Gestion des déchets : Et ça continue, encore et encore…

dechets ducos

(sur un air de Francis Cabrel, un sujet beaucoup plus prosaïque)
 

Poubelles renversées, conteneurs qui débordent, dépôts sauvages, cannettes sur les bords de routes, déchets qui encombrent les trottoirs, tessons de bouteilles un peu partout, odeurs pestilentielles et lixiviats nauséabonds émanant de tas d’ordures non ramassés, feux dans les dépotoirs, combustion de PVC et ses rejets toxiques de dioxines, montagne de déchets qui s’effondre à Ducos…

Inutile de sortir de Saint Cyr pour s’apercevoir que la gestion des déchets en Nouvelle-Calédonie est problématique, qu’elle a des conséquences néfastes sur la santé et l’environnement, et qu’elle ne contribue pas à faire de la Nouvelle-Calédonie une destination touristique idyllique.
Cette situation découle autant de comportements individuels, avec des mentalités et des représentations qu’il convient de faire évoluer, que de pratiques d’une autre époque et d’un immobilisme coupable des pouvoirs publics.

On peut incriminer la société de consommation à laquelle plus personne n’échappe, avec la surabondance de produits plus ou moins utiles, produits de plus en plus éphémères, dont nous sommes amenés à nous débarrasser assez rapidement. Tous les pays connaissent cette évolution et pourtant beaucoup de collectivités, en Europe mais aussi dans le Pacifique, parviennent aujourd’hui à gérer leurs déchets de façon satisfaisante grâce au tri, au recyclage ou à la valorisation, et même parfois de façon exemplaire en adoptant une politique « zéro déchets » reposant sur le principe des 3 R : réduire, réutiliser, recycler…

Si nous en sommes arrivés à une situation aussi dégradée en Nouvelle-Calédonie, c’est parce que nous sommes tous à un degré ou un autre, responsables.
A titre individuel, il n’est pas acceptable pour des raisons à la fois éthiques et économiques que certains jettent leurs cannettes par la fenêtre des voitures, déposent leurs ordures où bon leur semble, sur les îlots, dans la mangrove, ou au détour d’une route urbaine ou forestière pittoresque, et abandonnent leurs couches culottes ou serviettes hygiéniques dans les trous d’eau des rivières sans la moindre considération pour les autres et l’environnement.

S’agit-il d’une réminiscence d’un instinct basique « de marquer son territoire », d’une provocation à l’égard de ceux « qui ne sont pas d’ici », ou le mépris affiché de ceux qui se croient en pays conquis, l’insouciance d’une vie facile et l’inclination au gaspillage, ou une appréciation approximative de la valeur des choses, ou encore l’expression d’un réflexe inconscient refoulé ? La négligence ou l’incivisme d’un certain nombre de Calédoniens natifs ou d’adoption mériterait une investigation plus approfondie.
En tous les cas, ce comportement est significatif du rapport que certains de nos congénères entretiennent avec les autres, de leur sensibilité à l’égard de leur environnement et du souci qu’ils portent à l’intérêt général.
Tout changement en matière de gestion des déchets passera par une prise de conscience à la fois des administrés et des élus que :

  • -    un objet ne devient un déchet, dont il faut se débarrasser que quand il est mélangé à d’autres matières : c’est bien le mélange qui en fait une ordure non valorisable, d’où la nécessité de trier
  • -    tout produit en fin de vie n’est pas en soi un déchet, mais il est constitué la plupart du temps de matériaux recyclables donc une ressource à valoriser. Leur récupération contribue à réduire le gaspillage de matières premières dont certaines se font de plus en plus rares à l’échelle de la planète.

La prise de conscience ne suffira pas, il s’agira aussi de la traduire en actes.  

A l’égard des contrevenants récalcitrants qui confondent les espaces publics avec leur poubelle, des mesures plus cœrcitives doivent être prises. Ce qui nécessite l’affirmation d’une certaine autorité et le refus de toute démagogie.
Mais la gestion des déchets est aussi de la responsabilité des collectivités, provinces et communes ou syndicat intercommunal dans le cas de regroupement de communes. En 2008, la Province Sud a instauré la REP (Responsabilité Elargie des Producteurs) et a soutenu la création de Trecodec, organisme dont la vocation est d’organiser des filières pour récupérer et valoriser un certain nombre de déchets, comme les huiles usées, les batteries, les piles, les pneus et les carcasses de voitures…D’autres filières sont en projet pour les solvants et les déchets d’équipement électrique et électroniques (D3E), ainsi que les emballages.

En ce qui concerne les déchets ménagers, « la marge de progrès » reste considérable. Dans un article des Nouvelles Calédoniennes du 10 août 2009, dont l’auteur ne manque pas d’humour puisqu’il annonce en titre : « Le tri sélectif s’emballe », nous apprenons que sur 600 kg de déchets produits annuellement en moyenne par un Nouméen, (contre 353 kg en moyenne en France), la quasi-totalité soit 93 % sont enfouis à Gadji, y compris les déchets verts qui devaient pourtant être compostés…Mais le dispositif ne fonctionne pas…
 Dans un autre article des Nouvelles paru le 28 août 2009 sous le titre « Nous continuons de recevoir beaucoup de plaintes », Madame Frarin, 6° adjointe chargée de l’environnement, explique les différents qui opposent la mairie de Nouméa à la CSP Véolia, chargée jusqu’ici de la collecte et du traitement des déchets. Les reproches du conseil municipal portent sur des manquements de cette société au cahier de charges fixé, des lacunes sur le plan technique (camions en panne ou matériels obsolètes) et d’autres dysfonctionnements qui sont probablement fondés…

Interrogée sur le tri sélectif, elle affirme :

« Pour l’instant, nous n’effectuons pas de tri à Nouméa… »

La suite laisse d’ailleurs entendre qu’il n’est pas pour demain. Cette réponse laisse perplexe parce qu’elle est en contradiction flagrante avec un arrêté municipal du 1° mars 2007, réglementant la collecte des déchets ménagers et assimilés dont voici des extraits :
«Article 5 : Déchets non admis lors de la collecte des déchets ménagers et assimilés assurée par la Ville de Nouméa :
-les déchets dits recyclables issus des déchets ménagers, (hors verre et assimilés)… à savoir :

Article 1-3 :

  • -    les déchets en papier issus des ménages tels que les vieux papiers (journaux, magazines…)
  • -    les déchets d’emballage en carton issus des ménages tels que les emballages constitués de papier ou de carton ( boîtes de gâteaux, surgelés) et les briques alimentaires ou assimilés ( boîtes de lait, jus de fruit)
  • -    les déchets d’emballage en plastique issus des ménages tels que les bouteilles et flacons usagés en plastique ( bouteilles d’eau minérale ou de boissons fruitées, gazeuses, bidons de lessive) correctement vidés de leur contenu, à l’exclusion des bouteilles d’huile et des récipients ayant contenu des produits dangereux)
  • -    les déchets d’emballage en métal issus des ménages tels que les emballages constitués d’acier ( boîtes de conserve, aérosols vidés de leur contenu, boîtes individuelles de boisson) ou d’autres métaux correctement vidés de leur contenu… »

Le contrat avec Véolia arrivant à son terme, le nouveau cahier de charges pour les futurs soumissionnaires est-il conforme à l’arrêté adopté par le Conseil municipal du 1° mars 2007 ? A en croire les déclarations de Madame Frarin, il est permis de se méfier.
On aurait pu imaginer que les élus sont tenus d’appliquer la réglementation qu’ils ont eux-mêmes adoptée. Apparemment il n’en n’est rien. De plus, les arguments invoqués pour s’y soustraire laissent également songeur :

« Une étude est en cours, avec la Province et la présence d’un expert métropolitain, la semaine dernière »…

La problématique des déchets sur le Grand Nouméa ne date pourtant pas d’hier. La saturation du Centre d’Enfouissement de Ducos était prévisible depuis de nombreuses années, ce qui n’a pas empêché les élus de laisser pourrir la situation jusqu’au risque, évité de justesse, de voir la montagne de déchets de Ducos s’effondrer, libérant des m3 d’huiles usées mélangées avec des boues de stations d’épuration. Une étude de faisabilité aurait pu être diligentée depuis longtemps pour estimer les quantités de matériaux par filière (papier, carton, verre, aluminium, plastique, boîtes de conserve…), identifier des modalités appropriées et éventuellement différenciées de collecte (chez les habitants et dans des points de collecte ou des déchetteries), évaluer les coûts de réexpédition pour recyclage en Australie, en Nouvelle Zélande ou en Asie. Gouverner, c’est prévoir. L’anticipation n’est visiblement pas la qualité première de nos élus.

-    «Il a été dit par les professionnels que le transport vers l’Australie n’était pas rentable ».

C’est oublier un peu rapidement qu’une gestion défaillante a aussi un coût : stabiliser la fosse à huiles de Ducos a coûté, selon nos informations, 500 millions CFP.  Combien coûtera la dépollution de la région de Gadji, si les lixiviats venaient à se répandre (suite à une destruction du liner par combustion par exemple) dans les eaux de surface ou souterraines et en bord de mer ? Il est vrai que le tri/recyclage a un coût, d’où l’importance d’une gestion globale des déchets pour financer autant que possible les filières déficitaires par des filières pouvant générer des bénéfices. Qu’est ce qui empêche, pour les déchets ménagers d’adopter un dispositif de Responsabilité Elargie du Producteur comme l’a fait la Province Sud pour les huiles usagées, les pneus ou les batteries ? Importateurs et distributeurs pourraient alors être mis à contribution pour participer à l’élimination des déchets provenant de leurs importations, quitte à amputer légèrement leurs marges sous forme d’écotaxe. Une grande part de nos déchets est constituée d’emballages qu’on pourrait notablement réduire en favorisant les circuits courts et la production locale, particulièrement alimentaire, qui permettrait d’éviter le suremballage.

-    « Le schéma pour Nouméa ne sera pas le même que pour les autres communes ».

C’est bien regrettable car le seuil de rentabilité d’une filière dépend sûrement de la quantité de matériaux traités. Plus les quantités sont grandes, plus on a de chances de rentrer dans ses frais. Un traitement rationnel ne peut s’envisager qu’en dépassant le cadre strict d’une commune et en mutualisant les gisements. Nous serions bien inspirés, sur ce point, de tirer les leçons qui s’imposent de l’expérience de Mont dore Environnement. L’intercommunalité devrait s’étendre à l’ensemble de la Province et impliquer même les autres Provinces notamment celle des Iles où le traitement des déchets est aussi un problème sensible et récurrent. Ce qui n’empêche pas des modalités particulières de collecte selon les communes.

-    « …nous souhaitons mettre en place le tri le plus rapidement possible... ».

Autant dire aux calendes grecques…Aucune date, aucun calendrier, aucune modalité concrète ne sont évoqués. On est loin d’une politique cohérente avec des objectifs quantifiés et une stratégie claire. Heureusement Madame Frarin précise que « l’attitude de la commune est responsable »…On commençait à en douter.
On peut comprendre, dans ces conditions, l’exaspération d’une bonne partie de la population et l’explosion d’initiatives scolaires ou d’opérations associatives comme « Une planète sans cannettes » ou « Clean up the world » qui résonnent un peu comme un cri d’indignation, de révolte, mais aussi d’espoir pour faire changer la situation. ….
Il y a même des expériences comme celle de Mont Dore Environnement ou Ecotrans qui méritent d’être signalées et encouragées à condition qu’elles ne soient pas financièrement dissuasives et qu’elles restent accessibles à tous les foyers. Le tri des déchets, comme les énergies renouvelables, l’accès à l’eau potable et l’assainissement des eaux usées sont d’intérêt général et doivent être accessibles à tous, indépendamment de la situation sociale, et il serait en effet moralement inacceptable que le tri et le recyclage deviennent un « sport de riches ».
Jusqu’à quand le dévouement et l’engagement des particuliers devront-ils pallier à l’incivisme de certains de leurs congénères et à l’incurie voire l’incohérence des élus ?
Si on devait évaluer notre sens de la citoyenneté et notre implication dans le développement durable à l’aune de notre capacité à gérer les déchets, nous ne serions probablement pas dans le peloton de tête