L’exploitation du sable de mer : quels impacts ? Quelles alternatives ?

pointe vidoire

Observations d’Ensemble Pour La Planète (en partenariat avec Action Biosphère) dans le cadre de l’enquête publique sur le projet d’exploitation de sable à la Pointe Vidoire à Nessadiou.

(Texte rédigé pour EPLP, par Guy FOHRINGER, vice- président d’EPLP en 2006/2007)

L’approvisionnement en sable de construction est, en Nouvelle-Calédonie un problème récurrent, qui ne peut que s’accentuer dans les années à venir avec le développement spectaculaire du BTP. Le projet d’extraction de sable lagonaire, en 1993 dans la région de l’Ilot Ténia, heureusement abandonné, en est une illustration qui, à l’époque, avait défrayé la chronique.
    En Nouvelle-Calédonie, comme dans d’autres régions maritimes ou insulaires, la solution la plus commode consiste à extraire le sable en bord de mer ou sur les îlots, d’autant que les ressources paraissent à première vue inépuisables. Ce type d’exploitation n’est pourtant pas sans poser des problèmes divers :

  • -    écologiques : nul n’ignore que le littoral constitue un milieu fragile, d’une grande richesse de faune et de flore
  • -     culturels : le littoral a souvent été un espace d’habitat ancien, d’intérêt archéologique
  • -     techniques : car il est établi que le sable de mer ne présente pas des qualités optimales en matière de construction.

Le projet d’exploitation de sable de Néssadiou, par la société « Les sables de Nouméa » n’échappe pas à ces problématiques.
Ce projet comporte 3 volets nécessairement liés :

  • -    l’extraction du sable
  • -    l’unité de traitement
  • -    la carrière de schiste

Seules l’extraction de sable et la carrière de schiste font l’objet de la présente enquête publique. Ayant tenté d’obtenir des informations sur l’unité de traitement du sable, qui constitue pourtant un maillon indispensable du projet, relevant de la réglementation ICPE, et dont l’impact peut être considérable, il nous a été répondu que ce dossier n’était pas disponible. Nous considérons qu’il s’agit d’une lacune importante ne permettant pas une information transparente sur le projet, et qui nous semble contraire à l’esprit qui devrait prévaloir en matière d’enquête publique.
Nos observations porteront donc essentiellement sur le site d’extraction de sable et la carrière de schiste. Elles sont le fruit d’une consultation du dossier à la DENV, d’une visite du site et d’entretiens avec les riverains et les populations concernées.

1.    Impact environnemental du projet

a)    Situation générale

Le site d’exploitation se trouve non loin de l’embouchure de la Néra, sur la rive gauche, en limite de la zone maritime, face à l’ « Ile Verte », classée réserve naturelle.
Il est inclus dans la zone tampon de la Zone Côtière Ouest, susceptible d’être classée au « Patrimoine mondial de l’UNESCO ». Une attention particulière doit donc être portée aux activités limitrophes, pour éviter qu’elles n’aient un impact sur la zone à classer, qui pourrait en altérer la valeur.
Le projet, tel qu’il nous est présenté, sans être gigantesque est de taille respectable, puisqu’il s’étend sur plusieurs dizaine d’hectares et qu’il prévoit en 10 ans l’extraction de :

  • -    340 000 m3 de sable
  • -    45 000 m3 de terre végétale
  • -    247 000 m3 de schiste.

Aux surfaces impactées par l’extraction, il convient d’ajouter les voies de circulation et l’installation de traitement avec ses aires de stockage.
Un tel projet, comportant des carrières, des routes, des installations industrielles de lavage, provoquant des rejets d’eau polluée, de concassage émettant de grandes quantité de poussière, ne peut que défigurer durablement l’ensemble du site de la Pointe Vidoire, qui présente des paysages typiques de la Côte Ouest, non sans intérêt esthétique.

b)    Le couvert végétal

La plaine de la Pointe Vidoire porte les traces d’anciennes exploitations de sable, trous ou bassin d’eau croupie. De ce fait, la végétation y est relativement dégradée, à l’exception de lambeaux de forêt sèche dispersés et de spécimens remarquables d’arbres typiques de cet écosystème, sur la zone maritime mais aussi sur le site d’exploitation.
L’inventaire joint au dossier fait état d’une douzaine d’espèces floristiques, remarquables, sans compter celles qu’on trouve dans la zone d’extraction de schiste, au Pic Porokoué dont l’une, Emmenospera Pancherinum, est classée VU ( vulnérable) par l’UICN. Malgré l’engagement du promoteur de déplacer certains spécimens, aucune garantie ne peut être donnée sur leur conservation ailleurs.
La consultation d’un expert, Bernard Suprin, a confirmé l’intérêt botanique des essences identifiées dont nous en retiendrons principalement cinq :

  • -    Planchonella cinerea, ou chêne cendré
  • -    Mimusops elengi var. parviflora ou raporé
  • -    Cassine curtipendula
  • -    Acropogon bullatus ou « arbre à cuillers »
  • -    Gyrocarpus americanus ou « bois de chou »

Nous joignons ses commentaires en annexe, et nous ne pouvons que nous rallier à sa conclusion :


« La présence de ces arbres endémiques majestueux et surtout celle de Gyrocarpus constitue une raison suffisante pour qu’elle soit épargnée de toute exploitation »

c)    Un refuge pour la faune littorale, en particulier pour les oiseaux

La mangrove proche, les marais et les fourrés touffus constituent sans aucun doute, des refuges et des réserves de nourriture privilégiés pour de nombreuses espèces de faune sauvage, des anguilles, des batraciens, des reptiles et surtout des oiseaux.
Nous constatons que le dossier ne fait état d’aucune étude ornithologique, alors que les riverains ont pu observer de nombreuses espèces d’oiseaux, des limicoles, des tourterelles vertes, une petite population de colliers blancs qui est en augmentation grâce à la protection des riverains. Selon leurs témoignages, des « Chevaliers », oiseaux migrateurs ont pu être observés périodiquement. Nous demandons donc, préalablement à tous travaux, la réalisation d’un inventaire des oiseaux sur le site et une étude ornithologique sérieuse.
Nous serons particulièrement attentifs à ce qu’aucun site accueillant des oiseaux migrateurs ne soit détruit, conformément à la Convention de Bâle.

d)    L’écoulement des eaux de surface et les réseaux hydriques souterrains.

Le sol sur le site d’extraction est sablonneux, donc très perméable, ce qui favorise l’infiltration des eaux de surface. Les études ont montré la présence d’eau souterraine à partir de 3 mètres de profondeur. L’extraction, allant jusqu’à 6 mètres se fera donc en grande partie dans l’eau, ce qui impactera inévitablement les réseaux d’eau souterraine, et pourrait avoir des conséquences pour la faune et la flore du littoral.
Les trous creusés seront comblés par du schiste, qui ne présente pas les mêmes caractéristiques que le sol initial, ce qui induira des modifications de la végétation de surface.

e)    Risques liés au terrain instable de la carrière de schiste.

Des riverains ont signalé le caractère instable des sols du Pic Porokoué, à l’endroit où doit être extrait le schiste. L’un d’eux affirme : « Ce sont les mimosas qui tiennent le versant » et en 1990 un poulailler aurait été emporté par un glissement de terrain.
La vibration des camions et des pelleteuses et le recours à du dynamitage pourraient représenter un risque réel pour les habitations riveraines.

f)    L’unité de traitement du sable

Le sable extrait des fosses ne pourra pas être utilisé ni commercialisé à son état brut, d’autant qu’il contient une part importante de particules fines et qu’il est mélangé avec des alluvions plus ou moins vaseux. . Il nécessite un lavage, qui entraînera nécessairement un rejet d’eau chargée de matières en suspension, et donc au minimum des bassins de sédimentation pour éviter un rejet dans le milieu naturel. Pour obtenir un produit conforme, le sable devra probablement subir des opérations de concassage et de criblage qui vont générer des nuisances sonores et des émissions importantes de poussière, donc une pollution atmosphérique non négligeable.

2.    Un site d’habitat ancien

Selon le dossier, il n’est pas probable de retrouver des vestiges de civilisations préhistoriques sur la zone. Pourtant à l’occasion de notre visite sur le site, nous avons trouvé à la surface du sol une dizaine de tesson de poterie, en l’espace d’à peine une heure et sans faire d’effort particulier de recherche.
Le service archéologie que nous avons contacté à ce sujet ne partage visiblement pas non plus le point de vue des promoteurs du projet, puisqu’il estime que la Pointe Vidoire constitue le site Lapita le plus important de la Province Sud. Dans ce domaine aussi une étude préalable approfondie s’impose, car il est de notre responsabilité de ne pas sacrifier les vestiges du passé qui appartiennent à notre patrimoine culturel commun

3.    Le sable de mer : un sable de qualité médiocre

« Pour garantir une bonne qualité du béton, il faut une bonne qualité des matériaux qui le constituent, dont le sable. Le sable de mer pose problème pour le béton armé, du fait de la présence de l’agent pathogène que constitue le chlorure de sodium, sauf si ce sable est convenablement lavé. Si on respectait les normes, on ne pourrait pas utiliser le sable de mer ou de littoral, notamment en matière de marchés publics lesquels renvoient à des normes métropolitaines (cahier des clauses spéciales des documents Techniques unifiées ( CCS- DTU – article 2.1 (01.3.8.1 – agrégats)). » Il s’agit là d’un avis d’expert, qui ne laisse subsister aucun doute. Parmi les défauts du sable de mer on pourrait aussi citer une granulométrie sous optimale. Ces problèmes sont bien connus des professionnels. Au demeurant en métropole, l’utilisation du sable de mer pour la confection des bétons est formellement interdite car, le sel qu’il contient corrode les aciers ce qui représente un risque certain. On peut d’ailleurs se demander si le sable, destiné à être exploité a bien subi des essais sur béton pour en vérifier la qualité.

4.    Quelles alternatives ?

Des alternatives à l’utilisation du sable de mer existent : le sable de rivière et surtout le sable de concassage. Que l’on songe par exemple au sable qui engorge les estuaires, aux galets qui encombrent le lit des rivières et qui provoquent régulièrement des inondations, aux stériles que l’on entasse dans les décharges minières….Toutes ces ressources seraient disponibles moyennant traitement : lavage, concassage, criblage.
Après consultation de professionnels et de techniciens, nous sommes en mesure d’affirmer qu’il existe des procédés permettant la production quasi illimitée de sable par concassage, lavage, élimination des fines par cyclonage et criblage aux qualités agréées. Compte tenu de la nécessité pour le BTP de disposer de ressources de sables en quantité suffisante et en qualité aux normes métropolitaines, nous demandons qu’un inventaire soit fait des ressources disponibles, qu’une étude comparative de leurs caractéristiques soit réalisée, et que les normes métropolitaines pour le béton soient appliquées, ce qui réduirait considérablement l’exploitation du sable de mer, et ses conséquences néfastes pour le milieu.

Conclusion :

Le sable de mer n’est pas une ressource renouvelable. Son exploitation ne relève donc pas d’une activité de développement durable. D’autres techniques existent pour produire du sable de construction de bonne qualité en quantité quasiment illimitée par concassage de roches appropriées.
Compte tenu de l’impact sur le milieu des carrières de sable de mer, nous considérons qu’il convient de mettre un terme à ce type d’exploitation ou au moins de les limiter de façon drastique pour des usages particuliers, par l’adoption d’une norme de qualité en référence aux normes européennes pour le sable de construction et le béton armé.
Par conséquent, nous exprimons notre opposition au projet d’exploitation de sable de la Pointe Vidoire.