Qui n’a rêvé d’un jardin tropical agrémenté de fougères arborescentes évoquant l’Océanie authentique et le Gondwana ? Comment ne pas céder à la tentation, quand des jardineries locales proposent à leurs clients des fougères arborescentes à des prix attractifs ? En effet, depuis quelques semaines, CYATHEA Cooperi, une fougère arborescente d’origine australienne est commercialisée sur le Territoire. Elle ressemble à s’y méprendre à nos fougères endémiques. Elle est très décorative, et ses caractéristiques culturales permettent de la proposer à un prix raisonnable. Malheureusement, cette plante esthétique présente aussi des inconvénients majeurs : ses spores sont envahissantes, sa multiplication est facile, sa croissance rapide et ceci en fait une plante difficilement contrôlable et permet de la classer parmi les plantes envahissantes, donc dangereuses.
L’apparition de cette plante sur le Territoire pourrait passer pour un non évènement, un fait divers anodin, si elle n’allongeait pas la liste déjà conséquente des espèces exogènes introduites de façon « sauvage » et si elle ne représentait pas, une menace pour les espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie, précisément à cause de sa propension à proliférer.
Localement, nous avons pourtant l’expérience d’introductions de plantes envahissantes, véritables « pestes végétales ». Les exemples ne manquent pas :
- la sensitive géante qui a envahi nos plaines et collines,
- le lantana, échappé des jardins,
- le goyavier qui colonise les pâturages,
- les « langues de belle-mère » qui envahissent les îlots,
- les pinus qui mitent des réserves botaniques,
- le miconia qui gagne sur la forêt dans les Hauts de Robinson
- etc…
Toutes espèces qui concurrencent les espèces endémiques et finissent par les « étouffer ».
En matière de faune, les introductions malheureuses font autant de ravages :
- la tique qui ruine l’élevage,
- le merle des Molluques,sensé initialement combattre la tique,
- l’escargot qui ravage les plantations,
- la fourmi électrique, dont les dégâts sont considérables sur la faune et la flore, qui a fait son apparition au Parc de la Rivière Bleue depuis les travaux récemment engagés,
- l’écrevisse et la tortue de Floride, dangereux prédateurs relâchés dans nos rivières,
- le Bulbul nuisible aux espèces locales d’oiseaux.
- etc...
On pourrait citer aussi le cerf ou le cochon sauvage qui mettent à mal les écosystèmes forestiers et même les virus qui sont une menace permanente pour l’environnement et la santé, le bunchy top qui affecte les bananiers est dans toutes les mémoires.
La principale richesse de la Nouvelle-Calédonie n’est peut-être pas le nickel comme on veut nous le faire croire mais bien son exceptionnelle biodiversité, avec un total de 15 000 espèces de faune et de flore recensées, 3250 plantes à fleur identifiées dont 79 % sont endémiques, 13 araucarias sur 19 connus dans le monde. La Nouvelle-Calédonie est classée par Myers (1988) et Bouchet (1995), parmi les 10 « hot spots » au monde, pour sa biodiversité mais se trouve aussi être l’une des régions du globe, où cette biodiversité se trouve la plus menacée. Certaines espèces sont très localisées, n’existant parfois qu’à quelques exemplaires comme le palmier du sud ou le Pittosporum de l’Ilot Leprédour.
La Nouvelle-Calédonie compte 13 espèces de cyatheacea, dont 11 sont endémiques. La cyathea novae- caledonia peut atteindre 30 mètres Personne n’empêche de tenter leur culture et leur commercialisation en qualité de plante ornementale. Au plan mondial, l’introduction d’espèces exogènes dans des milieux fragiles représente l’une des principales menaces pour la biodiversité. Avec la mondialisation des échanges, aucun pays n’échappe à ce phénomène, y compris les régions insulaires éloignées.
A Tahiti, par exemple, le Miconia a été introduit en 1937 au Jardin botanique de Papeari, il a gagné les régions humides de montagnes, puis d’autres îles. Récemment, il a fait son apparition dans les îles les plus reculées, à Rurutu aux Australes et à Rapa qui est l’un des trois principaux centres de la biodiversité en Polynésie pour arriver jusqu’à Hawaï où il est considéré aujourd’hui comme une « peste végétale ». Il fait l’objet de campagnes de prévention, d’opérations d’arrachage, de programmes scientifiques pour enrayer sa propagation avec des dépenses à la charge de la collectivité.
L’envahissement de la Méditerranée depuis 1984, par l’algue Caulerpa taxifolia avec les dégâts qu’elle occasionne est un autre exemple mondialement connu, qui devrait nous inciter à la plus grande vigilance. Le rejet des eaux de ballast dans le lagon par les minéraliers ou d’autres navires venant de l’étranger est une pratique potentiellement dangereuse, avec le risque d’introduire des organismes marins qui peuvent nuire à l’équilibre de notre écosystème. De même, le grattage des parties immergées d’un navire ou d’un yacht venant d’ailleurs devrait être proscrit dans nos eaux.
En 1996, des experts réunis en Norvège ont déclaré que l’introduction d’espèces exogènes constitue la première menace pour la biodiversité, avant même la perte d’habitat. Certains pays, comme la Nouvelle Zélande ou l’Australie ont engagé des opérations d’éradication d’espèces indésirables, moyennant toutefois des moyens importants. Le coût de ce fléau, pour les Etats-Unis est évalué à plus de 100 milliards de dollars.
En Nouvelle-Calédonie, de nombreuses espèces ont été introduites pour satisfaire des intérêts économiques particuliers, sans la moindre précaution et sans étude d’impact préalable et se sont révélées des catastrophes écologiques. Elles se traduisent par une régression des espèces endémiques et à terme un minage du patrimoine génétique local. L’introduction récente de Cyathéa cooperi, qui fait l’objet dans l’île de la Réunion de campagnes d’éradication est un exemple supplémentaire.
La mise en danger du patrimoine naturel calédonien et la prise en charge des coûts de réparation par la collectivité, donc du contribuable, si l’éradication est nécessaire, ne sont plus tolérables. Compte tenu des enjeux, écologiques mais aussi économiques, les conflits de compétence entre Services administratifs quant aux introductions d’espèces de faune et de flore ne sont plus de mise. Une approche pluridisciplinaire et une coordination des actions sont nécessaires pour éviter toute introduction d’espèces présentant non seulement des risques sanitaires mais aussi écologiques. Un contrôle rigoureux avec une réglementation appropriée s’impose et toute infraction doit être réprimée. Des campagnes d’information sont à organiser en direction du public.
Dans la Convention de Rio sur la biodiversité, signée par la France en 1992 on lit la déclaration suivante :
« Lorsqu’il existe une menace de réduction sensible ou de perte de la diversité biologique, l’absence de certitudes scientifiques totales ne doit pas être invoquée comme raison pour différer les mesures qui permettraient d’en éviter le danger ou d’en atténuer les effets…Les pays signataires s’engagent en outre à « empêcher d’introduire, à contrôler ou éradiquer les espèces exotiques qui menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces… »
Nous ne demandons, somme toute, que l’application pleine et entière de cette Convention en Nouvelle-Calédonie. Dans l’immédiat, quel sort la Direction des Ressources Naturelles chargée de l’environnement, réserve-t-elle à Cyathéa Cooperi ? Va-t-on continuer à autoriser son importation ? Cette espèce va-t-elle être « naturalisée » en Nouvelle-Calédonie ? Peut-elle faire l’objet localement de culture et de commerce ? Un inventaire des zones potentiellement contaminées va-t-il être effectué pour prévenir toute propagation dans des zones sensibles ? Quelles mesures ce Service compte-t-il prendre pour éviter à l’avenir, l’introduction d’espèces potentiellement dangereuses pour la nature calédonienne
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