La flûte des guerriers

Ricardo

Ricardo joueur de flûte des guerriers

« La flûte des guerriers » est la contribution d’Action Biosphère à la COP 21 à Paris en 2015. A travers ce document, nous avons voulu montrer que la Nouvelle-Calédonie ne se résume pas à un massif de nickel entouré d’un lagon inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Elle est aussi un Pays où des hommes et des femmes portent des projets alternatifs respectueux de la nature et des hommes.
En marge des écrans médiatiques, ils agissent au quotidien pour promouvoir une qualité de vie à long terme et résister à la dictature du Grand Marché Mondial.

Nous avons voulu leur donner la parole, pour que leur voix résonne comme autrefois du fond des vallées, la flûte des guerriers.

Le film a été sélectionné au festival d’Anûû-rû Aboro qui s’est déroulé à Poindimié du 14 au 22 octobre 2016. Il a obtenu le prix de la meilleure réalisation du Pays (2016) avec une récompense de 300 000cfp.

Voir la vidéo :

 

Le texte de la voix off : 

Tous ceux qui connaissent la Nouvelle Calédonie ou qui ont eu la chance d’y séjourner se souviendront longtemps des vastes plaines de la Côte ouest, des cascades et des forêts de la Côte Est, des massifs escarpés et austères de la Chaîne et des couleurs féériques du lagon.
Mais ils se souviendront aussi des montagnes décapées, des coulées de terre rouge dégoulinant dans les rivières, des balafres profondes aux flancs des montagnes consécutives aux activités de prospection ou d’exploitation minière. Car la Nouvelle Calédonie est aussi un haut lieu de l’exploitation du nickel et de la métallurgie, qui constituent sa principale richesse économique. C’est cette activité industrielle qui a fait entrer malgré elle, la Nouvelle Calédonie dans la mondialisation avec tout ce qui caractérise le mode de vie occidental : une consommation effrénée de produit importés, des montagnes de déchets, une surconsommation d’énergie fossile, la marginalisation d’une partie des populations et les problèmes liés à l’exclusion sociale…
C’est aussi les activités minières et métallurgiques qui placeront, dans un avenir proche, la NC dans le peloton de tête mondial, pour ses rejets de CO2,  avec ses 3 centrales thermiques au charbon. Conscients de cette évolution et de ses méfaits sociaux et environnementaux, des citoyens responsables, à l’écart des réseaux politiquement corrects et des écrans de fumée médiatiques, ont décidé modestement, de résister et de s’engager dans la réalisation de projets conformes à leurs valeurs de respect des personnes et de la nature.
Ces personnes ont pris l’initiative d’agir en adoptant des modes de vie, qui contribue à une qualité de vie à long terme. A leur échelle, ils participent activement à la lutte contre les changements climatiques.
Ce document a pour finalité de présenter quelques -uns de ces « porteurs d’avenir », hommes ou femmes qui contribuent à construire une société conviviale et solidaire.
Ce qu’ils ont entrepris montre qu’un « autre monde » est possible en Nouvelle-Calédonie aussi et que nous ne sommes pas condamnés à subir l’héritage d’une économie de comptoir, le diktat des importateurs et des multinationales du nickel.

I.    « Nourrir la terre qui nourrit la plante pour nourrir les hommes »

Les billons autour des tertres de case dans les vallées, et les tarodières abandonnées au flanc des montagnes témoignent de pratiques agricoles anciennes. Depuis 3000 ans, les populations autochtones tirent de la mer et de la terre ce dont elles ont besoin pour vivre : les poissons, les coquillages, les taros et les ignames pour se nourrir, les arbres de la forêt pour construire leurs cases, les plantes pour se soigner, se vêtir, se reposer, rythmer leurs danses et servir à nouer des alliances dans le cadre d’échanges coutumiers. Leur organisation sociale et culturelle, le calendrier des cultures, l’emplacement et la construction des cases sont intimement liés à leur milieu et aux ressources qu’il procure. Longtemps à l’écart des routes maritimes et des échanges internationaux, les populations kanak subvenaient à leurs besoins et le Pays vivait en parfaite autarcie. Sous bien des aspects, on trouve déjà, dans les pratiques agricoles traditionnelles et les cultures vivrières océaniennes, certains principes de base qui préfigurent ce qu’on appelle aujourd’hui l’agriculture biologique.
Le but de l’agriculture biologique est de produire des aliments sains, dans le respect des écosystèmes et de leur biodiversité, en s’intégrant harmonieusement dans le milieu. Elle renforce la santé et la fertilité des sols, par l’apport de compost ou d’engrais verts, sans recours ni aux engrais chimiques, gourmands en énergie, ni aux pesticides. Elle veille à la santé des plantes par la diversité et la rotation des cultures et à une bonne association des plantes. Elle fait un usage mesuré de l’eau, en ayant recours au paillage et évite l’utilisation abusive d’outils mécanisés nécessitant de l’énergie fossile. Elle protège les sols de l’érosion réduit les effets du vent et conserve les ressources hydriques. Elle s’interdit l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés. Elle assure en priorité aux producteurs des aliments de qualité et une source de revenus en répondant à la demande grandissante des populations soucieuses d’une nourriture saine. Elle contribue ainsi à assurer la sécurité alimentaire du Pays.
A l’arrivée des Européens, avec la pratique de l’élevage extensif, l’introduction de cultures commerciales comme le café, et surtout l’exploitation minière, le mode de vie traditionnel a été profondément bouleversé.  Jusqu'à une époque récente, l’agriculture locale couvrait l’essentiel des besoins alimentaires des populations. Mais à partir du boom dans les années 60, l’attrait de la mine et des revenus salariés ont détourné une part importante de la population rurale et contribué à ce que l’agriculture ne représente plus qu’environ 2 % du PIB du Pays.
Les salaires relativement élevas ont incité les gens à acheter au magasin des produits d’importation, une évolution qui rend le pays très dépendant pour la satisfaction de ses besoins élémentaires et met en péril la sécurité alimentaire des populations. Elle favorise aussi la mise sur le marché de produits poussés aux engrais et aux pesticides, à la traçabilité incertaine. Elle nécessite une surconsommation d’énergie fossile pour le transport, entraîne un exode rural massif, marginalise des personnes qui ne sont pas salariées, encourage la prolétarisation urbaine et le développement de squat et l’accumulation de problèmes sociaux ayant un coût de plus en plus élevé pour la collectivité, profite surtout aux circuits de distribution qui prélèvent au passage des marges substantielles.
Pour enrayer cette spirale, sortir d’une agriculture productiviste qui profite surtout aux gros producteurs et aux circuits d’importation et répondre aux besoins d’une population de plus en plus soucieuse de sa santé, le temps est venu de jeter les bases d’une agriculture de proximité, saine et respectueuse de l’environnement, en relocalisant la production et en organisant des circuits courts.

II.    Vivre dans une maison autonome et solidaire

Le 4 novembre 2015, est la date fixée par les autorités pour dynamiter les tours de Saint Quentin qui se dressent depuis les années 70 dans un quartier périphérique de Nouméa. Nous voulons y voir plus qu’une opération de réaménagement de l’espace, le symbole d’un changement d’époque et peut-être de mentalité.
 « La maison est comme une seconde peau ». Elle sert à nous protéger des intempéries, de la pluie, du vent, du soleil, de la neige, de la chaleur, du froid, des cyclones ou d’éventuelles agressions de bêtes sauvages ou d’humains hostiles.
Mais elle a aussi un autre rôle : c’est un espace où se concentrent un ensemble de fonctions vitales : dormir, faire la cuisine, se nourrir, se divertir, se laver, jouer, apprendre, communiquer, prier…c’est le foyer où se retrouvent les membres d’une famille, où se tissent des liens, où on échange des informations et où on raconte des histoires.
L’aspect extérieur d’une maison et sa localisation, son environnement immédiat, n’expriment pas seulement des traits de personnalité de ceux qui l’habitent, leurs goûts, leur conception de la vie, les moyens financiers dont ils disposent ou la place qu’ils occupent dans la société. L’habitat peut se réduire, dans le cas des squats à un assemblage hétéroclite de matériaux. Mais le plus souvent, son style correspond à une tradition et des règles architecturales codifiées selon la région.
Dans les tribus de la Grande Terre ou des Iles, la maison traditionnelle est la case, ronde ou rectangulaire, faite en bois de la forêt, en paille, en torchis, en écorce de niaoulis, des matériaux que l’on trouve à proximité immédiate. En milieu urbain, la tendance est à la verticalité et la densification du centre-ville, pour éviter les longs trajets en voiture et les embouteillages. L’usage du béton, des parpaings et des tôles est en train de se généraliser et le style des constructions à s’uniformiser.
Pourtant, construire sa maison doit être pour chacun, l’occasion de « retrouver l’unité de sa personne, de mettre de la cohérence dans les intérieurs que nous habitons », de retrouver un peu de pouvoir sur notre quotidien, par le choix des matériaux, les dimensions ou la disposition des pièces…Quelques « pionniers » intègrent aujourd’hui dans leurs choix des critères écologiques.
Ces critères tiennent le plus souvent à l’orientation de la maison pour des raisons climatiques, au choix des matériaux, aux modalités d’approvisionnement en eau, en électricité, à la gestion des déchets et des eaux usées.

III.    Transformer nos déchets en ressources

Un Calédonien produit en moyenne 500 kg de déchets chaque année, soit 2 fois plus qu’il y a 40 ans. L’époque où les déchets se réduisaient à quelques épluchures et des restes que l’on laisse se décomposer au fond du jardin est définitivement révolue.
Avec l’avènement de la société de consommation, la quantité de déchets a explosé. Les décharges sauvages qui défigurent le paysage se sont multipliées, et les dépotoirs sont arrivés à saturation ; Si on s’est contenté pendant des années à enfouir pêle-mêle les déchets dans des dépotoirs en y mettant régulièrement le feu, cette pratique n’est plus à la hauteur des enjeux : les substances toxiques qu’on y dépose, les lixiviats qui s’en écoulent, risquent d’empoisonner gravement les cours d’eau et les nappes phréatiques, et leurs fumées de polluer l’air qu’on respire. De plus, le mélange de matériaux qu’on y enfouit représente un gaspillage scandaleux de matières premières qu’il est pourtant possible de valoriser ;
Même si des progrès ont été réalisés, comme la collecte d’huiles usées, de piles ou de batteries, la quantité de matériaux valorisables est considérable et la gestion des déchets reste un problème sensible qui est loin d’être complètement résolu.
Qu’il s’agisse de déchets verts pour le compost, de plastique, de verre ou d’aluminium à recycler, la quantité de matériaux valorisables est considérable. Sensibles à la nécessité de modifier nos habitudes et de passer à d’autres modes de traitement des déchets, quelques citoyens courageux ont décidé de passer à l’acte en organisant à leur échelle la collecte, le tri des déchets en vue de leur recyclage.

IV.    Développer un art de vivre dans l’esprit du Pays

Quand on évoque la culture, il nous vient spontanément à l’esprit l’image de monuments prestigieux, les pyramides d’Egypte, les temples grecs, les cathédrales du Moyen Age ou les palais d’Orient…
Dans le Pacifique, les monuments sont rares et pourtant les peuples qui y vivent cultivent une identité culturelle forte. En observant les paysages, on peut y lire les signes d’une occupation ancienne : des traces des billons, de tarodières, de tertres de case.
Face au raz de marée cultuel occidental et le choc des cultures, des  océaniens  résistent en transmettant, de génération en génération, leurs  coutumes, leurs langues et les  alliances  ancestrales qui constituent leur spécificité.
Solidement enracinés dans l’esprit de leur Pays, des jeunes et des moins jeunes donnent libre cours à leur imagination, à travers des chants, des danses, des sculptures. Ils découvrent des domaines de réussite et le plaisir de la rencontre,  et à travers des œuvres originales,  ils retrouvent  l’estime de soi et contribuent à développer un art de vivre, en accord avec eux-mêmes, avec les autres et avec leur environnement.     
Ils démontrent que la richesse ne tient pas nécessairement à une accumulation de biens de consommation et que l’expression artistique constitue le meilleur moyen de jeter des passerelles entre les communautés qui vivent dans le pays et de forger leur destin commun.