Nous n’avons aucune compétence particulière dans le domaine médical ou sanitaire et nos observations sur le plan Do Kamo ne sont que celles de citoyens soucieux de la qualité de vie de leur pays et de la santé de ses habitants.
1. Une approche holistique de la santé.
Avec le plan de santé calédonien Do Kamo, le gouvernement propose à première vue une politique de la santé qui a de quoi séduire. Elle ne limite pas la santé aux soins et s’appuie sur une approche holistique de la santé qui intègre l’ensemble des facteurs déterminants mentaux, environnementaux et sociaux qui agissent sur le bien- être et la santé. De ce point de vue, elle est conforme à l’esprit de la Déclaration d’Alma Alta,, prononcée en 1978 par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui affirme, entre autre, la nécessité dans le domaine de la santé, d’actions coordonnées des secteurs de l’agriculture, l’élevage, la production alimentaire, l’industrie, l’éducation, le logement, les travaux publics et les communications et qui met l’accent sur les soins de santé primaires et la prévention. Nous ne pouvons que souscrire à cette approche et l’encourager
2. Priorité à « l’urgence économique » sur la santé.
Cette première impression plutôt positive est vite atténuée par la logique développée ensuite tout au long du Plan qui subordonne inexorablement la santé à « l’urgence économique », un concept aux contours flous, dont la définition reste étroitement dépendante de l’appréciation de chacun.
Compte tenu de l’augmentation des frais de santé, en Nouvelle Calédonie, on peut comprendre la nécessité pour les autorités de contrôler l’évolution de ces coûts et de se donner les moyens d’y faire face pour éviter que le Pays ne soit plus en situation de les assumer.
Le fait de donner la priorité à l’économie sur la santé n’est toutefois pas anodin. Il n’est en tous les cas, pas de nature à rassurer les calédoniens qui souffrent de pathologies graves et même, de façon plus générale, la population dans son ensemble qui n’a aucune garantie d’échapper un jour, à de graves et coûteux problèmes de santé. Ce choix soulève par ailleurs, de nombreuses questions : sur quelle base va-t-on « déterminer l’enveloppe annuelle de financement du système de santé » ? Qui va décider des priorités dans l’utilisation des fonds - qui a donc le pouvoir de vie et de mort sur les citoyens- et qui devra donc trancher la douloureuse question de ceux que l’on va laisser pour compte ? Comment un médecin va-t-il annoncer à son patient que le Pays a les moyens techniques de le soigner, mais que le budget dont il dispose ne permet pas de le traiter et que le patient se trouve de ce fait condamné ?
Quoiqu’il en soit, compte tenu de l’évolution du coût de la santé, on ne peut qu’adhérer aux propositions qui sont faites de réduire les dépenses, en espérant que ce n’est pas au détriment des malades et de mettre en œuvre des recettes nouvelles en taxant certains produits néfastes à la santé et surtout en cherchant des ressources financières là où elles se trouvent.
3. Absence d’un état des lieux.
Le rapport qui nous est soumis ne comporte pas d’état initial de la situation actuelle de la santé en Nouvelle Calédonie. Les données qui nous sont fournies sont fragmentées et disparates et ne suffisent pas à dresser un tableau global et précis de la santé. Les données sur l’obésité et le diabète sont évidemment importantes, mais qu’en est-il des cancers, de la dépression et d’autres pathologies graves ? L’observatoire qu’il est question de créer, devrait être l’étape préalable à l’élaboration d’un plan. Seul un état des lieux qui met en évidence les principales caractéristiques de l’état sanitaire du Pays, qui pointe les aspects les plus préoccupants permet de définir un plan cohérent avec des priorités, une répartition des rôles, une estimation des coûts, une planification dans la durée et l’identification de partenaires et la constitution d’un réseau au sein des services de santé mais aussi à l’extérieur.
4. Sous l’apparence d’une « démocratie sanitaire », un risque évident de concentration du pouvoir.
Il apparait clairement que le système de santé en Nouvelle Calédonie, dont les éléments ont été mis en place au fur et à mesure en fonction des besoins, souffre de cloisonnement et manque de cohésion. Il est donc légitime de vouloir remédier à cette situation. Des organismes comme la CAFAT ont toutefois le mérite d’être des organismes paritaires où la société civile par le biais des représentants des partenaires sociaux participe de façon déterminante à la prise de décision. Le projet qui consiste à modifier les statuts de la CAFAT et d’en faire un Etablissement Public Administratif ne va pas nécessairement dans le sens d’une gouvernance participative. Il ne faudrait pas que la société civile soit spoliée du peu de pouvoir dont elle dispose aujourd’hui encore.
Par ailleurs, la création d’une « Agence Indépendante de Régulation », dont le coût de fonctionnement va s’ajouter à celui des services administratifs existants ne va pas dans le sens d’une réduction du coût de la santé.
Enfin, sous couvert de « démocratie sanitaire », selon la composition du CA, cette agence dite « indépendante », pourrait même être facilement instrumentalisée par un gouvernement tenté, en cas de difficulté budgétaire de faire fi de l’étanchéité des régimes et de puiser des fonds dans une caisse pour résorber le déficit de l’autre, au détriment des bénéficiaires. Il n’est pas sans intérêt de constater que, dans de nombreux domaines, comme maintenant la santé, mais aussi l’environnement avec le Parc Naturel de la Mer de Corail et plus récemment l’énergie, avec la création d’une Agence Calédonienne de l’Energie, le scénario qui consiste à créer des Agences, ou des organismes para-administratifs, politiquement proches du pouvoir a tendance à se généraliser.
5. En ce qui concerne les facteurs qui agissent sur la santé, les bonnes intentions, les exhortations ou les incantations ne suffisent pas.
L’accès aux soins est évidemment le pilier central de toute politique de la santé. Il doit être garanti dans le respect du principe d’égalité et de solidarité. L’accès aux soins ne peut pas être soumis à une sélection par l’argent. La solidarité doit permettre à tous de bénéficier de la même qualité de soins quelle que soit son origine et sa situation sociale.
Mais comme en fait état le préambule de ce rapport, l’accès aux soins ne suffit pas pour garantir une bonne santé des populations. La prévention et d’autres facteurs sociaux ou environnementaux conditionnent l’état sanitaire et le bien être des gens dans des domaines aussi variés que l’alimentation, l’agriculture, l’habitat, le travail, la qualité de l’air ou de l’eau et de façon générale, l’environnement, le mode de vie, les déplacements, l’éducation etc….Il est donc essentiel qu’il y ait une coordination étroite et des liens transparents et institutionnalisés, entre ces domaines et la santé et une volonté politique forte pour aboutir au résultat escompté.
Par exemple, dans le domaine de la consommation, si on ne peut qu’approuver la taxation de l’alcool, du tabac et des boissons sucrées, pour trouver des fonds destinés à soigner les pathologies qu’entraine la consommation de ces produits, ce n’est pas une mesure suffisante. La taxation est un moyen qui ne doit en aucun cas se substituer à l’objectif, qui consiste à tout mettre en œuvre pour garantir à la population une bonne santé. Pour avoir du sens, elle doit être accompagnée de mesures légales beaucoup plus contraignantes et moins populaires, comme en interdire la publicité ou par exemple, prohiber certains additifs, ou réglementer de façon drastique l’usage de certains produits comme le sel ou d’autres substances néfastes.
Dans le domaine agricole, certains pesticides jugés dangereux pour la santé et ou l’environnement sont à bannir sans délai et sans état d’âme.
En ce qui concerne la santé mentale, dans des domaines, comme l’entreprise, il convient de veiller attentivement à la gestion du personnel, et à la façon dont il est traité pour éviter la dépression, ou le burn out, et de mettre en place des procédures destinées à les prévenir.
Des catastrophes comme celle liée à l’amiante industrielle ou naturelle en Europe et même en Nouvelle Calédonie ou celle du Chlordécone aux Antilles, sont en partie imputables à un manque de coordination, mais sont surtout dues au laxisme et la complicité coupable, entre les responsables de la santé, les lobbies industriels et les autorités politiques. De tels scandales sanitaires ne sont pas acceptables et le plan Do Kamo doit contribuer à les prévenir.
Dans tous les domaines, des moyens existent pour promouvoir la santé et le bien - être, à condition de prendre en compte les personnes, de se mettre à leur écoute, de ne pas se contenter d’affichage, d’opérations de complaisance ou d’enfumage à des fins économiques ou électorales, mais de faire preuve d’une volonté politique réelle pour s’attaquer aux problèmes sur le fond.
Le 30 septembre 2018 ACTION BIOSPHERE
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