Action Biosphère s'oppose au Plan de gestion du parc naturel marin de la Mer de Corail

Lagon Nouvelle-Calédonie

Lagon de Nouvelle-Calédonie

Projet de plan de gestion du parc naturel marin de la Mer de Corail

Déclaration d’Action Biosphère - réunion du comite de gestion du 20 décembre 2016

Monsieur le Président du gouvernement,
Monsieur le Haut-Commissaire de la République,
Madame,
Monsieur,

En préambule, nous tenons à saluer avec respect l’implication et le travail considérable dont ont fait preuve l’ensemble des acteurs qui ont contribué à l’élaboration du Projet de Plan de Gestion du Parc Naturel Marin de la Mer de Corail.
En ce qui nous concerne, nous nous sommes toujours efforcés, à la hauteur de nos moyens d’apporter notre pierre à l’édifice, et nous remercions les autorités du gouvernement qui nous ont fait confiance en nous associant à ce projet.
A ce stade, il nous paraît toutefois important, de préciser notre position sur un certain nombre de points, en tant qu’association de défense de l’environnement, membre du collège de la société civile. C’est l’objet même de cette déclaration.

Pour cela, un petit rappel historique s’impose :

Le 23 avril 2014, le gouvernement de Nouvelle Calédonie classe par arrêté la totalité de sa ZEE, en Aire Marine Protégée sous le titre de « Parc Naturel Marin de la mer de Corail ».

Le 21 juillet 2014, Action Biosphère dépose un recours au TA contre l’arrêté de création de ce parc aux motifs suivants :

  • absence de référence à la Charte de l’environnement adossée à la Constitution, en particulier le principe de précaution
  • non- respect de l’article portant sur l’information du public.

Le principal motif de notre recours tenait toutefois dans la contradiction entre la priorité statutaire de toute Aire Marine Protégée, à savoir, « la protection et le maintien de la diversité biologique et des processus écologiques qu’elle comporte ainsi que des ressources naturelles et/ou des valeurs culturelles qui lui sont associées » et la finalité statutaire du Parc Naturel Marin, à savoir : « rechercher le meilleur équilibre entre conservation et développement des activités humaines », une formulation ambigüe qui ouvre la porte à des activités extractives telles que l’exploitation des hydrocarbures ou des ressources minérales sous- marines, reconnues comme hautement destructrices du milieu , et donc incompatibles avec l’objet prioritaire de protection et de conservation, qui motive la création d’une Aire Marine Protégée.
Malgré les faiblesses juridiques de l’arrêté de création du Parc et notre désaccord sur le plan méthodologique, le 18 mai 2015, nous avons décidé de retirer notre recours, parce que nous ne voulions pas entraver la création du Parc. Nous avons considéré que ces lacunes pouvaient être corrigées par un plan de gestion rigoureux à la hauteur des enjeux.
Malheureusement à l’heure où le projet de plan de gestion est soumis pour validation au comité de gestion, nous sommes contraints de vous informer que ni le plan de gestion tel qu’il se présente, ni la démarche qui y a conduit ne correspondent à nos attentes pour les motifs suivants :

  1. La formulation du plan de gestion manque de rigueur et revêt un caractère peu contraignant.

Beaucoup d’objectifs et de sous objectifs du plan de gestion sont exprimés sous la forme d’intentions vagues, non mesurables, à l’aide de concepts flous dont nous ne partageons pas nécessairement la définition et qui se prêtent donc à des interprétations plurielles.
Les discussions autour des degrés ou catégories de protection et des activités qui y sont autorisées ( 6 catégories pour l’UICN – 4 pour la réglementation locale – « no take » pour Pew…) en sont une illustration. Des références communes, sur lesquelles nous nous sommes mis d’accord s’imposent, si nous voulons parler le même langage.
La mise en œuvre de certains objectifs ne se traduit pas en plans ou fiches actions, les référents ou organismes qui en sont chargés ne sont pas identifiés, ni les moyens financiers ou logistiques qui permettraient de les atteindre.
Par exemple, « Créer ou renforcer les statuts de protection des espèces patrimoniales, rares ou menacées » ne suffit pas pour en assurer la conservation. Encore faudrait-il que ces espèces soient précisément identifiées et listées. Le nautile ou les serpents marins par exemple, en font-ils partie ?
En matière d’évaluation, Il manque dans bon nombre de cas, des indicateurs de suivi et de résultats, et des seuils ou des critères, qui permettent d’évaluer si ces objectifs sont atteints ou pas. De plus il manque le plus souvent un calendrier ou une planification de leur mise en œuvre.
Le plan de gestion ressemble ainsi davantage à un catalogue de vœux pieux qu’à un véritable plan de gestion.
Les orientations et les directives ont pour la plupart un caractère non normatif, non contraignant. En cas d’infraction, aucune sanction n’est prévue. Tout y est donc permis.
Le plan de gestion reste à ce jour un document juridiquement non opposable.

  1. Une démarche qui manque de cohérence

L’Analyse Stratégique de l’Espace Maritime de la Nouvelle Calédonie est invoquée pour faire office d’état des lieux initial. Elle représente effectivement une somme considérable d’informations. Il s’avère toutefois que cette somme de connaissances ne suffit pas si elle n’est pas largement partagée et si les différents acteurs qui élaborent le Plan de gestion ne se les ont pas appropriées dans le cadre d’un diagnostic partagé. A fortiori si cet état initial présente des lacunes dans certains domaines. Cette étape nous paraît essentielle, nous considérons que nous n’y avons pas été suffisamment associés et que nous n’y avons pas consacré suffisamment de temps.
A nos yeux, l’état des lieux initial doit comporter : un inventaire et un état des espèces et des milieux, avec l’identification des périodes et des lieux de ponte ou de reproduction, un descriptif du fonctionnement écologique des milieux, un inventaire et une cartographie des pratiques et activités humaines, économiques, culturelles, de régulation, de gestion, de gouvernance, le cadre juridique comprenant les conventions internationales, les réglementations locales et le droit coutumier, dans lequel s’inscrit le projet de Parc.
Cet état des lieux aurait dû être suivi d’une expertise analytique permettant d’identifier les niveaux de dégradation des lieux et leur possibilité de restauration, l’élaboration d’une cartographie permettant d’établir un zonage des milieux, un zonage des activités et des modes de gestion, d’exposition aux risques et aux menaces anthropiques, les connectivités à l’interne, avec le lagon et le milieu terrestre et à l’externe avec les Pays de la région.
Enfin, cette démarche aurait permis de définir des zones et des orientations prioritaires d’intervention, de chiffrer les moyens humains, techniques et financiers à mettre en face et d’établir un calendrier de mise en œuvre.

  1. La cartographie et le zonage

La cartographie et le zonage font encore aujourd’hui l’objet de désaccords et de tensions, qui découlent d’un déficit en termes de connaissances notamment en matière de stocks de poissons pour la pêche, et aussi faute de temps de concertation. Il nous semble prématuré de présenter le plan de gestion du Parc Marin dans le cadre d’une consultation du public alors même que le Comité de gestion reste divisé sur ce sujet.
Nous avons tenté de faire une équivalence entre les catégories UICN et celles de la réglementation locale et sur cette base, nous sommes favorables à la répartition suivante :

UICN Locale Activités autorisées Localisation
I a R.I. Aucune sauf dérogation  

I b

R.I. Usage traditionnel sans prélèvement Zones roses présentées par CI, Fairway
II R.N. Navigation, tourisme … Mont sous-marins de la ride de Norfolk
III R.N.    
IV A.G.D.*

Toutes activités soutenables.
(donc pas d'exploitation minière)

L’ensemble de la ZEE
V Parc marin    
VI Parc marin    

Légende :
R.I. : Réserve intégrale, R.N. : Réserve naturelle, A.G.D.* : Aire de gestion durable (en précisant dans la réglementation locale que l’activité minière ne peut être considéré comme durable)

Pour ce qui est des usages futurs, compte tenu des engagements pris à l’occasion de la COP 21, nous sommes pour un gel définitif de l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures gaz et pétrole. En ce qui concerne les ressources minérales profondes, nous considérons que les activités extractives sont incompatibles avec l’objectif de préservation du milieu. Nous y sommes donc opposés.
En revanche, nous sommes favorables à un classement en catégorie IV de l’ensemble du Parc naturel marin non classé I a ou I b ou II. Comme nous n’avons pas eu accès au diagnostic d’inventaire des stocks de poissons, nous souhaitons que soit établi, dans les 5 ans à venir, un état de l’évolution de la ressource afin de revoir au mieux le périmètre ouvert à la pêche.

  1. La gouvernance

Nous constatons que certaines de nos propositions, par exemple d’inscrire dans le Plan de Gestion une référence à la Charte de l’environnement et plus particulièrement le principe de précaution ne figure toujours pas dans la version qui nous a été transmise, alors que cette proposition avait pourtant été actée au dernier comité de gestion. Il en va de même pour l’interdiction de l’exploitation minérale et fossile sous- marine verbalement validée en réunion du bureau. Ce qui laisse planer un doute sur le rôle effectif et le fonctionnement du Comité de gestion et du bureau.
Une bonne gouvernance commence par une totale transparence en matière de fonctionnement, ce qui n’a pas toujours été le cas, puisqu’il nous a fallu plus d’un an pour connaitre les termes des conventions qui lient CI, Pew et le WWF au gouvernement et donc comprendre le rôle spécifique imparti à ces ONG internationales au sein du collège de la société civile. Si nous ne remettons pas en cause le rôle de ces ONG au sein du comité de gestion en qualité d’experts ou de prestataires, l’opacité de l’organisation, qui entoure leur contribution au sein du comité de gestion ne favorise pas toujours une coopération dénuée de toute arrière-pensée.
Suite à l’appel à candidature pour le comité scientifique, nous avions proposé 3 personnes. Aucune n’a été retenue et nous venons d’apprendre incidemment que les membres du comité scientifique avaient été nommés, avec la présence de spécialistes du deep mining.
Plus préoccupant encore, le caractère non normatif et le cadre juridique créé par le Parc Marin et son Comité de Gestion permet de légitimer des décisions qui sont susceptibles d’être prises en aval par le Président du gouvernement et le haut-commissaire de la République, et qui ne correspondraient pas nécessairement à l’avis du comité de gestion.
Pour que le Comité de Gestion ne serve pas uniquement de décorum aux futurs arrêtés pris par les autorités compétentes, nous sommes favorables en matière de gouvernance aux modalités en usage pour le Parc de la Mer d’Iroise, à savoir pour toutes les décisions importantes, par exemple en cas d’impacts significatifs sur le milieu, la nécessité d’un avis conforme. Il appartiendrait au Comité de gestion de définir ce qui relève d’une décision importante.
Parce que nous considérons les océans comme un bien commun de l’humanité, nous tenons à émettre de vives réserves à la tentation qui consiste à faire appel systématiquement à des fonds privés pour gérer ce patrimoine, une dérive qui risque à terme de conduire à la financiarisation et à la privatisation des océans, auxquels nous sommes opposés.

  1. Un calendrier et un rythme de travail qui ne permettent pas une véritable concertation et encore moins le consensus

Le plan de gestion a été élaboré dans la précipitation. Le calendrier contraint et le rythme imposé n’ont pas permis d’établir un véritable diagnostic partagé qui aurait pourtant dû constituer les fondations de l’édifice, ni de réunir les informations nécessaires pour faire un état des lieux suffisamment documenté, ni de procéder à des échanges constructifs et à l’appropriation des arguments développés, ni de se donner une définition commune des concepts pour parler le même langage, ni d’aboutir par la concertation, à des décisions négociées et consensuelles
De plus, le rythme de travail imposé n’est pas compatible avec un fonctionnement associatif impliquant la participation des adhérents de chacune des associations qui composent le comité de gestion au processus d’élaboration du plan.
Nous restons évidemment favorables à la poursuite des travaux du Comité de Gestion, mais vous comprendrez qu’au terme de ces réserves, nous ne pouvons pas valider en l’état, le Plan de gestion tel qu’il nous sera présenté, parce que nous considérons qu’il n’est pas de nature à garantir « l’équilibre entre la conservation et le développement d’activités économiques » au sein du Parc.

ACTION BIOSPHERE le 18-12-2016