Fleur de Sel au Pays du roi Nick

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chevaux Poingam

Au pays du nickel, certains choisissent la voie d'une sobriété heureuse et solidaire et démontrent que le Pays dispose de nombreuses ressources pour réussir sa transition écologique.
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Retranscription :

Pour se rendre dans le nord, on emprunte une route qui traverse les vastes plaines de la côte Ouest, longe les massifs miniers de la chaîne et passe au pied de Tiébaghi, la montagne du Tonnerre.
Dans les années 1920, ce massif a connu son heure de gloire, quand 700 personnes arrachaient le chrome de la montagne.
La mine a fermé en 1964. C’est aujourd’hui un village fantôme.
Au bout de cette route, qui serpente entre les collines balayées par le vent, se situe Poingam, à l’extrême pointe nord de la Nouvelle-Calédonie.
C’est dans cette région austère et aride, où galopent des troupeaux de chevaux sauvages, que Jean a jeté l’ancre dans une baie tranquille, loin du tumulte de la ville, le 14 juillet de l’an 2000.
Né en 1948 dans le Limousin, il passe une enfance heureuse. De nature rêveuse, son esprit vagabond l'entraîne déjà sous d’autres latitudes, à la Réunion puis en Guyane où il chasse le caïman et élève des anacondas. Mais le climat, trop chaud ne lui convient pas. De retour à Paris en 1968, il trouve l’effervescence des barricades pour un monde nouveau.
Il décide alors de se rendre en Nouvelle-Calédonie, où il prend la gestion d’un gîte à Lifou puis celle de l’auberge des Monts Koghis avant d’arriver à Poingam.

« Je peux être un peu n’importe où sur la planète, j’ai parfois passé un mois tout seul sur un ilot, je ne me suis jamais ennuyé. Je peux être au fin fond de Paris, je ne vais pas m’ennuyer non plus. Par contre, j’aime bien vivre dans des endroits sympas, comme Poingam, où il y a une belle vue, de beaux sites, j’aimais bien les Monts koghis, j’aimais bien Lifou, en bord de mer à Kovalane. J’ai toujours vécu dans des endroits où je me sens à l’aise. J’aime bien la simplicité… »

Depuis plus de 15 ans Jean accueille, au gîte de Poingam, des visiteurs venus des quatre coins de la planète, qui ne craignent pas de s’égarer à l’écart des palaces somptueux, au fond de la brousse à la recherche d’authenticité. Autour d'une énorme table en bois massif, que Jean a lui-même fabriquée à partir d'un bois noir de Kaala Gomen, une trentaine de personnes se retrouvent tous les soirs pour un repas commun, espace privilégié de rencontres de de convivialité.

« L’intérêt de Poingam, c’est que tous les gens qui arrivent se sentent à l’aise, que ce soit de n’importe quel milieu, qu’on fréquente n’importe quel type d’hôtel, que ce soit du bas de gamme, du gîte, du 2 étoiles ou du 5 étoiles. Les gens qui arrivent se sentent bien »

Dans la végétation autour des bungalows, des gnomes facétieux veillent à un accueil bienveillant. Face à la mer, les visiteurs peuvent se rafraîchir et s’ébattre à marée basse, dans une piscine d’eau de mer. Un circuit de randonnée avec un sentier botanique leur permet également de se promener à pied dans les collines, d’y découvrir la flore et les innombrables oiseaux et papillons qui y prolifèrent, ainsi que la vue à 360° sur les baies et les ilots du Grand Nord : Balabio, Yandé, Yengeban…..
Dans une région où le travail salarié est rare, il emploie 23 personnes principalement recrutées dans les tribus environnantes. Depuis plusieurs années, Jean a assuré leur formation pour qu’elles soient en mesure de gérer le gîte à son départ.
Le relais présente un taux de remplissage de 95 % en haute saison, une performance remarquable dans un pays où le tourisme stagne.

« Tous les gens qu’on a embauchés, on les a formés sur place, par exemple, Eliane, on l’a embauchée comme aide-serveuse, après elle est passée serveuse, après elle est allé se former en Australie, en Nouvelle-Zélande. Elle est revenue et elle a continué sa formation. Elle est aujourd’hui directrice d’exploitation, c’est elle qui gère entièrement le relais.
Comme on est loin, on est éloigné de tout le reste de la Nouvelle-Calédonie, on est éloigné des grands circuits de distribution, de commercialisation, on va faire de la cuisine locavore. Les mouvements locavores se mettaient en place, locavore, c’est manger local et donc tout ce qu’on fait, c’est les produits du coin, les produits du cru…
Un lagon qui est magnifique, qui est inscrit à l’UNESCO, il y a plein de pêcheurs qui fournissent les produits de la mer. Et ici on s’est mis à faire du jardin, nos fruits, nos légumes. On a un grand potager. Il y a 3 ans, j’avais fait le point, on a passé presque 8 tonnes de papayes dans l’année. »

Les repas, à base de légumes du jardin, sont agrémentés de plantes aromatiques : le basilic, l’estragon, la ciboulette, mais aussi de pourpiers, des plantes sauvages qui poussent en bord de mer. On y ajoute même des algues, qu’on trouve en grande quantité sur le platier. Elles peuvent être utilisées en sauce ou servies en salade. En Nouvelle-Calédonie, les algues ne font pas l’objet d’une forte consommation et pourtant leur valeur nutritive est unanimement reconnue. Après avoir soigneusement identifié une dizaine d’espèces comestibles, Jean les a fait expertiser et a décidé de valoriser cette ressource en expérimentant sa production.

« C’est ce qui est sympa d’ailleurs, quand on fait quelque chose, on apprend, on teste, on regarde… Pour le moment on fait la commercialisation des algues uniquement avec le sel. On mélange la poudre d’algues, les algues broyées avec le sel… »
Hervé : « Ce qui est bien avec Jean, c’est parce qu’il a plein d’idées en tête. On est toujours occupé. On fait un travail, mais en même temps, on crée des projets aux alentours. Il a une autre façon de voir, il a une façon de voir les choses différemment »

À l’époque où la conservation des aliments nécessitait une grande quantité de sel, la Nouvelle-Calédonie disposait de plusieurs marais salants qui sont aujourd’hui laissés à l’abandon avec la généralisation de la congélation. Les salines de Ko renouent avec les traditions des paludiers d’autrefois. On en tire annuellement 40 tonnes de gros sel et une tonne de fleur de sel. De nombreux oiseaux trouvent refuge dans les marais salants de la baie de Ko, en particulier une espèce assez rare d’oiseaux migrateurs, le « canard cygne ».

« On peut voir de la fleur de sel en formation. Une fois dans les bassins, quand tu arrives le soir, c’est tout couvert, en surface, de fleur de sel. Il y a plein de fleur de sel qui flotte. Il faut un bon coup de main pour la ramasser. Hervé y excelle…Tout ça, c’était une arrière mangrove naturelle, où il n’y avait pas du tout de végétation. Le lagon est juste derrière. Il y a un chenal d’accès. L’eau de mer qui a 30 grammes de sel par litre, on l’amène à 240 grammes par litre. On laisse évaporer, évaporer…Les bassins sont tous un peu plus bas. L’eau ne peut pas revenir en arrière et quand on atteint 240 grammes par litre, c’est ce qu’on appelle la saumure, le moment où le sel ne peut plus se diluer dans l’eau. L’eau est saturé en sel et le sel ne se dissout plus. Si on continue de dissoudre le sel, on a une cristallisation qui va se faire. »
Jean n’est jamais à court d’imagination pour diversifier ses activités. En aménageant les bassins dans la baie de Ko, il a découvert qu’à cet endroit, le sol était composé d’une argile très fine, semblable à celle qu’on utilise en thérapie pour soigner quantité de maux.

Jeanne :

« Alors ça, c’est de l’argile bleue, on a fait analyser l’argile à Nouméa et on a eu sa composition. »

L’argile, naturellement oxygène et nettoie en profondeur les pores de la peau et lui donne un aspect très doux au toucher.

« On propose donc une petite marche d’une demi à trois quart d’heure du relais jusqu’aux marais salants. Quand on arrive sur place, on propose une visite des marais salants, une visite guidée, ensuite un bain d’argile, le rinçage, la douche à l’eau florale de niaouli, qui est l’eau de la distillation. »

Il y a quelques années Jean s’est lancé dans la production d’huiles essentielles. Il a acquis, à cette fin, un énorme chaudron, un alambic et tout le matériel nécessaire qu’il a installé dans un abri de fortune. Quand la saison s’y prête, Jean et son équipe commencent à récolter les plantes destinées à la distillation. En raison de leur forte teneur en essence, Jean se procure les feuilles de niaouli dans la région de Pouébo. Les feuilles d’eucalyptus par contre proviennent des arbres qu’il a lui-même plantés sur la propriété. Il s’agit d’une espèce particulière d’eucalyptus favorable à la distillation. Il lui arrive aussi de distiller du lantana, de la bruyère locale et du vétiver. Le chaudron repose sur un foyer et comprend au fond un espace avec de l’eau. Les feuilles ou autres végétaux destinés à la distillation sont chargés par le haut de la cuve. L’eau portée à ébullition produit de la vapeur qui traverse l’épaisse couche des végétaux, se charge en essence avant d’être recueillie par un serpentin dans un dispositif où s’effectue la séparation entre l’eau et l’essence. Il faut environ 15 tonnes de feuilles pour produire 5 à 10 litres d’essence.

« Ce qui coule, c’est l’huile qui est mélangée à l’eau qui vient de se condenser, la vapeur qui vient de se condenser avec l’eau froide qui circule à l’intérieur et l’huile et l’eau tombent dans le vase florentin. L’huile étant plus légère que l’eau, elle va se mettre en surface et en-dessous, c’est l’eau florale »

L’eau florale issue de la distillation est utilisée pour le nettoyage des bungalows, le lavage du linge, le fer à repasser, le bain et la douche pour donner une odeur parfumée. Dans le processus de distillation tout est réutilisé.

« C’est les feuilles qu’on vient de sortir de la marmite à distiller. On les a distillé la semaine dernière et là on les sort, on les pousse sur le terrain. Ca va nous servir à deux choses : ça va surtout empêcher les mauvaises herbes de pousser et en même temps, ça va garder l’humidité, ça va garder la fraîcheur du sol et dans le même temps, ça va se transformer en compost au bout de 2 ou 3 ans, ça va se mélanger avec la terre. On a encore cette odeur d’eucalyptus citronné, d’eucalyptol citronné dans les narines, ça évite aussi aux moustiques de venir.
« On a trois sortes d’ananas là, la première ici où j’avais mis une petite couche de feuilles, ici on en a mis un bon paquet, comme on en met en bas, et là on n’en rien mis du tout. C’est complètement envahi par les herbes. Pour nettoyer ça, c’est énorme, alors qu’ici on a eu des ananas magnifiques. Tiens, il y en a encore un qui est en train de pousser, joli la montée de l’ananas, demain, il sera deux fois plus gros. Là on en a récolté sur la planche, on a fait 150 kg d’ananas. »

Le sel, les huiles essentielles et les algues alimentaires, produits de façon artisanale à Poingam font figure de produits d’exception recherchés par une clientèle avertie.

Solidement enraciné dans le terroir du Grand Nord, Jean a parfois du mal à résister à l’appel du large. Pour réaliser ses rêves, il n’est jamais à court d’imagination. A l’aide de matériel de récupération, il a construit en quelques mois, avec son ami Thibault, un radeau solaire, le « Dawa Ecolo », une embarcation propulsée par des moteurs électriques sur batteries, alimentés par des panneaux photovoltaïques. Au mois de novembre 2016, ils ont réalisé un tour de Calédonie en 77 jours, en faisant escale sur 77 ilots du lagon. Ce périple a été pour eux l’occasion de rencontrer des gens, de les sensibiliser à la nécessité de ne pas jeter de déchets à la mer et aussi de promouvoir les énergies renouvelables.

Le Pays a beaucoup misé sur le développement de la mine et de la métallurgie, souvent au détriment d’autres activités économiques, mais c’est un secteur aujourd’hui sous perfusion et les emplois y sont maintenus grâce à l’intervention massive des pouvoirs publics. En marge de ce développement industriel déprimé, des femmes et des hommes courageux ont démontré que la Nouvelle-Calédonie possède d’autres ressources et que d’autres voies sont possibles.

Thibault : « C’est un sacré Monsieur, qui a un parcours assez incroyable, qui est énormément dans le partage. Depuis que je suis arrivé, j’apprends au quotidien avec lui et du coup, ce qu’il aime, c’est de donner des idées ou de réveiller des idées qui sont dans ta tête. Et toi, tu le lances, et au final, il va te dire, voilà, maintenant, c’est toi qui as les cartes en mains, c’est à toi de gérer ton projet. Il te laisse dans l’autonomie, mais il est toujours derrière pour te guider et ça, ça m’a beaucoup appris, avec lui. »

Victor : « Jean, je le connais depuis l’an 2000, quand il est venu des Koghis. Il s’est installé à Poingam à la demande de M. Dumez, pour gérer le gîte. Comme je suis le propriétaire clanique, il avait demandé de travaillé avec lui… »

Jean a insufflé une âme à ce lieu déshérité en valorisant les ressources locales. Il a impulsé à Poingam depuis plus de 15 ans, un art de vivre exemplaire, qui repose sur le respect de la nature et la solidarité entre les hommes. Il a ouvert dans le Grand Nord les voies d’une sobriété heureuse.

« Vous êtes le sel de la terre…
Le sel garde et conserve la nourriture saine. Il est aussi ce qui donne le goût.
Mais le sel est aussi l’image de la sagesse qu’il convient d’acquérir et de transmettre pour donner du goût à la vie ».

Une production d’ACTION BIOSPHERE en partenariat avec Cosmos Prod Events
Réalisé par Guy FOHRINGER

Texte et paroles du film « Fleur de sel au pays du roi Nick »
Image vidéo et montage : Sari OEDIN
Images photos Guy Fohringer – Koumac Patrimoine
Musique : Matahari – Kevin Gallot – Jacaronda
Texte voix off (en caractère normal) : Guy Fohringer
Retranscription des entretiens (en italique) : Jean – Hervé – Jeanne – Thibault - Victor