Cinquantenaire du drame d’Hiroshima
Discours d’ouverture de la commémoration du 6 août 1995 à Montravel
« Quelques jours après l’annonce faite par Monsieur Chirac de reprendre les essais nucléaires à Mururoa, il s’est créé un collectif dont l’objet est l’Arrêt Définitif et Immédiat des Essais Nucléaires.
Ce collectif est constitué de nombreux représentants d’églises, de syndicats et d’associations : l’Eglise Evangélique de Nouvelle-Calédonie et des Loyautés, l’église évangélique polynésienne, l’ADSPPK, l’Agence Kanak de Développement, le Comité pour la francophonie, l’Union Pacifiste, l’UGPE, le FSU, l’USTKE, des groupes de femmes, des étudiants, des particuliers et Action Biosphère. Je saisis cette opportunité pour remercier tous les membres du collectif, qui ont travaillé depuis sa création à la poursuite de nos actions. Au nom du collectif, je tiens à remercier les jeunes du quartier de Montravel, les autorités coutumières du Sud, d’avoir accepté de nous ouvrir leurs portes et de fouler leur terre, pour ce weekend de commémoration du drame d’Hiroshima. Pour ouvrir cette journée, je souhaiterais simplement rappeler les raisons pour lesquelles nous sommes rassemblés aujourd’hui.
La plupart d’entre nous sont nés dans des endroits très différents : certains viennent du Nord de la Grande Terre, d’autres du Sud, d’autres encore des Iles. D’autres viennent de régions plus lointaines du Pacifique : Wallis, Futuna ou Tahiti. Et quelques- uns d’entre nous viennent d’Europe, d’Allemagne, de France, de Bretagne, d’Alsace ou d’ailleurs. Nous n’avons peut-être pas la même langue maternelle, nous ne sommes pas de la même culture, nous n’avons pas les mêmes traditions, ni les mêmes coutumes. Nous sommes peut-être différents par la couleur de notre peau, par la place que nous occupons dans la société, par notre façon de nous habiller, de vivre et de penser. Beaucoup de choses nous rendent différents les uns des autres, et pourtant aujourd’hui, nous nous retrouvons réunis ici essentiellement pour deux raisons :
D’abord parce qu’il y a 50 ans, on a utilisé pour la première fois la bombe atomique en situation de guerre réelle, et cette bombe a fait environ 140 000 morts. Si nous sommes rassemblés ici, c’est pour exprimer notre refus de voir se reproduire un drame de cette envergure, car nous n’oublions pas que les armes atomiques sont d’abord des instruments de destruction massive. En tant que citoyens responsables, nous refusons l’hypothèse que l’un de nos dirigeants utilise l’arme atomique, parce qu’il déclencherait du même coup une riposte immédiate qui ne pourrait déboucher que sur l’apocalypse et la fin de l’humanité.
On entend parfois dire que la paix se fait en préparant la guerre, mais nous pensons au contraire que la meilleure façon de construire la paix est encore de désamorcer les sources mêmes des conflits qui sont la faim, la pauvreté, l’exclusion et le sous-développement. Nous prétendons que l’honneur de la France ne se mesure pas à sa puissance nucléaire, mais à sa capacité de tisser, avec les peuples de la planète, des liens de solidarité et de coopération.
La seconde raison qui nous pousse à être présents ici aujourd’hui, c’est notre attachement indéfectible à la terre, à la biosphère, à tous les éléments qui permettent la vie sur la terre. Prétendre que les essais nucléaires sont sans danger pour l’environnement et la santé est un mensonge éhonté. Les essais nucléaires ont des conséquences graves sur l’environnement :
Ils provoquent une dégradation du corail, ce qui entraîne des épidémies de ciguatera. Mais ils provoquent surtout des fractures et des fissures du sous-sol par lesquelles les substances radioactives risquent un jour de communiquer avec l’eau de mer et contaminer les éléments vivants dans la mer : les poissons, le corail, les algues…
Après Hiroshima ou plus récemment, après la catastrophe de Tchernobyl, en 1987, qui a fait 7000 morts, on sait aujourd’hui que la radioactivité tue. Elle provoque des cancers, des leucémies, des malformations qui peuvent mettre des années avant de se déclarer. La radioactivité perturbe profondément la vie des cellules et on sait aujourd’hui que même à faible dose elle peut être dangereuse.
Même si aujourd’hui on ne mesure pas un taux anormal de radioactivité dans la région de Mururoa, ce qui doit encore être démontré, comment peut-on affirmer qu’il n’y aura pas de fuites radioactives dans 10, 100 ou 1000 ans ?
Nous sommes ici parce que nous estimons que nous n’avons pas le droit d’exposer à des risques aussi graves les générations à venir, pendant des centaines d’années. Nous estimons qu’il s’agit là d’un risque majeur et qu’il est complétement irresponsable aujourd’hui de prendre un tel risque.
Pour toutes ces raisons, nous nous déclarons solidaires avec tous ceux, et ils sont nombreux dans le monde entier qui ont manifesté leur opposition à la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique. Nous lançons un appel pour que des personnes de plus en plus nombreuses viennent nous rejoindre et soutenir les actions que nous allons mener jusqu’à ce que Monsieur Chirac décide d’arrêter définitivement les essais nucléaires. Nos actions ne s’arrêteront pas là et notre mouvement continuera, car nous sommes fermement décidés à refuser l’escalade vers l’apocalypse nucléaire ou le suicide radioactif. Nous appelons chacun à se mobiliser pour exprimer notre volonté irrévocable de laisser à nos enfants et aux générations à venir une terre sur laquelle ils pourront profiter pleinement de la vie.
Pour terminer, je ne puis m’empêcher de vous lire quelques extraits d’un texte d’Ivan ILLICH écrit en 1967, au moment d’une marche sur le Pentagone et qui s’intitule :
« Un appel à célébrer »
« Je vous appelle, nous sommes nombreux à vous appeler, certains que je connais et d’autres que je ne connais pas, nous vous appelons :
- A célébrer ce pouvoir que nous avons ensemble de subvenir aux besoins qu’ont tous les êtres humains, de se nourrir, se vêtir, s’abriter…
- A découvrir ensemble ce que nous devons faire pour mettre la puissance de l’homme au service de l’humanité, de la dignité et de la joie de chacun d’entre nous…
Un défi nous est lancé : il convient d’abattre les systèmes sociaux et économiques qui ont fait leur temps, qui érigent une barrière entre ceux qui ont trop de privilèges et les exclus…
Nos systèmes en vigueur nous contraignent à agrandir notre arsenal guerrier, à accepter qu’il soit enrichi de toutes les trouvailles de la technologie. La véritable nature de la crise que nous vivons est la nature proprement démoniaque des systèmes qui contraignent l’homme à consentir à sa propre et constante destruction.
Notre liberté et notre pouvoir d’action se définissent par notre volonté d’assumer la responsabilité de l’avenir. Nous vous appelons à devenir ensemble des artisans de paix. Nous vous appelons à travailler ensemble à travailler ensemble à l’invention de l’avenir… »
- Se connecter pour publier des commentaires