Observations d’Action Biosphère
La nécessité de construire de nouveaux logements pour une population en constante augmentation à Nouméa et sa périphérie ne fait aucun doute. On peut donc admettre, comme les promoteurs que « Construire une ville où tous peuvent se loger dans des conditions d’hygiène acceptables pour les habitants et pour l’environnement » relève de « l’utilité publique ». Toutefois le caractère spéculatif de l’opération, à 30 logements prévus à l’hectare, ne fait également aucun doute.
Compte tenu des dimensions du projet (6000 logements destinés à recevoir près de 20 000 habitants, une salle multifonctionnelle, un « médipôle », un parc des sports, des collèges, des écoles etc…) une attention particulière doit être portée à la conservation des éléments naturels qui font l’originalité du site, et aux conséquences de l’afflux massif de population sur le milieu naturel, susceptibles de détériorer la qualité de vie que recherchent précisément les acquéreurs potentiels.
De plus, le projet prévoit le déclassement d’une partie du domaine public maritime, et ceci semble peu conforme aux termes de la Loi de Pays sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des Provinces du 11 janvier 2002.
1. La forêt sèche et la mangrove doivent être intégralement protégées
Selon les documents accessibles dans le cadre de l’enquête publique, les milieux naturels les plus significatifs du site, dans son état actuel, sont la forêt sèche et la mangrove. La plaquette de présentation du projet mentionne une « étude d’impact ». Nous déplorons que pour un projet d’une telle ampleur, dans un site sensible, le bord de mer, cette étude, si elle a été faite, avec un inventaire de faune et de flore, ne soit pas jointe au dossier d’enquête publique. Elle aurait permis d’identifier avec précision les espèces de faune et de flore présentes et de localiser éventuellement des espèces vulnérables ou en danger.
En effet, l’absence d’une telle étude ne permet pas d’évaluer de façon précise l’impact du projet sur le milieu, ni de proposer les mesures pour tenter de réduire ces impacts et élaborer comme il le faudrait des plans de conservation des espèces menacées.
a) La forêt sèche :
Le document fait état de 2 morceaux de 11 et de 4 hectares de forêts sèches dont une partie, selon les promoteurs, relativement dégradée et traversée par des layons. En l’absence de critères et de données chiffrées, quelle valeur accorder à cette appréciation ? De plus, leur localisation est approximative et aucun inventaire ne permet d’en identifier les espèces. L’intention affichée des promoteurs de préserver la forêt sèche est certes louable, mais comme elle ne repose sur aucune base scientifique, elle n’est pas crédible.
D’autant plus qu’il nous semble que des lots prévus se trouvent précisément dans ces forêts. Les lambeaux de forêts sèches qui se trouvent sur le site doivent être clairement identifiés, bénéficier d’un statut qui les protège de la destruction et mis en défens, entourés de zones tampons, protégés contre les espèces envahissantes que les riverains ne manqueront pas de planter dans leurs jardins, et contre la cueillette de bois pour les barbecues.
b) La mangrove
Chacun sait qu’une grande partie de Nouméa a été édifiée sur des espaces « gagnés » sur la mer, où poussait autrefois la mangrove. Selon Thollot et Wantiez, 85% des mangroves du grand Nouméa avaient disparu en 1993. Il est vrai que la mangrove avait encore récemment l’image d’un milieu insalubre, peuplé de moustiques, ayant vocation à recueillir nos immondices, ou à être éradiquée.
Cette image a toutefois évolué. En faisant disparaître la mangrove, on sait aujourd’hui qu’on se prive d’un milieu naturel à haute valeur écologique dont les bénéfices sont difficilement chiffrables : elle protège la côte contre les assauts de la mer, filtre les effluents terrestres, sert de lieu de reproduction et de nurserie pour les poissons, d’habitat pour les crabes et autres fruits de mer…Au point qu’on cherche à Nouméa, des espaces susceptibles d’être replantés en mangrove.
De ce fait, il est difficilement compréhensible que les promoteurs de la ZAC de Dumbéa sur Mer projettent le remblaiement de 2 mangroves, avant la « Quarantaine de Koutio », désignées sous l’abréviation M1 et M2et d’une surface de 20 hectares. Nous estimons que les mesures compensatoires de replantation de mangroves ailleurs et de « valorisation »des autres mangroves soit 60 hectares qui ne sont pas sacrifiés pour l’instant, ne remplaceront pas la mangrove détruite.
La mangrove, là où elle se trouve doit être protégée, préservée et sa destruction par remblaiement n’est plus acceptable, quel que soient les motifs invoqués.
2. Les autres impacts sur le milieu
a) Les eaux usées
Outre la destruction de la mangrove et de la forêt sèche, ce qui risque d’avoir le plus de conséquences sur le milieu est le rejet des eaux usées. Il faut espérer que le lotissement de la Pointe à la Dorade ne constitue pas un précédent en matière d’assainissement et un « exemple » que les promoteurs de la ZAC de Dumbéa sur Mer pourraient être tentés de suivre. A notre connaissance, ce lotissement n’est raccordé à aucune station d’épuration pour traiter ses eaux usées, qui sont dirigées semble-t-il vers de grands « bacs à graisse », avant d’être rejetées dans le milieu. L’analyse de la qualité de ces eaux et de leur composition bactériologique et chimique pourrait réserver des surprises.
L’intention des promoteurs de la ZAC de Dumbéa sur Mer de diriger les eaux usées vers la station d’épuration de Koutio n’est pas de nature à nous rassurer. Nous doutons en effet de la capacité de cette station à traiter un volume supplémentaire aussi conséquent. Au cas où cette hypothèse devait être retenue, l’augmentation de la capacité de traitement de la station de Koutio nous paraît être un préalable, dont les infrastructures nécessaires doivent être intégralement pris en charge par les promoteurs, et non retomber par des voies détournées sur les contribuables
b) Les eaux pluviales
Contrairement aux eaux usées dirigées vers la station d’épuration de Koutio, les promoteurs prévoient de rejeter les eaux pluviales directement à la mer. Des calculs ont été faits sur les volumes rejetés, mais pas sur leur qualité. Or les eaux pluviales provenant des chaussées contiennent des quantités variables d’hydrocarbures et de substances chimiques susceptibles d’impacter le milieu. Elles mériteraient à ce titre un traitement particulier, surtout si elles sont rejetées dans le milieu marin. On peut difficilement imaginer que les effluents de la ZAC, quelle que soit leur nature, n’impacte pas l’exploitation d’élevages d’huîtres qui se trouve dans la baie de Dumbéa.
c) Les moyens de déplacement des populations
Outre le logement, la ZAC intègre un certain nombre d’activités (hôpital, établissements scolaires, commerces…) qui permettront à une partie de la population de travailler sur place. La plus grande partie devra néanmoins quitter la ZAC pour se rendre à son travail. Des échangeurs sont prévus essentiellement pour des déplacements en voiture. Compte tenu des nuisances liées à l’utilisation de la voiture, pollution atmosphérique, accidents, consommation d’énergie fossile et production de gaz à effet de serre, il nous semble important de prévoir aussi un réseau fonctionnel, rapide et confortable de transports en commun et un réseau de pistes cyclables utilisées pour se rendre en bicyclette en toute sécurité à Nouméa.
3. Le déclassement d’une partie du domaine public maritime
A l’Anse Apogoti, au pied du Pic aux Morts, il est prévu le déclassement d’une partie du domaine maritime. L’article 5 de la loi du Pays portant sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie précise que « le déclassement de la zone des pas géométriques ne peut intervenir que dans un but d’intérêt général, lorsque la domanialité publique est incompatible avec le projet à réaliser ». Nous ne sommes pas persuadés que le projet nécessitait impérativement le déclassement d’une partie du domaine public maritime, d’autant que la partie déclassée va probablement s’intégrer dans une zone de lotissement résidentiel.
L’argument avancé par les promoteurs en faveur du déclassement, est qu’ « il permet de respecter le programme de la ZAC en nombre de logements, qu’il favorise une meilleure intégration dans le paysage et minimise l’impact sur l’environnement ». Cet argument a le mérite d’être particulièrement éclairant sur la logique qui motive les promoteurs, c’est « le respect du programme de la ZAC », c’est-à-dire le nombre de lots susceptibles d’être commercialisés, même s’il faut pour cela sacrifier quelques lambeaux de forêts sèches, remblayer la mangrove et aliéner le domaine public.
Le respect de l’intérêt général consiste à nos yeux, à ne pas porter atteinte au patrimoine naturel commun pour que nos enfants puissent encore en bénéficier, et veiller à ce que nos intérêts immédiats soient compatibles avec une qualité de vie à long terme.
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