérêts divergents, il n’est pas facile de dégager des avis qui font consensus, d’autant plus qu’au sein même de chaque collège, en raison du mauvais fonctionnement des collèges, il n’y a pas nécessairement d’accord entre les membres, faute de concertation et de discussion préalable.

2. Quel rôle souhaiteriez-vous pour le comité de gestion ?

Le Comité de gestion devrait être avant tout un espace qui permette aux représentants de chaque collège de s’exprimer et de faire remonter l’avis du collège, mais aussi d’échange et de confrontation sur la base de rapports et de données scientifiques, indépendants et éventuellement contradictoires. Le Comité de gestion devrait avoir un rôle plus actif voire réactif dans la gestion du parc. Il devrait être associé plus étroitement à la prise de décision. Son rôle pourrait se voir considérablement renforcé par l’adoption de la procédure de l’avis conforme en matière de prise de décision.

3. Selon vous quel est le rôle actuel du Service en charge du Parc ?

Il a une fonction d’information, et plus précisément de rendre accessible les informations à destination du Comité de gestion et du public. Mais c’est surtout un rouage administratif qui fait l’articulation entre les politiques, les acteurs économiques, la société civile et les scientifiques. Il a un rôle d’organisation et de coordination, de mise en scène des orientations fixées. Il devrait également être chargé du suivi et de la mise en oeuvre des décisions.

4. Etes-vous satisfaits des relations entre le comité de gestion et les autres organes du parc ? avec le secrétariat (Service du Parc) avec le Comité Scientifique.

Mise à part leur présidente qui assiste depuis 2019 aux réunions du Comité de gestion, nous ne connaissons pas bien les membres du Comité Scientifique ni leurs domaines de compétences réels.

V. LA SCIENCE POUR LA GESTION

1. Avez-vous connaissance d’une programmation des actions de recherche scientifique dans le parc pour ces 5 dernières années ? Lesquelles ?

OUI. 1. Programmation des missions de l’Amborella au service de programmes de recherche dans le Parc. 2. Programmation des missions de l’Alis par la commission nationale de la flotte. Ces recherches scientifiques sont effectivement menées pro parte dans le parc, mais pas nécessairement pour le parc.

2. Selon vous, les actions de recherche menées dans le cadre de ce premier plan ontelles
contribué à fournir des éléments pour répondre aux enjeux de connaissances
prioritaires ? Lesquelles ?

Nous observons que les actions de recherche menées dans le parc obéissent davantage aux objectifs propres des projets de recherche des laboratoires impliqués qu’à des demandes formulées de façon claire par le Parc.

3. Selon vous quel est le rôle actuel du Comité Scientifique ?

Pour comprendre le véritable rôle du CS, il faut d’abord rappeler que celui-ci a été constitué après que la réglementation sur le parc a été promulguée en 2018, alors que le bon sens eût imposé que le CS fût nommé bien avant, afin d’assister le comité de gestion dans la préparation des arrêtés, dont celui relatif au plan de gestion. Nous n’excluons pas que le retard de plusieurs années dans la nomination du CS ait été délibéré. Le rôle du CS est manifestement celui d’un faire-valoir.

4. Avez-vous connaissance des différentes actions du Comité Scientifique ? Citez
quelques action ou situations dans lesquelles le Comité Scientifique est intervenu ?

Oui, nous avons été partiellement informés de sujets d’études (mont sous-marin - Kea Trader..) Une interview de la présidente du CS, publiée sur le site du Parc, confirme implicitement l’analyse ci-dessus (rôle de faire-valoir). La présidente du CS y annonce docilement que le rôle du CS est de garantir que le Parc pourra « profiter à tous les Calédoniens ». «Profiter » : ce terme est ici employé de façon surprenante.

5. De quelle manière vous est remontée l’information (mode de remontée, support, fréquence) ?

Nous avons été invités à des restitutions par mail, eu des ppt ou visio-conférences.

6. Le rôle du Comité Scientifique répond-il aux attentes/ aux besoins du Comité de gestion ?

Nous avons souhaité que le Comité scientifique ré-examine les modalités de la mise en  réserve des archipels éloignés car les critères affichés par le Parc (« biodiversité » et « abondance en oiseaux marins ») n’ont manifestement pas été suivis. Nous attendons toujours que le CS s’autosaisisse de ce problème.

7. Quel rôle souhaiteriez-vous pour le Comité Scientifique à l’avenir ?

Dans le cadre des activités du collège de la société civile nous souhaiterions pouvoir saisir le Comité scientifique.

VI. VOTRE CONTRIBUTION POUR L’EVALUATION DU PLAN DE GESTION.

Nous demandons :
- que les catégories UICN soient adoptées et appliquées pour l’ensemble des AMP du Parc à commencer par le Parc lui-même,
- que le plan de gestion ne se réduise pas en un simple catalogue de bonnes intentions, mais que les principales orientations se traduisent en termes d’objectifs opérationnels, observables et mesurables,
- que le Plan de gestion comporte aussi une répartition des tâches, un calendrier prévisionnel et une estimation des coûts,
- que les représentants salariés des ONG (Pew, CI et WWF) rejoignent le collège des entreprises, puisque les organisations qui les emploient, entretiennent, très souvent, avec l’administration du Parc des relations d’affaires avec des contrats et des conventions financières. Ces ONG utilisent le parc pour monnayer leurs services,
- que le Comité de gestion soit composé majoritairement de représentants de la société civile sans conflit d’intérêt, dont l’unique motivation soit citoyenne pour la défense de l’intérêt général,
- que le Parc Naturel ait un statut de bien commun inaliénable et donc non privatisable.

AB le 26/03/2022