En matière de circulation, le Grand Nouméa connaît aujourd’hui une situation comparable à celle qu’ont connue les villes à moyenne ou forte population en métropole dans les années 70, toutefois elle est aggravée du fait :
- - de la situation géographique de Nouméa construite sur une presqu’île
- - du regroupement de la plupart des activités économiques à Nouméa même, alors que beaucoup de gens résident en périphérie
- - de la culture du « tout voiture » soigneusement entretenue (« 200 véhicules vendus en quatre jours » au salon du 4x4 en 2009)
- - des lacunes en termes de réglementation sur les déplacements urbains, imputables à l’inertie des pouvoirs publics et dont les importateurs de voitures tirent largement profit.
Cette situation est devenue particulièrement préoccupante, avec :
- - 14 300 nouvelles immatriculations en 2008, contre 9800 il y a 5 ans
- - un trafic de 2 950 véhicules par heure au Rond Point Berthelot
- ( Magéco) à la sortie de Nouméa aux heures de pointe.
- - 3 fois plus d’accidents que dans une ville comparable en métropole et 5 fois plus pour les accidents impliquant des cyclistes.
L’exaspération des usagers, qui passent tous les jours une heure ou plus au volant de leur voiture, le stress et aussi les risques encourus sont proportionnels à l’augmentation de la circulation. Tout le monde, y compris les élus, s’accorde à dire que nous sommes dans une impasse et que cette situation ne peut plus durer.
La problématique des déplacements urbains est complexe, parce qu’elle relève de compétences multiples, provinciales et municipales et qu’elle s’intègre nécessairement dans une réflexion plus large que les limites géographiques du Grand Nouméa qui porte aussi bien sur l’habitat, l’urbanisme et l’aménagement de l’espace, dans une perspective de rééquilibrage à l’échelle du Pays, mais aussi à l’intérieur de chaque Province, ou même de chaque commune, par la création de pôles d’activités décentralisés.
Urbanisme et circulation sont devenus des sujets d’actualité qui alimentent les débats, les conférences ( Convergence Pays), les émissions à la télé, les articles tels que ceux parus récemment dans la revue « Objectif » ou encore Les Nouvelles Calédoniennes :
- - Le 11 juillet : « Tontouta Mont-Dore en voie express, il va falloir patienter »
- - Le 13 juillet « Le vélo a-t-il sa place en ville ? » et « L’urbanisation, menace pour la mangrove ? »
- - Le 15 juillet : « Vers une amélioration des transports publics ? »
La lecture de certains de ces articles suggère qu’on réglera les problèmes de déplacement à Nouméa en augmentant les pistes cyclables pour les cyclistes, en améliorant les transports en commun pour les usagers des bus, et par extension en améliorant le réseau routier pour les automobilistes. C’est sans aucun doute se tromper d’objectif et engager la réflexion sur de fausses pistes. On est assez loin de l’esprit et de la lettre de la loi sur le Plan de Déplacement Urbain (PDU), en France.
En métropole, les législateurs, confrontés depuis de nombreuses années aux problèmes de circulation, ont adopté une réglementation destinée à améliorer la situation :
- - dès 1982 la loi LOTI ( Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs)
- - en 1996, la loi LAURE ( Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie) qui a rendu le PDU ( Plan de Déplacement Urbain) obligatoire pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants.
D’autres lois ont été adoptées depuis, comme la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain (SRU), et ont renforcé la réglementation sur le PDU. On est en droit, évidemment de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ces lois n’ont pas été étendues à la Nouvelle-Calédonie…
On notera aussi que le PDU n’est pas une loi en soi, mais se trouve intégré dans une loi plus large portant sur l’amélioration de la qualité de l’air en milieu urbain et la rationalisation de l’utilisation de l’énergie.
La finalité du PDU, telle qu’elle est énoncée dans la loi est « d’assurer un équilibre durable entre les besoins de mobilité des habitants et la protection de leur environnement et de leur santé. »
Les objectifs poursuivis se déclinent comme suit :
- - « l’amélioration de la sécurité de tous les déplacements
- - La diminution du trafic automobile
- - Le développement des transports collectifs et des moyens de déplacement économes et les moins polluants pour l’environnement, notamment l’usage de la bicyclette et la marche à pied
- - L’aménagement et l’exploitation des réseaux et des voiries d’agglomération, afin de les rendre plus efficaces, notamment en les partageant entre les différents modes de déplacement et en favorisant la mise en œuvre d’actions d’information sur la circulation
- - L’organisation du stationnement sur voiries et dans les parkings
- - Le transport et la livraison des marchandises, tout en rationalisant les conditions d’approvisionnement de l’agglomération afin de maintenir les activités commerciales et artisanales
- - La mise en place d’une tarification et d’une billettique intégrées pour l’ensemble des déplacements
- - L’encouragement pour les entreprises et les collectivités publiques à favoriser le transport de leur personnel, notamment par l’utilisation des transports en commun et du covoiturage, en réalisant un plan de déplacement d’entreprise… »
Ce dernier point est important car il s’est traduit en métropole :
- - par une loi dite du « Versement transport » qui impose aux entreprises de plus de 9 salariés de participer financièrement au développement des transports en commun.
- - par la mise en place du PDE ( Plan de Déplacement d’Entreprise). Selon « Actu-Environnement.com », le PDE est une démarche globale d’analyse et d’optimisation des déplacements au sein d’une entreprise, qui a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il permet également de maîtriser les coûts liés aux transports…Il débute par un état des lieux économique et environnemental permettant la définition d’une série d’objectifs chiffrés et de mesures à mettre en place. Ces mesures peuvent consister à sensibiliser le personnel, à financer les transports, à réorganiser les modes de livraisons ou toute autre mesure qui encourage l’utilisation de transports alternatifs. Le PDE résulte d’une démarche volontaire, permet l’accès à des aides financières…Les résultats du PDE obtenus par exemple sur le site PSA Peugeot Citroën à Sochaux sont encourageants. La France compte environ 250 PDE effectifs et 200 en préparation. »
S’imaginer qu’on va durablement régler les difficultés de circulation à Nouméa, dans un bureau d’études feutré, sans réduire la circulation automobile et sans associer tous les partenaires, à commencer par les usagers et les associations, les chefs d’entreprise etc., relève de l’illusion. Au lieu d’investir des sommes pharaoniques dans des échangeurs, des autoponts ou des parkings au centre- ville qui ne peuvent que favoriser une augmentation des voitures, il faut se poser la question :
Comment encourager les automobilistes à laisser leur voiture au garage et comment les amener à utiliser d’autres moyens pour se rendre à leur travail puis rentrer à leur domicile ?
La réponse attendue est un changement de comportement relevant donc d’un processus éducatif qui peut se révéler long, s’agissant d’adultes. Or la situation des déplacements à Nouméa exige des réponses immédiates. D’autres stratégies doivent donc être envisagées, comportant des mesures dissuasives ou au contraire incitatives.
La dissuasion existe déjà par le temps perdu dans les embouteillages, le stress de ne pas arriver à l’heure, le bruit, les coûts inhérents à l’utilisation de la voiture : le carburant, l’entretien, l’amortissement, les parkings, les amendes, mais aussi les risques d’accident, sans compter les coûts pour la collectivité, particulièrement la construction des routes et leur entretien. Elle pourrait aussi prendre des formes plus contraignantes comme l’interdiction de certains quartiers ou portions de rues aux voitures, ou l’introduction d’une taxe carbone dont il est beaucoup question en métropole, ou même d’une « carte carbone » destinée à rationner la consommation d’énergie des personnes, comme l’ont envisagée certains économistes et ministres britanniques …
Quelle que soient les solutions envisagées, l’implication des citoyens dans leur élaboration est indispensable. A commencer par exemple par une enquête auprès des automobilistes sur :
- - le trajet qu’ils effectuent tous les jours en voiture
- - ce qui pourrait les amener à utiliser un autre mode de déplacement.
Sans préjuger des résultats d’une telle enquête, il ne fait aucun doute que les propositions ne manqueront pas. Certaines sont d’ailleurs déjà connues :
- - la création d’un tram ou même à plus long terme d’un tram/train avec un réseau de lignes sur les axes les plus fréquentés
- - des ferries ou mieux des Navires à Grande Vitesse, reliant le Mont Dore à Ngéa ou port ferry…
Cette enquête révélerait aussi que bon nombre de personnes seraient probablement disposées à utiliser des transports en commun, des vélos ou la marche, si un minimum de conditions était réuni par exemple :
- - des trottoirs en bon état, dans toutes les rues, qui ne soient pas encombrés de détritus, de déchets verts ou de voitures en stationnement
- - des rues piétonnes en centre -ville
- - des pistes cyclables entretenues qui ne se limitent pas à des tronçons discontinus qui commencent et se terminent de manière impromptue ou fantaisiste, mais organisées en réseaux cohérents et sécurisés, donc d’une largeur suffisante pour permettre de circuler rapidement sans risquer de se faire écraser par une voiture ou un poids lourd
- - des transports collectifs réguliers, respectueux des horaires affichés, confortables, à fréquence appropriée, circulant sur des couloirs prioritaires et fonctionnant au GPL
- - des parkings sécurisés permettant de laisser sa voiture en périphérie
Et surtout, il importe de prévoir une synergie entre tous ces moyens, pour éviter les attentes lors de correspondance et éventuellement l’utilisation combinée de plusieurs de ces solutions.
Pour convaincre les automobilistes, il faut leur prouver qu’ils effectueraient leurs déplacements, plus tranquillement, plus rapidement, plus confortablement, de façon plus sûre et surtout plus économique en utilisant d’autres moyens que leur voiture. Pourquoi ne pas proposer comme à Paris des vélos ou même des transports en commun gratuits, ces mesures pouvant être financées par la réintroduction d’une vignette taxant massivement les grosses cylindrées, la contribution des entreprises et surtout la réaffectation intégrale des bénéfices des péages.
Il faudra aussi montrer aux automobilistes (mais ça sera peut-être un peu plus difficile) qu’il peut y avoir d’autres sensations de satisfaction que celles que l’on peut éprouver au volant d’une voiture, par exemple en contribuant, même à faible échelle à maintenir la planète en bon état.
On opposera à un tel dispositif l’argument du coût qui demande effectivement à être évalué le plus rigoureusement possible, puis comparé au coût direct et externalisé d’un développement exponentiel de la voiture. Par exemple : la construction et l’entretien du réseau routier, parkings, énergie, accidents, pollution, gestion des déchets, remblaiement des mangroves (l’échangeur de Ducos), traitement du stress etc. Il est fort probable, vu l’augmentation inexorable des carburants ou l’adoption imminente d’une taxe carbone évaluée aujourd’hui à 32 euros la tonne de CO2 rejetée, que les transports alternatifs à la voiture se révèlent non seulement plus économiques mais la seule solution viable.
Autrefois circuler en voiture dans certaines grandes villes de métropole, relevait du cauchemar, avec un hyper centre asphyxié, des bouchons qui n’en finissaient pas, un air irrespirable, des bruits de moteur assourdissants. En trente ans, ces villes ont complètement changé, comme Strasbourg dont la place Kléber au centre est devenue silencieuse malgré son animation en période de Noël. La ville est dotée de pistes cyclables et d’un tram confortable, de ruelles piétonnes. Nombreux y sont aujourd’hui ceux qui laissent leur voiture au garage et préfèrent se déplacer autrement. On prend plaisir à s’y promener et enfin, on respire…N’est-ce pas le sort qu’on peut souhaiter à toute ville soucieuse d’un développement harmonieux au bénéfice de ses habitants ?
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