Le développement durable : derrière la nébuleuse, un miroir aux alouettes ?

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Développement durable ?

La seconde édition d’Océania 21 Meetings vient de s’achever. Du 28 juin au 2 juillet 2014, elle a rassemblé à Nouméa, des délégations d’une quinzaine de territoires et d’états du Pacifique, des experts et des représentants d’ONG internationales. Cette conférence initiée par le gouvernement calédonien est l’expression d’un « think tank », qui a vocation à faire l’interface entre les décideurs politiques et des experts ou « dépositaires de techniques et de savoir ». L’objectif d’Océania 21 est de fédérer ces états pour faire entendre leur voix auprès de la communauté internationale, pour dénoncer les conséquences désastreuses du réchauffement climatique dont ils sont les premières victimes. Ils tentent également de promouvoir des projets concrets de développement durable adaptés à leur environnement et à leurs populations et de mobiliser des fonds pour soutenir ces projets.

Selon LNC du 30/06/2014, « Océania 21 n’est pas axée sur l’environnement mais sur le développement durable. Ce concept, adopté depuis le Rapport Brundtland en 1987 et largement vulgarisé depuis le sommet de Rio en 1992 est commode, et même, d’une certaine façon, fédérateur, parce que chacun peut y apporter ce qu’il veut, un peu comme dans une auberge espagnole. Le problème, c’est qu’il s’agit d’un concept flou, sur lequel, de l’aveu même de Benoit Martimort, l’un des conférenciers de l’édition 2013 : « on manque de vision globale… ». Un autre conférencier, Jacques Gordon, tente une image : « Le développement durable, c’est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais… ». Reste à savoir où commence le bon et où s’arrête le mauvais. C’est dire l’élasticité du concept.  Rappelons-nous, dans un passé récent, que certains ont tenté de faire passer l’usine du sud comme un modèle de développement durable. Au mieux il désigne des technologies qu’il convient d’encourager, au pire, il sert d’alibi ou même de label, pour occulter les pires pratiques. Il y a fort à parier qu’au sein même d’Océania 21, il aurait été difficile de se mettre d’accord sur une définition. Toute l’ambiguïté réside précisément dans le fait qu’il ne récuse à aucun moment le principe même de l’idéologie dominante : une croissance sans limite de la production et de la consommation   incompatible avec les limites de notre planète.

On ne peut que se réjouir que des décideurs politiques s’intéressent enfin à des problématiques que des associations environnementales régionales ont portées depuis des années. On ne peut que souscrire au tri et recyclage des déchets, au compostage en agriculture, au développement des énergies renouvelables ou à l’élevage de bèches de mer, qui sont des technologies adaptées à l’environnement océanien et aux populations. Mais il se pourrait bien que les véritables enjeux soient ailleurs. Ceux relatifs à la gestion des ressources marines et particulièrement celles du sous-sol. Océania 21 était l’occasion de présenter la création du Parc de la Mer de Corail, officialisé par un arrêté le 24 avril 2014, qui prévoit explicitement l’exploration et l’exploitation de ces ressources.

Dans le Pacifique, grâce aux immenses espaces océaniques, le potentiel est gigantesque et aiguise des appétits. Des multinationales se positionnent déjà pour explorer puis exploiter ces ressources marines: qu’il s’agisse de gisements de pétrole, de gaz, des sulfures hydrothermaux ou des nodules polymétalliques. Mais les impacts environnementaux seront considérables, si l’on en croit une étude récente du CNRS et de l’IFREMER. En ce qui concerne l’exploitation des nodules polymétalliques, quelle que soit la technique utilisée, le ratissage, le système de bennes ou l’utilisation de jet d’air ou d’eau aura un impact majeur : la destruction durable de l’habitat et de la faune sur plusieurs milliers de km2. Autre impact attendu : la mise en suspension de nuages de particules fines, pouvant contenir des éléments toxiques qui affecteront les organismes vivants, en particulier leur alimentation sur des espaces de plusieurs dizaines de km autour des zones d’exploitation. En ce qui concerne l’exploitation des croûtes cobaltifères, il convient d’ajouter la pollution liée aux techniques de lixiviation. De plus, le rejet des déchets miniers entraine inévitablement une hausse de la turbidité, et des modifications chimiques et physiques considérables des colonnes d’eau. Si on prend en compte les impacts prévisibles de telles exploitations, et que ces ressources ne sont pas renouvelables, on est en droit de s’interroger sur leur compatibilité avec les principes même du développement durable.

Océania 21 se déclare politiquement indépendante, mais en y associant Global Ocean Commission, qui est une émanation de Pew Charitable Trusts, deux super ONG américaines qui agissent sur l’ensemble de la planète, l’est-elle idéologiquement ? Parmi les membres de Global Océan Commission on trouve  un ancien ministre des finances, un ancien ministre du développement, de l’industrie, du commerce extérieur, le président d’un groupe international d’investissement, un ancien directeur général de l’organisation mondial du commerce, un ancien chef de cabinet de la Maison Blanche…tout un aéropage qu’on peut supposer proche des milieux d’affaires et de la haute finance internationale. Ces deux organisations militent officiellement pour la création d’immenses Aires Marines Protégées. Elles sont particulièrement actives en matière de surpêche ou de pollution marine, mais elles ne semblent pas réfractaires à des projets d’exploitation offshore et d’extraction de minerais du sous-sol marin. Elles pourraient bien avoir d’autres intentions que celles de la préservation des océans et du développement durable et s’intéresser aussi à la défense d’intérêts commerciaux et géostratégiques.

Que ces ONG portent les intérêts de la haute finance et des milieux d’affaire, c’est fort probable. Elles ne peuvent, par contre, prétendre être représentatives de la société civile ou des populations locales. Si on a recours à elles pour obtenir des fonds, elles exigeront, sous une forme ou une autre, un retour sur investissement conséquent. Ceux-là mêmes qui se présentent aujourd’hui sous le masque de fervents défenseurs du développement durable, semblent proches de ceux qui se sont employés, pendant des années à exploiter les forêts tropicales, vider les océans de leurs poissons, retourner des montagnes pour en tirer des minerais, épuiser les sols…Après s’être accaparé de tout ce qui était exploitable à terre, ils poursuivent leur conquête de l’Ouest et se tournent vers un nouvel Eldorado, les ressources des fonds marins. Comment peut-on raisonnablement leur confier ou même les associer à la gestion de nos ressources ?

Dans le même temps, les associations régionales qui portent depuis longtemps avec peu de moyens des projets respectueux de l’environnement et des hommes, brillent par leur absence. Elles ne sont visiblement pas les bienvenues pour apporter leur expérience. Elles pourraient troubler la fête et gripper les négociations à venir sur la gestion des Aires Marines dites Protégées. ? L’arrêté de création du Parc naturel marin de la Mer de Corail a été pris en l’absence de dossier scientifique et technique argumenté, et de consultation du public. Va-t-on, comme jadis au meilleurs temps des colonies, brader le patrimoine naturel sans informer ni consulter le public ? Est-il prévu d’intégrer la société civile, via les associations qui en sont une émanation, au sein d’organismes en gestation, comme « le Parlement des Mers » ? Quelle place, les autorités réservent-elles à la société civile des pays insulaires pour défendre les intérêts de leurs populations ?