Le barrage KO2 et le bassin de résidus constituent un maillon indispensable dans la chaîne de production hydro-métallurgique de l’usine du sud. On y stocke les boues liquides issues du processus de lixiviation acide dont on a tiré le nickel et le cobalt et qui ne peuvent pas être rejetées en mer compte tenu de leur composition toxique. En cas de défaillance de cet élément, c’est tout le fonctionnement de l’usine qui se trouve compromis. Autant dire qu’il fait l’objet d’une attention particulière sur le plan économique, mais aussi social et environnemental.
Les ruptures de barrage au Brésil en 2015 et celui de Brumadinho en 2019 qui a coûté la vie à 219 personnes ont en effet eu des conséquences humaines, écologiques irréparables dont on peut difficilement imaginer le coût. Ce n’est donc pas une surprise si l’état du barrage KO2, le bassin de résidus et le projet Lucy destiné à assécher les boues sont au cœur des tractations dans la procédure de rachat de l’usine du sud.
Il a fallu plusieurs semaines et de très nombreuses requêtes de la part du collectif « usine du sud- usine pays » et des associations environnementales pour que les rapports sur l’état du barrage KO2 soient rendus publics. Ce long silence des autorités de la PS et de la DIMENC n’est peut-être pas sans lien avec le refus opposé par ces mêmes autorités à la demande des experts de Koréa Zinc de visiter le complexe et particulièrement l’état du barrage, pourtant conforme à la procédure d’appel d’offre. Il a fallu attendre le retrait de Koréa Zinc et la seconde table ronde du 3 décembre 2020 pour que Mme Backes, dans sa grande générosité autorise enfin de rendre public ces rapports.
1. Que nous apprennent ces rapports ?
Ils ont le mérite d’apporter des précisions sur les installations du complexe et de lever le voile sur les enjeux qui entourent les tensions et litiges actuels autour de la reprise de l’usine du sud. On y apprend par exemple :
- que le barrage se situe sur la commune de Yaté, qu’il est implanté sur l’affluent Ouest de la rivière Kwé, et qu’il barre toute la vallée, que c’est un ouvrage en remblais qui fait 1300 mètres de long, et 63 mètres de haut, qu’il présente un volume de 7,8 M.m3 de matériaux, que sa construction s’est étalée sur 10 ans, de 2006 à 2016, que la berme est classée « A », en référence au décret de 2007 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques et que la catégorie A correspond à la catégorie des ouvrages les plus importants par la taille (hauteur) et leur capacité de rétention
- Que le bassin de résidus, fait une surface de 130 hectares, en 2017 il contenait 17 millions de m3 de résidus, que son exploitation a fait l’objet d’une autorisation ICPE en date du 9 octobre 2008,
Mais ces rapports comportent aussi des zones d’ombres qui suscitent des questions voire de légitimes sujets d’inquiétude comme les points suivants :
D’abord nous avons observé que le rapport MECATER (25 novembre 2020) n’a pas été validé par Valé NC. Voilà toutefois ce qu’on peut y lire :
Sur le choix du profil géologique de référence, p.2 : « D’après les études géologiques réalisées auparavant (Rapport Golder 2009), la berme a été construite dans un talweg présentant une assise immédiate fortement déformable »
Sur la stabilité de la berme à l’état actuel, p.16 : « Compte tenu du contexte géotechnique du site, le mécanisme de rupture principal pouvant affecter la stabilité de la berme est la rupture profonde affectant l’assise de la berme »
p.30 : « Les matériaux constitutifs de la fondation de la berme présentent un potentiel de liquéfaction acceptable sauf les colluvions de surface situées en aval de la berme »
P.21 : « Nous estimons que les matériaux constituant les fondations de la berme KO2 sont peu sensibles à la liquéfaction. Toutefois il est indispensable de réaliser 1 appréciation plus précise de la liquéfaction ».
Pourtant dès 2004 suite au rapport du Symposium international sur les latérites de nickel, on savait que la thixotropie était une menace pour la stabilité des sols.
Sur la conformité de l’ouvrage aux normes actuelles en vigueur (MECATER p. 1) : « La berme du parc a été conçue selon les exigences de l’ANCOLD 1999*… » et Les analyses de stabilité de la berme à son état actuel permettent d’affirmer : « La marge de sécurité vis-à-vis des sollicitations sismiques ne satisfait pas les exigences de l’ANCOLD 2012 ni celles de l’Eurocode 8… ».
« Nous recommandons des investigations géotechniques et des essais de laboratoire complémentaires dans le but de confirmer certaines hypothèses… ». Cette recommandation nous paraît d’autant plus urgente que les cartes géologiques révèlent l’existence de faille perpendiculaire à la vallée dans une zone sujette à séismes.
« Ces conclusions restent provisoires en attendant la confirmation par les résultats des calculs dynamiques en cours »
2. Constats et recommandations
Entre 2007 et 2016, le barrage KO2 a fait l’objet de 22 inspections qui ont donné lieu à de très nombreux constats suivis d’injonctions ou recommandations.
Dès 2014, l’étude de danger a permis de mettre en évidence un certain nombre de points qu’il appartenait au maître d’œuvre de prendre en compte et de corriger par exemple :
- Un niveau de détail des descriptions des ouvrages insuffisant
- Une analyse fonctionnelle insuffisante,
- La rubrique relative à la politique de prévention des accidents majeurs et au système de la gestion de la sécurité trop générale
- Quantification des potentiels de dangers insuffisante
- Aléa sismique pris en compte insuffisamment précisé
- Accidentologie perfectible
- Absence de justification formelle de la cote de danger…..
- Incohérence entre les schémas et les textes de justification
- Valeur maximale du débit de l’onde de rupture progressive surprenante (hypothèse de calcul ne sont pas suffisantes, absence de précisions sur les hypothèses d’érosion prises en compte)…
A propos de l’onde de rupture considérée dans l’étude de danger, « …le calcul devrait plutôt considérer un remplissage par une crue décamillennale (ayant une probabilité d’une chance sur 10 000 de se produire chaque année) sur le niveau de résidus « actuel » et prendre en compte des scénarios de situations intermédiaires…La non-prise en compte d’une mobilisation au moins partielle des résidus non consolidés tend à minimiser les conséquences d’une rupture de l’ouvrage, notamment en termes de zones inondées »
Suite à l’examen technique complet en 2016, le service de contrôle a émis les observations suivantes :
« …Il aurait été souhaitable de disposer d’un état des lieux plus détaillé de la géomembrane au vu de son importance sur le comportement hydraulique de l’ouvrage… »
« Suite aux résultats de l’inspection vidéo de 4 conduites de drainage sous-géomembrane réalisées en novembre 2015…je vous demande d’évaluer l’impact d’une éventuelle rupture des conduites en fonction de la zone de cette rupture, en particulier les zones d’écrasement constatées et de vous prononcer sur le diagnostic évoqué concernant la conduite n°4 (conduite déboitée ou rompue) et ses conséquences pour la sûreté de la berme »
A propos de l’auscultation de la berme KO2, Il est question d’un incident au mois d’avril 2016, sur lequel le rapport ne fournit aucune précision.
Le 11/10/2017, le service de contrôle formule l’appréciation suivante :
« Sur le plan administratif et réglementaire, il est principalement noté un manque d’appropriation de la part du maître d’ouvrage des rapports d’auscultation et mémorandum techniques établis par le bureau d’étude en charge de l’auscultation de la berme, le plus souvent transmis au service de contrôle sans que ceux-ci ne fassent l’objet d’interprétation, ni d’actions correctives clairement formulées, planifiées et communiquées. Il est noté, par ailleurs, une qualité variable, tant sur le fond que sur la forme, des réponses apportées par le maître d’ouvrage aux demandes formulées par le service de contrôle lors des premières années de construction et un respect des délais souvent aléatoire. »
Dans le CR de la réunion de bilan de la revue de sûreté du 11/10/2017 on peut lire en conclusion :
- Mettre en œuvre le plan d’actions issu de l’examen technique complet du barrage réalisé en février 2015
- Réaliser une analyse des tassements des conduites de la sous face de la géomembrane, rappelant l’ensemble des objectifs, des hypothèses, des calculs et des résultats et étudier l’impact d’une perte de capacité d’écoulement des conduites, ainsi que l’impact d’une rupture des conduites….
- Tous les 2 ans, inspecter par caméra et surveiller leur intégrité
- Etablir une note de calcul d’évacuation des crues…^pour le dimensionnement des évacuations….
Il est toutefois demandé que les recommandations formulées…concernant le tassement des conduites de drainage et l’évacuation des crues soient prises en compte par l’exploitant et planifiées
Par ailleurs, le compte rendu d’inspection décennale du 12 octobre 2017 évoque des points qui nous paraissent également éclairants sur la gestion du site :
A propos du drain de dérivation sud (p.2): « La tenue sur le long terme des ouvrages de gestion des eaux ainsi conçus en sortie de drain de dérivation sud n’est pas garantie…Observation : les ouvrages de gestion des eaux en sortie de drain de dérivation sud doivent faire l’objet d’une surveillance renforcée et d’un entretien régulier. Le service de contrôle rappelle la nécessité de concevoir des aménagements suffisamment dimensionnés et durables afin de garantir une continuité hydraulique de l’ensemble du dispositif en cas de crue et la sécurité de la berme »
Banquette sud 220 et dogleg (p.3): « Des figures d’érosion sont visibles…Ces désordres doivent être surveillés et traités dans les meilleurs délais… »
Crête de berme (p.3) : « L’exploitant doit donc justifier que la cote finale de la crête de la berme est bien dans son intégralité supérieure à 232, et qu’elle le restera malgré les tassements probables à attendre à ce niveau. Ce point est essentiel pour la sécurité en crue de l’ouvrage »
Drain de dérivation Nord : « Des aménagements restent à finaliser afin de garantir que l’eau collectée par le drain de dérivation Nord soit parfaitement canalisée… » »
L’auscultation de la berme (p.4) : « …Les résultats de l’instrumentation ne montrent pas, d’après l’exploitant, de changement particulier depuis la dernière inspection. Globalement, le suivi de l’auscultation montre :….des tassements de la fondation importants qui ont atteint jusqu’à 4,5 m ; un tassement du remblai de l’ordre de 2,5 m (à l’axe)…. »
3. Ce que les rapports ne disent pas...
Nous ne sommes pas en mesure d’évaluer si les préconisations et injonctions émanant des autorités de contrôles et des experts depuis une dizaine d’années ont été respectées, ou mise en œuvre
Aucun rapport ne fait évidemment état de la composition chimique des résidus épaissis stockés dans le bassin, une question qui mérite pourtant d’être posée et que les experts coréens qui n’ont pas été autorisés à visiter le site, n’auraient sûrement pas manqué d’étudier de près. Il se pourrait en effet que les résidus du bassin comportent des éléments minéraux valorisables (par exemple le chrome ou des terres rares ?). Ce qui est sûr c’est qu’ils contiennent des substances toxiques susceptibles de gravement nuire à la santé et impacter le milieu naturel terrestre et marin.
On notera aussi qu’aucun rapport ne présente une modélisation en cas de rupture du barrage permettant d’identifier avec précision les zones impactées, et les effets sur l’environnement
Si le barrage présentait toutes les garanties qu’on lui prête, pourquoi VNC aurait-il fait appel à MECATER pour en étudier la stabilité et envisagerait-il de se lancer dans de très coûteux travaux de renforcement et dans une unité d’assèchement des résidus ?
D’abord parce que le barrage n’est plus aux normes et parce que le risque de rupture est avéré, avec les conséquences catastrophiques qu’elle serait susceptible d’entrainer. Renforcer le barrage est une opération qui s’inscrit nécessairement dans la durée et nécessite un investissement considérable. Reste à savoir qui de Valé ou du nouvel acquéreur va le prendre en charge ?
On peut s’interroger aussi sur le choix du cabinet d’ingénierie : MECATER a-t-il fait la preuve localement de la fiabilité et la pertinence de ses travaux, compte tenu du caractère approximatif de certaines de ses déclarations dans le rapport?
Autre question : selon LNC du 16 décembre 2020, la capacité de stockage du barrage est de 45 millions de mètres cubes. Il en contient actuellement 25,7 millions. On peut donc en déduire que le bassin sera saturé en 2023. Que faire des résidus boueux issus de l’usine après 2023 ? La solution est dans le projet Lucy qui consiste à assécher les boues en briquettes que MECATER propose de stocker en aval du barrage, ce qui aurait l’avantage, nous dit-on, de renforcer le barrage par la construction, dans un premier temps d’une petite butée entre 2021 et 2023, puis d’une butée ultime entre 2023 et 2026 ce qui rendrait le barrage conforme aux exigences ANCOLD 2012 et Eurocode 8. Cette solution a l’avantage de résoudre le problème de la gestion des boues et du renforcement du barrage pour les 10 ans à venir……et après ?
En fait la question principale à laquelle doivent répondre aujourd’hui les dirigeants de l’usine du sud est : que faire des millions de m3 de résidus que génère le procédé hydro-métallurgique ? (1,2 x le volume de minerai traité)
En 2005, lors du symposium sur le nickel organisé par le cabinet Syndex et l’USOENC, un ingénieur de QNI Queensland Nickel de Yabulu nous avait déjà alerté sur les difficultés de l’hydro-métallurgie dans le sud. L’expérience confirme ses craintes, 15 ans après. Le procédé hydro-métallurgique du sud n’a jamais fait la preuve de sa rentabilité.
Pour la gestion des déchets, en l’absence de solution économiquement viable et acceptable sur le plan environnemental, le procédé hydro-métallurgique a-t-il un avenir dans le sud ? Faut-il dès maintenant envisager la fermeture de l’usine ? Faut-il envisager le retour à la pyrométallurgie ? De quelle alternative disposons-nous dans le cadre d’une politique nickel concertée au niveau du pays pour valoriser le minerai de Goro en ne gardant éventuellement que 2 usines ?
Ne peut-on pas envisager une fermeture planifiée de l’usine du sud, avec la création en simultanée, pour compenser les emplois perdus, d’emplois dans des secteurs d’activité alternatifs à l’exploitation du nickel ?
ACTION BIOSPHERE le 17/12/2020
* ANCOLD : australian national committee on large dams
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