Demande de classement de l’Île des Pins, parc naturel (1948)

piscine naturelle

La piscine naturelle de île des pins

Lettre de M. Sarlin demandant en 1948, le classement de l’Île des Pins, parc naturel

(Extrait)
« La Nouvelle-Calédonie n’est certes pas dénuée de beautés touristiques. Chaque région a son cachet propre. Pour le saisir il faut cependant y mettre le prix. De longues randonnées sur la route, des chevauchées dans les crêtes, et même des marches à pied sont nécessaires pour connaître la Grande Terre sous tous ses aspects.
Une aussi grande diversité se rencontre comme en raccourci à l’Ile des Pins ; Ascension du Pic N’Ga ; Tour de l’île ; Visite des grottes ; Pêche en mer ; Chasse sous-marine ; Excursion en forêt ; Chasse ; Voile ; Etude de mœurs indigènes sont les activités les plus classiques offertes chaque jour au touriste. Il y a peu d’endroits dans le Pacifique offrant de telles possibilités.
Le Pic N’Ga domine largement le pays de ses 226 mètres. La route d’accès, actuellement impraticable par les voitures, permet d’atteindre le sommet en une demi-heure de marche dans un maquis de terrain minier parsemé de pierres vertes.
Toute l’île est visible. Faisant suite aux pentes serpentineuses du pic, la surface très plate du plateau central est recouverte de fougères, vertes, rousses ou argentées. Selon la saison, elle est piquetée d’orchidées rouges. Des nappes d’eau envahies par les joncs, entourés de niaoulis en font une petite plaine des Lacs.
Plus loin le corail montre la masse sombre de ses taillis touffus. Au-delà du rideau de pins colonnaires, de nombreux îlots boisés et les récifs se frangent d’écume. Dans l’air vif du sommet, on voudrait mettre un nom sur chaque baie, chaque pointe, on souhaiterait qu’un artiste ait gravé sur la pierre une miniature du paysage. Une table d’orientation serait la bienvenue.
Ce ne sont pas les routes qui manquent. La circulaire a 40 km. Une transversale peut servir de raccourci, à travers le plateau si curieux : Des bifurcations vont rejoindre les baies : celle des Corbeilles, celle de Ouaméo avec ses kilomètres de sable parfaitement blanc. Il y a même, dans la forêt de Ouaméo, un véritable réseau de chemins bien empierrés entre les murettes de pierres sèches ; les mimosas en ont pris possession.
L’eau est partout dans ce pays sans rivière. Elle coule sous la terre rouge, s’attarde dans quelques marais et disparaît sous le corail. Elle a creusé sous ces récifs émergés des grottes magnifiques. Il y en a cinq au moins, toutes près de la route : deux à Ouaémo, les autres à Wapan, Watchia, et Omagni. Elles peuvent faire le bonheur des artistes, des naturalistes et des sportifs. Signalons aux visiteurs que les magnifiques stalactites de leurs voûtes ne sont pas un jeu de massacre destiné à exercer l’adresse de quelques lanceurs de cailloux.
Les forêts du bord de mer sont remplies de chants d’oiseaux d’autant plus bruyants qu’ils sont minuscules. L’île pourrait s’appeler l’Iles des Oiseaux. Mouettes et goélands ne s’éloignent guère de la mer. La buse de mer chasse sur le récif, le long-bec sur le rivage, bécassines, courlis et martins pêcheurs près de la côte. Les banians sont visités par des notous, colliers blancs, pigeons verts. Il y a aussi des poules sauvages, des buses, des grives, et même des canards.
La faune marine est encore plus extraordinaire…Les becs de cannes fréquentent les herbiers des hauts fonds de sable. Les baies abritées sont vives en mulets, loches, brèmes et picots, et aussi en requins. Des langoustes viennent sur le récif, et les plateaux de corail sont peuplés de tortues…Toutes les pêches sont possibles ; On peut tremper sa ligne sans quitter le bord, ou aller affronter les poissons dans leur élément, en chasse sous-marine.
Les amateurs de voile s’intéressent à la manœuvre des pirogues à balancier. Les embarcations élégantes peuvent affronter la Havannah ou la Sarcelle ; certaines préfèreront naviguer sur l’eau calme et claire du lagon. Les personnes soucieuses de leur confort objecteront l’organisation rudimentaire, le manque de logements, la difficulté des transports et du ravitaillement ;
En fait, on ne va guère à l’Ile des Pins qu’en bateau, cela résout bien des problèmes. Camper n’est pas désagréable non plus. Espérons aussi avoir bientôt des avions familiaux capables de franchir la distance ; Kuto n’est pas plus éloigné de Nouméa que Moindou.
Tout bien considéré, aucune ressource naturelle de l’île n’est importante. La plus grande richesse de l’Ile des Pins est sa beauté. Il est vrai que la beauté s’exploite aussi, et se transforme en argent. Quel sera le mode d’utilisation de ces valeurs naturelles ? Peu importe. Nous devons simplement les conserver intactes, comme des choses dont on est fier.
Les paysages n’y sont pas grandioses, mais à échelle humaine. A ce titre, l’ile des pins mériterait d’être classée Parc national, et aménagée pour le plaisir du public. »
                                    SARLIN

Arrêté n° 931 du 7 juillet 1950 portant constitution d’une réserve naturelle à la « Montagne des Sources », instituant l’Ile des Pins Parc National et créant trois réserves botaniques en Nouvelle-Calédonie. (Extrait)
Article 3 : L’Ile des Pins est instituée Parc National, dans sa totalité à l’exception de la presqu’île de Oro.
Article 4 : La presqu’île de Oro, limitée par la mer, et à l’isthme par le sentier joignant Oro à Upi, est classée réserve naturelle intégrale...
La Délibération n° 108 parue au JONC du 2 juin 1980, définissant les aires de protection de l’environnement et classant les zones déjà protégées en Nouvelle-Calédonie abroge les articles 3 et 4 de l’Arrêté 931 du 7 juillet 1950.
Dans une interview accordée à la revue « Terre Passion », Nicolas Hulot, à l’occasion de son séjour en Nouvelle-Calédonie, déclare à propos d’Oro : « Ces lieux, gardés intacts, peuvent servir d’attraction, mais on s’y rendra avec une certaine éthique, une certaine attitude. Il y a des symboles comme ça, je pense qui si on touche à Oro, c’est comme si on touchait à l’Okavango… »