Faut-il construire un « ecolodge » à Casy ?

Casy

Si on considère les dégradations programmées et les destructions massives que l’industrie minière et métallurgique inflige au Grand Sud, l’idée d’un « Ecolodge » à Casy,  de prime abord paradoxale, a aussi de quoi séduire, d’autant que le projet se présente comme un outil de développement, créateur d’emplois s’intégrant « harmonieusement » dans son environnement.

Toutefois ce nouveau projet devrait susciter, chez tout citoyen soucieux des affaires de son Pays, au moins quelques questions, voire quelques réticences, si ce n’est une franche opposition : Un îlot situé au beau milieu d’une réserve naturelle marine a-t-il vocation à accueillir un hôtel de luxe pour clients fortunés ? Ce projet est- il compatible avec  le statut et les finalités d’une réserve ? Quels impacts peut-il avoir sur l’environnement ? Quel en est le coût pour la collectivité, ses  inconvénients et les bénéfices  pour les calédoniens ?

Chacun peut se faire son opinion et trouver des éléments de réponse à ces questions dans les dossiers consultables  à la Mairie du Mont Dore jusqu’au 12 mai dans le cadre de l’enquête publique. Les observations ci-dessous, organisées sous l’angle de chacun des piliers du développement durable, protection de l’environnement, équité sociale, efficacité économique et bonne gouvernance ont été communiquées au commissaire enquêteur pour le compte d’Action Biosphère.

L’Ecolodge de Casy est-il vraiment un hôtel écologique ?

a) Le concept d’Ecolodge

Selon la définition même donnée par les promoteurs du projet, «  un Ecolodge est une forme d’habitat destiné à l’accueil des touristes…pensé, conçu, construit, exploité en accord avec des principes environnementaux et sociaux responsables, par exemple : Préserver la faune et la flore locale, privilégier l’économie locale, initier les touristes au respect de l’environnement, limiter l’impact des déchets, maîtriser la consommation d’énergie,  privilégier les circuits locaux…impliquer les communautés locales…dans une communion spirituelle entre nature et culture ». De tels principes sont louables, il est difficile de ne pas y adhérer. Encore faut-il que la réalisation du projet corresponde bien à ces principes et que le concept d’ « Ecolodge » ne soit pas un simple affichage destiné à vendre le produit.

En effet l’Ecolodge n’est soumis à aucun cahier des charges contraignant, fixant des règles ou des normes de respect de l’environnement. Le dossier de présentation du projet ne comporte par ailleurs aucune référence à des normes  de type HQE (Haute Qualité Environnementale) en usage dans le bâtiment.

b) Sur le choix du site

Le choix du site s’inscrit dans la même « logique » que celle qui a inspiré les promoteurs du Méridien d’Oro à l’Ile des Pins il y a une quinzaine d’années.  Le Méridien d’Oro a été construit au beau milieu d’une réserve naturelle intégrale déclassée. L’Ecolodge de Casy va être construit sur un îlot classé réserve naturelle marine, dont on va assouplir la réglementation par un « plan de gestion » adapté, et aussi dans une zone tampon à quelques encablures d’un site classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. L’image de marque en termes de marketing constitue sans aucun doute une plus-value non négligeable. Mais ne prend-on pas le risque en construisant des infrastructures touristiques de ce type au milieu d’une zone protégée, de détruire durablement ce qui en fait précisément l’intérêt, à savoir leur valeur paysagère, leur biodiversité spécifique, leur caractère sauvage ? Comment accepter que des sites qui méritent d’être protégés dans l’intérêt de tous, soient aliénés  et partiellement dégradés, au profit de quelques actionnaires privilégiés et accessoirement d’une clientèle fortunée en mal d’exotisme aseptisé ?

c) Un site sensible, d’intérêt écologique

L’îlot Casy appartient au domaine public de la Nouvelle Calédonie et la majeure partie du complexe touristique se situera sur le Domaine Public Maritime de la Province Sud. La concession demandée est de 15 hectares soit 35% de la surface de l’îlot. La surface totale construite s’élèvera à 4800m2.

L’îlot Casy a la particularité de ne pas être un îlot corallien parce qu’il est géologiquement rattaché à la Grande Terre. Compte tenu de la pluviométrie, il est couvert d’une « végétation exceptionnelle de par sa densité et sa diversité », avec notamment des araucarias et des peuplements intéressants de cycas. Sur l’ensemble de la concession l’inventaire de faune et de flore a permis d’identifier :

  • Pour la flore, 6 espèces protégées ( 2 cycas, 3 orchidées et une plante carnivore),  5 espèces inscrites sur la liste rouge de l’UICN  dont  2 classées VU (vulnérables)
  • 11 espèces d’oiseaux dont 4 endémiques et 9 protégés par la Province sud et la nidification  d’un balbuzard
  • 2 espèces de chiroptères : la roussette rousse ou renard volant et la roussette des roches également sur liste rouge UICN.

A noter que l’état initial ne mentionne pas de reptiles. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de geckos sur l’îlot ou ont-ils été « oubliés » dans l’inventaire ?
Le platier semble être en bon état, l’ichtyofaune variée et le biotope marin est d’intérêt patrimonial.
Par rapport à l’hôtel existant, le nouveau complexe nécessite un agrandissement de la concession de 3350 m2 et  le défrichage de 1,7 hectares avec abattage d’arbres et destruction de la végétation ce qui n’est pas négligeable par rapport à la surface totale de l’îlot.
Même si des espèces ne sont pas directement menacées, ce projet aura un impact sur la faune et la flore, ne serait-ce que par la destruction d’habitats en particulier pour les oiseaux, la pollution lumineuse et sonore qui fera fuir les roussettes…A-t-on évalué le coût d’une remise en état du site, à l’identique de l’état initial,  en cas d’abandon du projet ou de faillite ? Nous estimons que la faune et la flore du Sud ont suffisamment subi d’agressions diverses, par le feu, la mine, l’exploitation forestière ou le vandalisme,  pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en rajouter.

d) A propos des matériaux de construction

Pour donner une touche « nature » au complexe, Il est prévu de construire les bungalows en  bois, en pierres, avec des tuiles de bois et du chaume, et pour la circulation des clients entre les bâtiments,  des decks en bois d’une surface de 3200 m2. Toutefois, aucune précision n’est donnée sur  la nature, et  la provenance de ce bois. Son origine est-elle certifiée conforme à une exploitation rationnelle et durable ou provient-il d’un pays qui continue de mettre sur le marché du bois provenant d’exploitation plus ou moins sauvage de forêts primaires ? Pour les dalles en béton et les constructions en dur, va-t-on faire venir du sable sur l’îlot ou va-t-on ouvrir une carrière sauvage de sable de mer sur une plage ?

e) Une alimentation en énergie qui n’a rien d’écologique

Deux hypothèses ont été envisagées pour alimenter le complexe en énergie :

  • Une hybride recourant à l’éolien, au solaire et à un groupe éléctrogène
  • L’autre par raccordement au réseau EEC, par une ligne aérienne de 4 km et un câble sous-marin de 5 km par 30 mètres de fond

Pour des raisons essentiellement économiques, (malgré un coût d’environ 150 millions), c’est la seconde solution qui a été retenue, donc avec une électricité provenant probablement de Prony Energie, une centrale au charbon dont le caractère écologique doit être démontré.


f) Une ressource en eau problématique pour une consommation peut-être excessive

Actuellement l’îlot Casy est alimenté en eau douce par le captage d’une source dans le village de Prony. Avec un débit estimé à 255m3/j, mais qui baisse en saison d’étiage. La qualité de cette eau n’est pas conforme en raison de présence de coliformes ce qui nécessite une désinfection avant usage. Le diamètre de la conduite sous-marine permet un débit de 45 m3/j, ce qui ne permet pas de satisfaire les besoins en eau douce du complexe, évalué à 80m3/j. Une seconde conduite est donc nécessaire, mais le dossier comporte peu d’éléments à ce sujet. Il est surprenant que les concepteurs d’un « Ecolodge » n’aient pas pensé à un dispositif de récupération d’eau de pluie avec des citernes, et éventuellement un système d’osmose inverse, à moins que la consommation prévue notamment avec les spa et piscine ne dépasse toutes les limites du raisonnable, ce qui pose aussi le problème de l’assainissement, particulièrement sensible dans un milieu comme celui de Casy.

g) Une gestion des déchets « conventionnelle », pour ne pas dire archaïque

Le moindre camping ou auberge de jeunesse en Nouvelle Zélande propose à ses hôtes différentes poubelles pour y jeter leurs déchets. On aurait pu imaginer que les concepteurs de l’ Ecolodge mettent  un point d’honneur à  organiser le tri des déchets en vue de leur acheminement par filières de matériaux récupérés vers un centre de tri/recyclage. Il n’en est rien. Ils se contentent de proposer tous les deux jours l’acheminement de tous les déchets vers le centre le plus proche au Mont Dore, (en vue de leur enfouissement, peut-être à Gadji).

Par ailleurs l’entretien des espaces verts autour des bâtiments va générer d’importantes quantités de déchets verts. Quelle solution a-t-on envisagé pour s’en débarrasser ? Apparemment rien n’est prévu Va-t-on les brûler ou les broyer pour en faire du compost ? Une lacune qui en dit long sur l’approche écologique des concepteurs.

L’assainissement sera assuré par un système performant de type Epur Fix  et une mini station d’épuration qui nécessitent toutefois un entretien régulier,  et produisent une quantité non négligeable de boue à savoir 83 m3 quatre fois par an soit 332 m3, ce qui fait en 18 ans de concession : 6000 m3 environ. Ces boues seront stockées sur des « lits de séchage » d’une surface de 70 m2 et une épaisseur de 30 cm. La valorisation des boues séchées qui représenteraient 5% du volume initial est envisagée sous forme de compost sans autre précision. Il ne demeure pas moins que le stockage de ces boues peut se révéler problématique en raison des odeurs qui pourraient bien incommoder les clients, mais aussi des infiltrations dans le sol ou même du ruissellement en cas de débordement de l’aire  par forte pluie, et de  l’eutrophisation du milieu marin et l’apparition d’algues vertes.

Un coût élevé pour une rentabilité incertaine


Un premier hôtel avait été construit en 1994 sur l’îlot Casy. Il est aujourd’hui fermé, probablement pour des raisons de rentabilité. A-t-on analysé les causes de cet échec et en a-t-on  tiré toutes les leçons ? Si le choix du site peut paraître séduisant, il présente aussi des inconvénients : par exemple son accès par « une mauvaise route » et un transfert obligatoire par bateau.Il faut de bons motifs pour qu’une clientèle aisée, qui a le choix entre le Méridien d’Oro, le nouvel hôtel de Port Boisé, dans la même région ou même le « Paradis d’Ouvéa », choisisse le futur Ecolodge de Casy. Il n’est pas sûr que le côté « Ambiances nature Air Terre Eau »ou même la gastronomie, et les quelques activités de plongée sur l’aiguille de Prony ou promenades en quad dans la Baie de Prony fassent la différence.

Le coût du projet est évalué à 2 284 136 131 cfp dont une partie importante sera financée en double défiscalisation. Il s’agit certes d’un dispositif légal, mais éminemment discutable sur le plan éthique, comme l’affirme Mathias Chauchat dans un article des Nouvelles Calédoniennes du 25 avril 2010 : « C’est un système injuste qui favorise la corruption…La défiscalisation, ce n’est finalement rien d’autre qu’un manque à gagner sur les recettes fiscales…Les capitaux qui sont mobilisés ne le sont que de façon très transitoire puisqu’au bout de 5 ans, les investisseurs, généreusement rémunérés, peuvent revendre leur bien. Dans ce cas je vous laisse imaginer l’ampleur de leur culbute, s’ils ont bénéficié de la double défiscalisation (Loi Girardin et Frogier), alors qu’ils n’ont concrètement mis sur la table qu’un tiers du montant du projet…..La défiscalisation transforme en un minimum de temps l’argent public (par le manque à gagner fiscal) en argent privé, sans aucun bénéfice, bien au contraire, pour la collectivité. »

Le prix (de l’investissement) par unité d’hébergement ( il y en aurait 45) s’élève à 50 758 581 cfp. Avec un taux d’occupation escompté (très optimiste) de 53 à 65%, combien de nuitées faut-il pour amortir cet investissement, compte tenu des frais de fonctionnement qui risquent aussi d’être très élevés ?  Mais il est gros à parier que la rentabilité de ce projet, donc son efficacité économique pour le Pays est le dernier des soucis des investisseurs puisque grâce au mécanisme de défiscalisation, quelle que soit la rentabilité, ils seront toujours gagnants.

Dans un autre article des Nouvelles Calédoniennes, du 30 avril 2010, on peut lire : « Le secteur hôtelier à deux doigts de licencier….Le taux d’occupation du parc hôtelier existant tournerait autour de 30 ou 40 %Le taux de touristes débarqués en janvier en Nouvelle Calédonie a fondu de 18% par rapport à la même période de 2009, déjà pas terrible… ». Selon l’Association des Hôtels de Nouvelle Calédonie, « Ces hôtels Haut de gamme saturent une niche déjà sinistrée. Il n’y a pas de vision Pays… ». Dans ce contexte, on est en droit de douter de la rentabilité du projet et de s’interroger sur l’opportunité d’engager des aides publiques aussi importantes à un tel projet.

Des retombées sociales et culturelles limitées


Il est vrai que le projet est susceptible de créer une cinquantaine d’emplois et de développer quelques activités périphériques, de loisirs, qui ne pèsent pas lourd au regard des sommes engagées sur fonds publics.

Au titre de compensation pour l’impact environnemental, les promoteurs proposent 40 millions, une somme dérisoire au regard de l’investissement… Et qui en seront les bénéficiaires ?

  • Quelques  campeurs avec la construction d’un faré de 3 millions,
  • Les plaisanciers pour 8 mouillages « écologiques » à 2 millions,
  • Les visiteurs qui utilisent des mobilis, pour une antenne GSM OPT à hauteur de  10 millions
  • Et quelques chercheurs de l’IRD, peut-être en reconnaissance de leur complaisance à l’égard de grands Aménageurs et autres Prédateurs Voraces du Grand sud, avec la construction d’une « base scientifique » pour 25 millions…

Les échanges culturels se limiteront probablement à des relations humaines entre clients aisés de la jet set internationale à laquelle on proposera quand même en guise d’initiation culturelle de goûter, dans un hôtel haut de gamme, des ignames, des taros et des poissons à la sauce « Pacific Fusion Food ».

La « bonne gouvernance »


Dans le dossier nous n’avons trouvé  aucune trace de contacts avec les populations autochtones, riveraines de Yaté, ou de l’Ile Ouen. Pourtant on sait aujourd’hui, dans une Calédonie en voie d’émancipation quel est le poids de l’avis et de la perception de ces populations pour la réussite d’un projet de ce type. L’accord des coutumiers nous paraît être un préalable sine qua non à sa réalisation.

Si les promoteurs semblent entretenir de bonnes relations avec l’IRD, on peut se demander s’il en est de même avec  l’ « Oeil », l’Observatoire chargé du suivi environnemental dans le Sud calédonien.

Par ailleurs la procédure de consultation des dossiers  dans un lieu et à des horaires contraignants,  ne facilite pas l’information du public. A l’heure où de nombreuses démarches administratives s’effectuent en ligne, pourquoi les pouvoirs publics en charge de ce dossier ne permettent-ils pas une consultation via internet ?

Conclusion :

Chacun l’aura compris, la lecture des dossiers de l’enquête publique,  ne nous incite pas à considérer le projet d’Ecolodge à Casy, comme une priorité pour le Pays, d’autant plus qu’il bénéficiera de façon très conséquente de fonds publics. Il ne satisfait à aucun des critères du développement durable, il ne respecte pas  l’environnement, sa rentabilité économique est incertaine, il ne contribue en aucune façon à l’équité sociale. Nous ne pouvons donc qu’y être défavorables. Et nous estimons en outre que  nos décideurs et élus, toutes tendances confondues seraient plus inspirés d’utiliser les fonds publics et particulièrement nos impôts dans des domaines d’intérêt général, où nous avons accumulé un retard considérable, par exemple le traitement des eaux usées, le tri et le recyclage des  déchets, le développement des transports en commun en sites propres, l’accès pour tous aux énergies renouvelables…