Quel avenir pour l'industrie du nickel en Nouvelle Calédonie ?

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Manifestation du 21 Aout

ICAN

Les turbulences que traversent depuis plusieurs années déjà les activités industrielles, minières et métallurgiques liées à l’exploitation du nickel en Nouvelle Calédonie ne sont un secret pour personne. Avec un déficit abyssal, la SLN est au bord de la faillite, dans le nord, l’usine KNS doit faire face à des difficultés techniques sociales et financières récurrentes et Valé a annoncé la mise en vente de son usine de Goro, dans le sud.

Les menaces que fait peser le départ de Valé sur les garanties en matière d’emplois et d’environnement suscitent à juste titre une vive émotion au sein de la population calédonienne concernée et plus particulièrement parmi les sénateurs coutumiers de l’aire Drubéa Kapume qui avaient signé en 2008 le Pacte de Développement Durable avec Valé. Quelques semaines après l’annonce de Valé, de sa volonté de céder le complexe industriel du sud, ils ont créé en mars 2020 l’ICAN, Instance Coutumière Autochtone de Négociation qui réunit le Conseil Coutumier Drubéa-kapumé, les 8 grandes Chefferies et le Comité Rhéébu Nuu, pour faire valoir leurs droits et veiller au respect des engagements pris dans le cadre de ce pacte.

Pour donner à la mobilisation une dimension citoyenne à l’échelle du Pays, le comité organisateur, réuni le 12 août 2020, à la Maison Commune de la tribu de la Conception a décidé de créer le collectif « Usine du Sud=Usine Pays », qui regroupe 4 collèges, un collège coutumier, un collège politique, un collège syndical et enfin un collège associatif.
Après avoir assisté à cette réunion, nous avons été invités à participer en qualité d’association de défense de la nature et adhérent de l’œil (Observatoire de l’environnement en Nouvelle Calédonie), à la réunion du 19 août 2020 au sénat coutumier, portant sur les objectifs de la mobilisation du collectif et l’organisation d’une manifestation programmée pour le 21 août à Nouméa.

Considérant que nous partagions l’essentiel des objectifs portés par le collectif, Action Biosphère a décidé de soutenir son action et plus particulièrement les 12 points que comporte son cahier de revendication (téléchargeable ici) et de participer à la manifestation du 21 août 2020. Ayant été  intégrés à la délégation qui a déposé le cahier de revendications du collectif à la Province Sud, au Gouvernement, au Congrès puis au Haussariat, nous avons eu  l’opportunité d’insister particulièrement sur quelques uns des points suivants :

-    Une politique nickel cohérente à l’échelle du Pays : Pour éviter la dilapidation du patrimoine minier et pour faire face à l’appétit vorace des multinationales, il appartient au Pays d’adopter, dans les meilleurs délais, au-delà des intérêts particuliers des provinces une politique nickel cohérente à l’échelle du Pays en matière d’activités minières et métallurgiques pour une valorisation optimale des ressources et des retombées équitablement réparties au bénéfice des populations calédoniennes

-    Non à une augmentation des exportations de minerai brut. Pour tenter, à court terme, de sauver les emplois, la Province sud et le gouvernement ont annoncé leur intention d’autoriser, outre les exportations en cours, l’exportation de millions de tonnes supplémentaires, de minerai brut en provenance des réserves métallurgiques de Goro et de Tiébaghi, ce qui constitue à notre sens une fuite en avant et la mise en œuvre d’une stratégie de la terre brûlée. Priorité doit être donnée à la transformation locale du minerai dans des usines Pays

-    Des garanties en matière d’environnement. En cas d’acquisition de l’usine du sud par un nouvel opérateur, tous les acquis et engagements en matière d’environnement doivent être strictement tenus.  Nous considérons que l’œil constitue un instrument exceptionnel de connaissance des milieux terrestres et marins du sud et qu’il a apporté des contributions significatives en faveur de la protection de l’environnement (en particulier sur les feux de brousse) et qu’à ce titre les moyens de son existence doivent être garantis pour les années à venir, quel que soit l’avenir du complexe industriel du sud.

-    Une caution à la hauteur des enjeux : Nous demandons que soit exigée des opérateurs industriels (actuellement Valé) ou des éventuels repreneurs, une garantie telle qu’elle était prévue initialement dans le plan de fermeture de l’usine soit une somme d’un milliard de dollars US (environ 100 milliards CFP)  en cas de catastrophe environnementale grave telle que la rupture du barrage du bassin de stockage des résidus liquides, l’assèchement de la plaine des lacs, pollution du milieu marin à la sortie du tuyau ou de la Baie de Prony.

-    Une contre- expertise sur le projet Lucy. Le projet Lucy consiste à assécher les boues de l’usine, stockées dans le bassin de résidus liquides pour en faire des blocs compacts qui seraient empilés pour former une colline dans la vallée. Avant la mise en œuvre de ce projet nous demandons que soit réalisée, par un spécialiste reconnu comme le canadien Norbert Morgenstern,  une contre- expertise portant sur la stabilité de l’ouvrage et les risques liés à la thixotropie imputable à l’humidité de la latérite pouvant conduire à l’instabilité et à la rupture de l’édifice

-    Un état des lieux environnemental Nous demandons que soit fait préalablement à toute cession, un état des lieux environnemental pour vérifier que toutes les conditions fixées dans le cadre de l’autorisation ICPE ont bien été appliquées et les plans de conservation réalisés.

-    Un bilan du pacte de stabilité fiscale.  En tant que citoyens de ce Pays, nous demandons que nous soit communiqué le bilan de toutes les mesures d’exonérations fiscales dont les opérateurs industriels (INCO et VALE) ont bénéficié dans le cadre du pacte de stabilité fiscale depuis le début du projet en 2002. Nous nous demandons également si la nouvelle stratégie de Valé qui consiste à produire du NHC (Nickel Hydroxyde Cake) est bien conforme au cahier de charge du pacte de stabilité fiscale et dans la négative quelle mesure les autorités envisagent de prendre.

-    Le fonds souverain pour les générations futures. Indépendamment de toute nouvelle autorisation d’exportation de minerai brut, l’instauration d’une taxe prélevée sur chaque tonne de minerai extrait et/ou exportée pour alimenter le fonds nickel pour les générations futures
Nous espérons que ces doléances seront prises en compte et que des réponses satisfaisantes pourront être apportées pour trouver des solutions à la situation préoccupante que traversent actuellement les acteurs de la mine et de la métallurgie dans le domaine du nickel en Nouvelle Calédonie. Nous encourageons enfin les autorités compétentes chargées de l’élaboration d’une « politique nickel pays » à organiser leur réflexion autour de deux axes prioritaires :

1.    Réparer les dégâts du passé. Mettre en œuvre prioritairement tous les moyens disponibles pour réparer les dégâts environnementaux occasionnés par l’exploitation minière depuis plus de cent ans.

2.    Préparer l’après-nickel. Dès à présent et sans attendre, préparer le pays à sortir de la mono-industrie du nickel en relocalisant l’économie et en développant des activités économiques alternatives respectueuses de la santé et de l’environnement.
 

ACTION BIOSPHERE,

Nouméa, le 25 aout 2020.