Lettre ouverte à :
Monsieur MAPOU, président du gouvernement,
aux membres du gouvernement chargés du budget, des finances, de la santé, des politiques sanitaires et de solidarité, du suivi des comptes sociaux et du plan Do Kamo
Copie au Directeur de la DAVAR
Objet : Observations concernant l’autorisation de mise sur le marché de pesticides et l’usage des pesticides en Nouvelle Calédonie.
Madame Messieurs,
En qualité de membre du Comité Consultatif des Produits Pharmaceutiques à usage agricole et à usage « jardin », nous avons bien reçu votre courrier ayant pour objet la parution au JO du 3 août 2023, de l’Arrêté relatif à l’agrément de substances actives et l’homologation de produits phytopharmaceutiques du 26 juillet 2023, et nous vous en remercions. Suite à ce courrier, nous saisissons cette opportunité pour vous livrer notre point de vue sur les procédures et modalités de mise sur le marché et plus généralement l’usage des pesticides en Nouvelle Calédonie.
Premier constat : Le tableau 1 sur l’annexe de cet arrêté fait état de 9 substances actives agréées en NC par équivalence. Le tableau 2 fait état de l’homologation de 38 nouveaux produits phytopharmaceutiques. Ces 9 nouvelles substances actives s’ajoutent aux 110 de la liste des substances actives mise à jour le 28/03/2022. Les 38 nouveaux produits s’ajoutent à la longue liste des produits phytopharmaceutiques à usage agricole déjà homologués. Il est fort probable que le volume en termes de litres ou d’hectolitres de ces produits suive cette augmentation exponentielle. De toute évidence, cette tendance ne « s’inscrit pas dans une démarche globale visant à réduire progressivement l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en Nouvelle Calédonie…» comme le préconise l’article premier de la Loi du Pays du 7 février 2017.
Second constat : Le gouvernement a validé et donc autorisé la mise sur le marché de la totalité des substances actives et produits phytopharmaceutiques candidats à l’agrément et l’homologation, malgré leur toxicité probable ou avérée pour la santé et l’environnement et l’avis défavorable pour certaines de ces substances et produits, des représentants de la société civile. Ce constat nous conduit à penser que nos autorités compétentes préfèrent prioriser une « agriculture économiquement performante » au prix de la santé des citoyens, et au détriment des ressources naturelles, de la biodiversité, de la qualité de l’eau, de l’air ou, à long terme, la fertilité des sols.
Troisième constat : Les effets des substances et produits phytopharmaceutiques sur la santé et l’environnement sont largement sous-estimés et insuffisamment pris en compte. Un rapport paru en juin 2020 sous le titre : « Enquête sur les pesticides dans le secteur postal 67120 » rédigé par Dr Anne VONESCH, montre clairement que l’information officielle sur la toxicité des pesticides à long terme est tronquée et que l’écart entre l’affichage officiel et les risques réels à long terme pour la santé et l’environnement est considérable. Le document en annexe 1 permet de vérifier cet écart. Les codes et abréviations utilisés officiellement pour déterminer la toxicité et les phrases de risque sont largement insuffisants pour permettre aux membres du comité consultatif de donner un avis éclairé sur les substances et produits qui lui sont soumis. Pour la santé, les informations officielles sur les étiquettes ou les fiches techniques mettent le plus souvent en garde, à juste titre, sur les risques de toxicité aiguë qui pourraient affecter en première ligne les opérateurs au moment de leur application. Mais ils n’évoquent que rarement les dangers chroniques, souvent imperceptibles à première vue, auxquels sont exposés les consommateurs ou l’environnement à long terme, comme le montre le document ci-joint en annexe, avec des exemples tirés de la liste des substances figurant sur l’arrêté du 3 août 2023. En outre, pour l’environnement les indications officielles portent principalement sur les organismes aquatiques, parfois les abeilles mais n’évoquent que très rarement l’impact sur les oiseaux ou les autres organismes vivants qui constituent la biodiversité terrestre.
Quatrième constat : Les agriculteurs, qui sont les premiers concernés par l’usage des pesticides disposent légitimement d’une confortable représentativité au sein du comité consultatif. L’usage des pesticides comporte toutefois d’autres enjeux sanitaires et environnementaux qui concernent l’ensemble de la société civile. Il se trouve que le collège « protection des consommateurs et de l’environnement » est largement sous représenté, et donc structurellement minoritaire au sein du comité consultatif. Dans un contexte largement acquis à un modèle agricole industriel chimique, nous considérons que ce déséquilibre au sein du comité consultatif, reflète une défaillance de gouvernance et ne contribue pas au développement d’une agriculture saine et soucieuse de l’intérêt de tous.
Cinquième constat : Le comité consultatif s’est prononcé récemment à 11 contre 1 pour accorder l’agrément au flupropanate, un herbicide autorisé en Australie mais interdit en France, sans autres précisions sur les raisons qui ont conduit à son interdiction en France. Certaines substances ou produits phytopharmaceutiques, comme l’alphacypermecthrine, interdits en France et en Europe figurent encore sur la liste du 28/03/2022 des substances autorisées en NC. Le fait qu’ils soient autorisés en Australie ne réduit pas leur toxicité. En cas de toxicité avérée ou suspecte, nous demandons donc leur retrait dans les plus brefs délais. Nous demandons de plus, dans un souci de santé des consommateurs et de protection des producteurs locaux, l’interdiction d’importer en NC des fruits ou légumes traités avec des produits phytopharmaceutiques qui ne sont pas autorisés en Nouvelle Calédonie
Conclusion :
Compte tenu de ces constats, nous demandons aux autorités compétentes en matière de développement agricole, de santé et d’environnement et aux élus :
- Une véritable prise en compte des effets toxiques affichés officiellement ou non, que les pesticides sont susceptibles d’avoir sur la santé et l’environnement en NC
- Le respect du principe de précaution inscrit dans la Constitution française en matière d’agrément de substances actives ou d’homologation de produits phytopharmaceutiques
- de retirer dans les plus brefs délais, leur agrément ou homologation aux substances actives et produits reconnus les plus toxiques pour la santé et l’environnement dont nous avons l’intention de faire une liste qui vous sera communiquée.
- Une répartition plus équitable du nombre de sièges au Comité consultatif en faveur du collège des consommateurs et de la défense de l’environnement, pour une meilleure prise en compte des intérêts de la société civile.
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