A. Sur la forme :
1. Sur la durée de l’enquête :
L’enquête publique est ouverte du 8 au 22 novembre 2006, soit une durée de 15 jours avec des horaires très restrictifs et l’interdiction de photocopier des éléments. Pour des citoyens ordinaires qui ne sont pas nécessairement des spécialistes et qui sont aussi soumis à des horaires de travail, la durée de consultation est trop courte. Nous demandons donc la prolongation de la durée de l’enquête d’au moins 1mois et des horaires plus adaptés.
2. Sur le morcellement des enquêtes
Il était prévu initialement l’ouverture de deux enquêtes simultanées, portant sur l’objet ci-dessus, mais aussi sur les installations portuaires. Il va de soi que les deux projets sont étroitement imbriqués, notamment pour ce qui est de l’acheminement ( par convoyeurs ?) des matériaux du port à leur lieu d’utilisation. Pour comprendre le fonctionnement de l’ensemble, une vue globale est nécessaire, ce que ne permet pas le morcellement des enquêtes portant sur des éléments séparés du projet. On ne peut donc que déplorer le « différé » de l’enquête portant sur les installations portuaires. Pour apprécier le projet actuel soumis à enquête publique il conviendrait en outre de disposer de l’intégralité du dossier d’enquête portant sur la centrale thermique de Prony Energie, ainsi que des conventions qui lient les deux opérateurs.
B. Sur le fond :
1. Peut-on accepter qu’un « service public » soit livré au bon vouloir d’une entreprise privée ?
Il est bien spécifié que la présente enquête porte sur : « la demande d’autorisation d’exploitation couvrant les installations de Goro Nickel SA, nécessaires à l’exploitation de la centrale de Prony Energie ». Il est communément admis que la centrale thermique de Prony Energie est destinée à alimenter le complexe industriel de Goro, mais aussi le réseau public et qu’elle sera gérée par ENERCAL, société mixte, détenant le quasi monopole de la production d’énergie en Nouvelle-Calédonie. Est-il concevable qu’une entreprise « de service public » dépende pour son fonctionnement d’une entreprise privée, à capitaux majoritairement étrangers, qui de ce fait peut imposer ses règles, notamment en matière de tarifs ? La transparence à l’égard du public voudrait que la convention liant Enercal et Goro Nickel, concernant précisément « l’exploitation par Goro Nickel des utilités liées au fonctionnement de Prony Energie », soit intégralement intégrée dans le dossier d’enquête publique. Le flou entretenu entre ce qui relève de Prony Energie et Goro Nickel nuit gravement à la compréhension des imbrications entre les deux opérateurs et laisse planer un doute sur les responsabilités de chacun.
En l’absence d’information, toutes les hypothèses sont permises. Le barrage de Yaté constitue un précédent. Construit sur fonds publics pour satisfaire les besoins énergétiques de la SLN, il fournit de l’électricité à cette société, à un tarif très préférentiel. Compte tenu des tarifs pratiqués par Enercal pour la fourniture d’électricité, il n’est pas interdit de penser que les particuliers « subventionnent » le courant consommé par l’industrie métallurgique. Puisque le procédé a fonctionné avec le barrage de Yaté, pourquoi ne pas continuer avec Prony Energie ?
2. L’enquête publique précède-t-elle ou suit-elle l’autorisation ICPE ?
Par arrêté n°1532-2OO5/PS, du 21 novembre 2OO5, Prony Energie a obtenu
l’autorisation d’exploiter une centrale électrique au charbon à Goro. On peut toutefois s’interroger sur la valeur d’un permis, portant sur une installation soumise à ICPE, dont l’autorisation a été annulée.
De plus, si le permis d’exploiter la centrale thermique a déjà été donnée par la Province Sud, ce qui est visiblement le cas, à quoi sert l’enquête publique ? La présente enquête aurait dû être faite avant l’autorisation d’exploiter, puisqu’elle porte sur des éléments nécessaires au fonctionnement de la centrale thermique. A quoi sert une consultation publique pour un projet qui a déjà obtenu l’autorisation de fonctionner ? Cet exemple montre bien « l’intérêt » que les autorités compétentes portent à la consultation publique.
C. Sur chacun des éléments qui constituent le projet soumis à enquête publique :
1. La chaudière :
La présentation générale de l’installation fait état pour l’eau d’un circuit fermé, mais aussi d’un effluent liquide de 7O l / heure, soit 1,7 M3/ jour, qui serait dirigé vers la station des eaux usées de la base vie puis rejeté dans le milieu. N’y a-t-il pas contradiction entre circuit fermé et rejet d’effluents ?
De plus, compte tenu de nos informations, il semblerait que la station d’épuration, à l’heure actuelle déjà, ne fonctionne pas de façon satisfaisante. On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité de cette installation à traiter un surplus d’effluent et en définitive sur la « qualité » de l’effluent rejeté dans le milieu ?
Il est également mentionné le rejet de dioxyde de soufre, d’oxyde d’azote et de poussières qui, selon le promoteur ne « présentent aucun danger pour la santé ». Il s’agit d’une appréciation qu’il aurait fallu étayer par une argumentation un peu plus scientifique.
Séparément les quantités de matières rejetées dans l’air ou à terre peuvent paraître minimes, mais combinées aux rejets de l’usine, ils pourraient s’avérer inacceptables. La défiscalisation accordée par l’Etat français à l’ensemble du complexe industriel de Goro Nickel est soumise à l’application stricte de la réglementation métropolitaine et aux directives européennes, les plus récentes. Dans cette logique, même les dispositions du protocole de Kyoto sont exigibles des opérateurs bénéficiant de cette défiscalisation, pour tout ou partie de leur projet. Or il est notoire que la centrale thermique de Prony Energie, aux normes de 1999 échappe aux dernières normes.
Notre Pays a sa part de responsabilité dans le phénomène global de réchauffement climatique. Par solidarité avec les états insulaires du Pacifique et dans un souci de préservation des Loyauté en particulier d’Ouvéa, il nous appartient de nous imposer des règles, en matière de rejets atmosphériques.
2. Le dépôt d’hydrocarbures.
Il consiste pour l’essentiel en un dépôt de 511m3 de fioul lourd et d’un bac de 11 m3 de gas oil. Le fioul lourd est un hydrocarbure extrêmement polluant et son transport ne va pas sans risque en particulier par mer. Compte tenu de la biodiversité marine très particulière de la Baie de Prony, et du fait qu’un accident maritime ne peut pas être entièrement exclu, nous sommes très inquiet des conséquences irréversibles d’une pollution marine éventuelle dans la Baie de Prony. Le choix du fioul lourd et du charbon pour la centrale thermique de Prony énergie sont très discutables et nous déplorons qu’aucune étude comparative n’ait été réalisée portant sur d’autres sources d’énergie comme le gaz ou la géothermie profonde et jointe au dossier d’enquête publique.
3. La station de transit des déchets
Selon le promoteur, « tous les déchets seront traités par une entreprise extérieure, conformément à la réglementation en vigueur… ».Les références de cette réglementation ne sont pas mentionnées explicitement, ce qui est d’autant plus préoccupant qu’il s’agit probablement de déchets industriels dangereux relevant d’une réglementation internationale, ceux-ci devant être traités hors du territoire dans des sites appropriés. Il serait par ailleurs intéressant de connaître la nature exacte de ces déchets.
Nous avons noté aussi que les 25OO tonnes de cendre par an seront amenées à Paîta, mais ne pourront pas être stockée à l’ISD de classe 2, non habilitée à recevoir des déchets industriels. Dans quelles conditions ces cendres vont-elles être acheminées puis stockées ?
Toujours selon le promoteur, le réseau interne des eaux usées, constitué de drains et de bassins de sédimentation rejettera dans le milieu naturel de l’eau dont la qualité sera conforme à la réglementation.. . Laquelle ?
4. Alimentation en eau
Le site sera alimenté en eau brute depuis le lac de barrage de Yaté et le pompage de la Kwé Ouest. A l’occasion de l’enquête publique concernant le pompage de l’eau dans le lac de Yaté et son acheminement par tuyau à travers la Réserve Botanique de la Madeleine, nous avions déjà manifesté notre opposition à ce projet. Le lac de barrage est destiné à alimenter la centrale hydro électrique de Yaté et ses ressources n’ont pas être déviées à d’autres fins, rejetées chargées de métaux lourds et autres pollutions industrielles dans le lagon.
De plus, l’eau douce destinée à alimenter Prony Energie a fait l’objet d’une négociation que nous tenons à dénoncer : elle est achetée à Enercal par Goro Nickel, puis revendue à Enercal pour Prony Energie. A qui profite cette manœuvre et qui en fait les frais ?
Nous sommes en outre préoccupés par la quantité d’eau pompée dans la Kwé ouest qui pourrait mettre à mal la faune et flore aquatique, en particulier en période d’étiage.
5. Le stockage du charbon
Le charbon sera stocké en andains de 17 mètres de haut, ( Cette hauteur est-elle conforme aux normes ? ) avec une zone de circulation de 5 m de large, ce qui parait peu pour permettre à des camions incendie d’intervenir en cas de besoin. Il existe de toute évidence un risque d’auto-échauffement. Quel dispositif est prévu dans ce cas, et en quel lieu pourra se faire un retrait des volumes et leur étalement ? La dispersion de la poussière sera contrôlée par arrosage et il est envisagé d’utiliser le matériel de lutte contre l’incendie. Cette utilisation est-elle réglementaire ? L’arrosage va nécessairement induire une infiltration des eaux dans le sol, ce qui risque de provoquer une contamination des nappes et la prolifération de substance indésirables dans le milieu naturel. Sur d’autres sites industriels, les opérateurs n’hésitent pas à installer une couverture intégrale de la zone. Pourquoi cette solution n’est-elle pas envisagée à Goro ? Le charbon peut contenir des espèces envahissantes, comme la fourmi de feu ou d’autres espèces dangereuses. Quelles dispositions seront prises pour éviter ce type de prolifération, et assurer une véritable bio sécurité sur le site ?
6. Les contrôles des rejets atmosphériques
Le contrôle des rejets atmosphériques est semble-t-il assuré par Goro Nickel, comme cela a été le cas pour la SLN, à Doniambo. Il est écrit : « En cas de pollution de l’air, Goro Nickel informera les autorités compétentes et des mesures seront prises ou envisagées »…Voilà de quoi nous rassurer ! D’autant plus que pour les particules fines, « les valeurs limites quant à la santé humaine ne sont appliquées que s’il n’y a pas ….de vent violent ». Nous estimons qu’il est inacceptable que l’industriel contrôle lui-même ses rejets atmosphériques. Cette tâche revient logiquement à un organisme de contrôle indépendant, quand aux vents violents, chacun sait qu’il n’y en a jamais dans le sud…
7. Les rejets dans le creek de la Baie Nord
Nous lisons : « L’impact des effluents de Prony Energie traités et rejetés dans le Creek de la Baie Nord par le réseau Goro Nickel est au maximum jugé modéré ». A chacun d’apprécier ce que l’industriel entend par là, d’autant plus que les chiffres donnés sont très variables : le volume des rejets est-il de 5O m3/ heure ou de 258 m3/ heure ? Leur température, s’élève-t-elle à 3O°c ou bien 4O°c ? Le ph est-il de 5,5 ou bien de 8,5 ?
Si le flou entourant les chiffres ci-dessus peut faire douter du caractère scientifique de l’étude, les chiffres fournis sur le tableau pages 29/3O ne laissent subsister aucun doute : on rejettera dans le creek : 62 kg/ jour d’hydrocarbure, 3IO kg / jour de MES ‘ matière en suspension) et 775 kg/ de DCO. En période de sécheresse, le creek de la baie Nord ne sera plus qu’un tout à l’égoût malsain.
C’est évidemment d’autant plus regrettable que ce creek compte à ce jour : 29 espèces de poissons dont 4 espèces endémiques et 2 espèces vulnérables (Eleotris melanosoma et Radigobius bikolamus, ) figurant sur la liste rouge de l’UICN. Il est prévu un suivi biologique mais nous n’avons pas trouvé trace d’un plan de gestion et de conservation garantissant le survie de ces espèces. Autant dire, si le projet se réalise, qu’elles sont d’ores et déjà condamnées, ce qui est contraire à l’engagement pris par la France de lutter contre l’extinction des espèces dans ses territoires d’outre- mer.
8. Impact sur les écosystèmes terrestres et les paysages.
L’industriel reconnaît que la zone défrichée a fait l’objet de travaux de terrassement depuis 2OO1 et qu’ils avaient dû entraîner la perte de plusieurs espèces végétales ainsi que différents habitats pour les oiseaux…Il considère que ces éléments avaient été pris en compte sans préciser comment. Où sont en effet les plans de conservation de ces espèces et des habitats ? Il juge en définitive « l’impact comme mineur », d’autant plus que des efforts d’atténuation comme la revégétalisation des pentes, permettront de restaurer les zones affectées. Il ne précise ni quand ni comment.
Concernant l’impact visuel, « il est essentiellement lié, à la hauteur de stockage du charbon. Heureusement que de loin, ces tas de charbon présenteront un aspect peu différent de l’aspect actuel de terre décapée de couleur brun rouge ». Voilà de quoi rassurer les « amoureux du Sud ». Le regard porté est bien celui d’un industriel peu soucieux de la biodiversité du sud et suffisamment cynique pour nous faire prendre du charbon pour de la terre rouge, comme il ferait prendre des vessies pour des lanternes.
Conclusion :
Le dossier soumis à enquête publique se compose essentiellement d’assertions destinées à rassurer le public. Elles manquent très souvent de données chiffrées vérifiables. Il s’agit pour un dossier de cette nature d’un manquement grave aux obligations incombant au promoteur, d’un manque de sérieux et de considération pour les citoyens, attitude que nous ne pouvons que dénoncer et réprouver.
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