Comment sortir d’une situation opaque, rétrograde et verrouillée ?
Nul ne contestera que l’énergie joue, dans la vie de tous les jours, un rôle primordial. Il suffit d’une panne de courant inopinée ou de la facture d’électricité à la fin du mois pour nous le rappeler. .
Même si « c’est la responsabilité des politiques que de choisir le mix énergétique » comme le rappelle M. Bégaud, le directeur d’Enercal dans les Nouvelles du 22 mars 2008, les calédoniens ont le droit de disposer d’une information non tronquée et objective sur ce sujet, ce qui est loin d’être le cas.
A l’heure où se concocte dans les bureaux feutrés et climatisés du gouvernement le PPI (Programmation Pluriannuelle des Investissements) qui selon l’avis même de M. Cortot, en charge e l’énergie « s’inscrit sur du long terme, 25 – 30 ans », il serait souhaitable que les calédoniens soient consultés et qu’ils puissent donner leur avis sur les choix et les programmes qui engageront leur avenir et celui du Pays pour de nombreuses années.
D’autant plus que la situation en matière d’énergie, en Nouvelle-Calédonie, mais aussi les perspectives que l’on tente aujourd’hui de nous imposer, sont très largement inspirées d’une conception rétrograde, très 19° siècle, largement dominée par un économisme triomphant, qu’incarne parfaitement Monsieur Bégaud, une conception qui malheureusement n’intègre ni les défis planétaires auxquels nous sommes confrontés, ni les avancées technologiques susceptibles d’y répondre.
Les choix énergétiques sont en effet encore largement soumis à un impératif unique : garantir aux opérateurs industriels du nickel, la SLN jusqu’ici, et bientôt Goro Nikel et KNS, les meilleures conditions de rentabilité au détriment d’autres considérations comme l’environnement ou même l’intérêt général des citoyens calédoniens.
Alors que la communauté internationale se mobilise contre le réchauffement climatique à cause de ses conséquences catastrophiques sur l’ensemble de la planète, et privilégie les énergies renouvelables, la Nouvelle-Calédonie, s’achemine vers un programme très lourd de centrales thermiques au charbon, à Prony 1 et 2, Doniambo, Koniambo, en plus des centrales au fuel déjà existantes.
Avec la complicité de l’Etat, qui nous a exclu la NC du Protocole de Kyoto sur la réduction d’émission de gaz à effet de serre, la Nouvelle-Calédonie peut donc s’autoriser sans vergogne, à contribuer de façon très significative au dégagement de CO2, et donc à accentuer le réchauffement climatique. La France, qui n’est pas à un paradoxe près, a même accordé la défiscalisation à Prony Energie, une centrale qui ne répond plus aux normes en vigueur en métropole en matière de rejets de SO2 et de NOx, pourtant reconnus facteurs d’acidification des sols et de pluie acide nuisibles pour la santé.
On estime que « Tuvalu sera le premier pays à être submergé par les eaux d’ici cinquante ans à cause du réchauffement climatique ». Nul doute que nos voisins de Kiribati et de Tuvalu, considérés comme les premiers « réfugiés climatiques » et plus proches de nous, nos concitoyens d’Ouvéa, apprécieront. La Nouvelle-Calédonie, terre d’asile, sera-t-elle prête à accueillir à titre de réparation, les 11000 habitants de Tuvalu concernés ? Est-elle prête à voir progressivement ronger par la montée des eaux, l’île d’Ouvéa et les autres îles basses qui l’entourent ?
Laisser entendre que Prony Energie est indispensable à la satisfaction de nos besoins en énergie est une mystification. Prony Energie a pour principale fonction d’alimenter Goro Nickel.
Pour y voir un peu plus clair, il conviendrait dans un premier temps de distinguer ce qui relève de la production électrique à des fins industrielles, jusqu’à présent essentiellement Doniambo, et ce qui relève de la consommation des ménages.
La consommation d’électricité en Nouvelle-Calédonie s’élevait en 2005 à 1883 GWh dont 66% pour la seule usine de Doniambo et 33% pour les besoins des autres entreprises, des administrations et des ménages.
Assimiler l’ensemble, c’est le premier pas qui consiste à faire supporter les charges des métallurgistes par les autres et justifier des choix énergétiques, comme les centrales thermiques au charbon, au seul bénéfice de l’industrie métallurgique.
Le barrage de Yaté et même la centrale de Doniambo sont avant tout des outils au service de la SLN, tout comme Prony Energie le sera pour Goro Nickel.
En vertu d’une convention datant des années soixante, 90% de l’énergie produite par le barrage de Yaté alimentent les fours de Doniambo, au tarif très préférentiel d’environ 3 Cfp du KWh et Goro Nickel bénéficiera de la même façon du tarif très avantageux de 13 cfp du KWh.
Sachant que le courant est facturé 31,30 Cfp le KWh aux particuliers, quel que soit leur revenu, y compris les plus modestes, cela revient à faire payer par les Calédoniens une subvention déguisée aux sociétés métallurgiques, procédé proprement scandaleux, compte tenu des bénéfices records affichés ou annoncés par ces dernières.
A noter que cette « subvention » s’ajoute encore à la détaxe du fuel et du charbon à l’importation, ce qui constitue aussi pour les industriels un cadeau fiscal et par conséquent un manque à gagner pour le Pays. Le prélèvement d’une somme infime, sur la tonne de charbon et de fuel importée permettrait pourtant d’alimenter un fonds très conséquent qu’on pourrait affecter à l’aide à l’investissement pour le développement des énergies renouvelables.
Les centrales au charbon permettent de produire de l’électricité pas chère. Mais le charbon est détaxé à l’importation, ce qui n’est pas le cas par exemple des panneaux solaires, et le coût en rejets de CO2 n’est pas comptabilisé, ce qui est contraire au principe pollueur payeur, et n’est plus acceptable au regard des conséquences environnementales et même économiques des rejets en CO2.
De plus, la construction de plusieurs centrales au charbon ne fait que renforcer l’extrême dépendance énergétique du Pays à l’égard des énergies fossiles, et rend donc son économie encore un peu plus vulnérable. Elle l’est déjà de par la mono industrie du nickel.
Par bien des aspects, la politique énergétique en Nouvelle-Calédonie se situe aux antipodes de celle que mènent aujourd’hui la plupart des pays « civilisés ». Considérer, comme le fait M. Bégaud, comme un atout pour la Nouvelle-Calédonie, ce qu’il nomme « puissance appelée » c'est-à-dire l’augmentation chaque année de 5% hors industrie de la consommation d’électricité, va à l’encontre de ce qui se fait ailleurs comme à la Réunion qui s’est fixé un Plan de réduction de la consommation d’électricité et de développement des énergies renouvelables (le PRERURE), qui vise à rendre la Réunion autonome en matière de production électrique en 2025.
Une augmentation de 5% par an doublera au minimum la consommation actuelle en 20 ans, évolution totalement irresponsable si l’on songe aux conséquences environnementales d’une telle perspective, complètement à l’opposé des engagements de la communauté internationale contre le réchauffement climatique.
Tant que la production électrique destinée aux particuliers est soumise au diktat de l’industrie du nickel, tout développement significatif des énergies renouvelables est voué à l’échec. Il faut en effet amortir l’investissement très conséquent que représentent les centrales au charbon. Dans cette perspective, tout ce qui pourrait détourner la contribution des particuliers au financement des centrales thermiques est jugé non rentable et donc à bannir, comme les énergies renouvelables.
C’est probablement ce qui a conduit un expert d’ENERDATA, le bureau d’étude mandaté par le gouvernement, à déclarer qu’il n’investirait pas un seul kopeck dans le solaire raccordé au réseau. De quoi être inquiet sur le mix que nous mijotent nos autorités gouvernementales, et ne pas être optimiste quant au développement des énergies renouvelables en Nouvelle-Calédonie.
Définir une politique énergétique en Nouvelle-Calédonie, c’est d’abord identifier les besoins. Ceux de l’industrie métallurgique n’ont rien de commun avec ceux des autres entreprises, des administrations et des ménages. Les moyens de les satisfaire doivent donc aussi être différents, pour coller au mieux à la demande.
Si les industries métallurgiques ont besoin, de centrales thermiques au charbon, il appartient à ENERCAL de leur en facturer le coût, étant entendu que soient appliquées à ces centrales thermiques, les dernières normes en vigueur en France et en Europe, et aussi des compensations pour les rejets de CO2, à hauteur de ce qui est prévu dans le cadre du protocole de Kyoto, en terme de droit à polluer. Ces compensations pourraient se traduire par des opérations de reboisement.
A plus long terme, rien n’interdit d’étudier la faisabilité de centrale géothermale recourant à l’eau chaude souterraine ou de centrales solaires thermiques comme on peut en trouver en Californie et en Espagne.
Pour satisfaire les besoins en électricité des foyers, il existe d’autres moyens que les centrales thermiques, à commencer par l’énergie hydroélectrique de Yaté que l’on pourrait coupler à des éoliennes, et surtout des installations solaires raccordées au réseau. La station de péage de Tina équipée d’une installation solaire raccordée au réseau montre que cette technologie ne présente aucune difficulté particulière et son rendement semble supérieur aux prévisions. A noter que la Réunion vient d’inaugurer la plus grande centrale photovoltaïque de France, comportant plus de 6000 panneaux, répartis sur 10000 mètres carrés, qui produira 1350 MWh par an.
Compte tenu de l’augmentation du prix du fuel, le gouvernement avait accordé l’an dernier un milliard à ENERCAL, pour ne pas répercuter la hausse sur les consommateurs. Malheureusement on peut prévoir que le fuel comme le charbon continueront d’augmenter et que cette mesure devra être renouvelée d’année en année, si on ne veut pas pénaliser les consommateurs. Cette mesure avait été présentée comme un moyen de lutter contre la vie chère. C’est aussi oublier, que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Cette somme aurait été probablement mieux employée, si elle avait servi à aider les consommateurs, y compris les plus démunis à s’équiper en solaire, ce qui à terme aurait permis de diminuer très sensiblement, voire annuler, leurs factures d’électricité pour de nombreuses années.
Définir ensuite un mix ou « bouquet » énergétique, c'est-à-dire la part de l’hydroélectricité, du fuel, du charbon, de l’éolien, du solaire, c’est d’abord être clair sur les objectifs qu’on poursuit et les critères de choix. Privilégier les intérêts de l’industrie métallurgique, c’est nécessairement sacrifier l’autonomie énergétique. Prendre en compte l’environnement, c’est faire payer le juste prix des énergies fossiles à ceux qui la consomment, en refusant d’externaliser certains coûts, comme les rejets de gaz à effet de serre, c’est aussi, par un soutien à l’investissement et un prix de rachat incitatif, encourager les particuliers à s’équiper en installations solaires ou éoliennes.
A l’heure où on parle de plus en plus d’entreprises éco-citoyennes, il serait temps que le gouvernement revoit sa politique énergétique. Le rachat par la Nouvelle-Calédonie des parts de l’Etat est l’occasion de faire d’ENERCAL une entreprise éco-citoyenne modèle, qui joue cartes sur table, qui accepte de prendre davantage en compte l’intérêt des citoyens, qui ne se confond pas nécessairement avec celui des sociétés métallurgiques et qui s’engage plus résolument à relever les défis environnementaux et énergétiques auxquels la Nouvelle-Calédonie sera tôt ou tard confrontée.
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