Comment accueillir le moratoire du gouvernement ?
Nous demandons un moratoire depuis 2014. Outre plusieurs campagnes de sondages profonds qui ont eu lieu par le passé (exemple des sondages sur Fairway et Lansdowne , les campagnes halieutiques profondes dans le cadre du programme ZoNéCo, les chalutages exploratoires profonds de l’armement Intermarché, …) en 2015, deux campagnes sismiques ont été faites par l'IFREMER avec l'Atalante, même si le but affiché n’est pas forcement la pour des recherches de gisements de gaz et de pétrole, cela renforce nos inquiétudes. Enfin un moratoire ! Ce n'est pas trop tôt.
Est-il suffisant? Que manque-t-il dans le texte ?
Il manque surtout des engagements indiquant que la destruction de la diversité biologique, de la vie sur terre et dans les mers, va un jour s'arrêter. Or le moratoire concerne uniquement les ressources minérales ! Il manque clairement une protection des ressources biologiques, ainsi qu’une référence au protocole de Nagoya contre le pillage des ressources génétiques. La lecture du texte ne nous rassure pas. Par exemple aux pages 2 et 4 sont évoquées : " la masse de connaissances accumulées depuis plus d'une soixantaine d'années " ; " des ressources minérales convoitise de grands groupes industriels "et " une course folle aux terres rares ". On voit que l’objectif reste l’exploitation de ressources minérales convoitées et un moratoire de 10 ans, cela signifie une petite décennie laissée aux intéressés pour préparer le terrain. Au pire, et vu le cynisme de certaines compagnies minières et pétrolières, une amende de 5 à 20 millions ne peut être vue comme une garantie car cette somme est dérisoire pour elles… Le régime de sanction ne nous semble pas être à la hauteur de l’enjeu. Dix ans est une période bien trop petite : une génération, c’est 25 ans. De plus le régime d’exception n’est pas satisfaisant.
Ce moratoire s’oppose-t-il vraiment à la stratégie d’accaparement des ressources ?
Non, pas vraiment. Lors du cinquième sommet France-Océanie, le président de la République a clairement affiché la volonté d’exploiter les fonds marins. Dans le document de l’IRD « Les ressources minérales profondes en Polynésie française » toute une stratégie est exposée, qu’un moratoire de 10 ans ne contrarie en rien. On peut lire page 130 de ce rapport :
« Du point de vue du cadre réglementaire, l’essentiel reste à faire et il s’agit d’imaginer les types de dispositifs juridico-administratifs qui permettraient d’encadrer une activité minière sous-marine naissante dans le cadre d’une stratégie de développement minier dont la rédaction doit associer l’ensemble des parties prenantes. Le document de stratégie doit engager les pouvoirs publics sur de nombreuses années. La capacité d’anticipation est essentielle, dans la mesure où il s’agit potentiellement d’un secteur d’activité de grande ampleur faisant entrer en jeu des entreprises internationales ».
Est-il opposé à la planification énoncé dans la circulaire Castex de mai 2021 ?
Non plus, puisque dans la circulaire, 10 ans est la période proposée pour faire de la prospection, des recherches. Deux des priorités énoncées dans la circulaire sont :
Priorité I. Poursuivre et amplifier une action résolue et raisonnée et dans la durée d’acquisition des connaissances sur les écosystèmes des grands fonds et les ressources minérales sous-marines, tant sur le plateau continental que dans la Zone .
Priorité II. Amplifier et partager les efforts de protection des fonds marins dans le cadre d’une stratégie de sauvegarde de ces écosystèmes et de poursuite d’une stratégie d’exploration et d’exploitation durable de leurs ressources.
L’idée d’un éventuel moratoire est même envisagée, ainsi que des partenariats entre les institutions publiques et les entreprises privées.
Pourquoi craindre l'exploitation et l'exploration des fonds marins en Nouvelle-Calédonie ?
Nous les redoutons car il suffit de regarder les montagnes du pays pour savoir à quel point l’organisation actuelle est capable de détruire la nature. Plutôt que de s’enfermer dans une même stratégie de développement « infini » incompatible avec la finitude des ressources, il conviendrait de changer de paradigme en commençant par réparer les dégâts du passé.
La faune et les écosystèmes des grands fonds seront nécessairement affectés par les nuages de particules fines, la pollution acoustique, les rejets de résidus, les modifications de pH, de température et de concentration en oxygène des eaux environnantes, ainsi que les pollutions chimiques comme les fuites hydrauliques et de carburants en surface, les pollutions sonores etc… Il est impossible de prévoir l’ampleur des impacts de ces pollutions liées à l’exploration et à l’exploitation minières et pétrolières. Enfin, nous redoutons les risques liés à une privatisation potentielle de l'exploration / exploitation et in fine à une appropriation des ressources par les multinationales.
- Pourquoi est-ce si important de protéger ces espaces profonds ?
Les écosystèmes profonds sont relativement mal connus mais les connaissances d'ores et déjà disponibles montrent que ceux-ci sont extraordinairement riches en vie marine. Or celle-ci est très fragile, avec de nombreuses espèces qui croissent très lentement et vivent très longtemps. Il s'agit d'espèces vulnérables à tout changement des écosystèmes et à toute exploitation. Il est donc important de protéger les écosystèmes profonds, afin de ne pas les mettre en péril. Il faut respecter le principe de précaution.
- Le gouvernement ne ferme pas la porte à l'exploration scientifique pour trouver les médicaments de demain par exemple, mais aussi pour mieux connaître ces écosystèmes et laisser les « générations futures » décider d'exploiter ou non.
Le développement de cette recherche scientifique est-il compatible avec les enjeux de conservation environnementale ?
Les moyens de la recherche scientifique peuvent parfois être très intrusifs. Les dragages et chalutages effectués pendant de nombreuses années sur les monts sous-marins de la Nouvelle-Calédonie ont sans aucun doute eu un impact localement dévastateur. Des approches plus respectueuses des grands fonds marins doivent être adoptées. Il faut un contrôle strict et indépendant des finalités de la recherche scientifique et un encadrement rigoureux des opérations.
Par ailleurs, dans l'article 1er de la loi du pays, les méthodes non invasives pour la recherche scientifique ne sont pas énumérées et n'ont pas fait l'objet d'un arrêté du gouvernement. Qu'est-ce qu'une méthode « non invasive » ? Les campagnes sismiques sont-elles invasives ? Selon nous, oui bien sûr ! Les émissions acoustiques utilisées pour sonder les grands fonds marins impactent gravement le système auditif des grands cétacés à melon, comme les cachalots et les baleines à bec. Les effets de cette pollution sonore sur le reste de la faune marine ont fait l’objet d’études récentes et on commence à comprendre qu’ils peuvent être sévères. Nous sommes opposés à toute activité, y compris à toute recherche scientifique, susceptible d'impacter gravement les écosystèmes et la biodiversité des grands fonds marins.
Action Biosphère. Le 6 12 2022
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