Sur la forme, nous déplorons une fois de plus, que l’enquête publique relative à la centrale thermique au charbon de Doniambo ne dure que 15 jours. Ce laps de temps ne permet pas de prendre connaissance du dossier ( 4 volumineux classeurs) de façon satisfaisante, d’étudier la somme des informations mises à la disposition du public ni de réagir comme il le conviendrait, c’est-à-dire pour des associations, consulter leurs adhérents et formuler une argumentation pertinente après concertation.
De plus les conditions de consultation notamment les horaires ne facilitent pas la participation du public, qui devrait pourtant être l’objectif de la procédure. Nous demandons donc la prolongation de l’enquête publique d’au moins 15 jours supplémentaires et la mise en ligne du dossier pour qu’il puisse être consulté par internet, ou sous forme numérique.
Sur le fond :
1. La localisation :
L’usine de Doniambo date d’une centaine d’années et se trouvait à l’origine en périphérie de la ville. L’agglomération de Nouméa s’est depuis considérablement étendue et englobe aujourd’hui le site. Il n’est un secret pour personne que l’usine et la centrale thermique qui l’accompagne, émettent de grosses quantités de poussière et de fumée qui impactent les quartiers résidentiels à proximité immédiate comme la Vallée du Tir, Montravel ou Ducos et même plus éloignés, comme Magenta. Même si Doniambo se trouve inscrit au PUD de Nouméa sous la rubrique Installation Industrielle Lourde, compte tenu des effets potentiels des rejets sur la santé et l’environnement, et aussi des risques en cas d’accident, nous considérons que ce site n’est plus approprié pour accueillir les installations d’une industrie lourde nécessairement polluante à proximité immédiate de quartiers résidentiels. Pour permettre à Doniambo de fonctionner, faudra-t-il un jour envisager de déménager Nouméa ?
2. La biosécurité et les risques d’introduction d’espèces dangereuses liés à l’importation massive de charbon.
Le charbon, mais aussi le calcaire ou d’autres substances nécessaires à la centrale thermique seront importés d’Australie, ou d’autres pays d’Asie ou du Pacifique et peuvent contenir quantité d’organismes vivants (scorpions, araignées, fourmis….) encore inconnus en Nouvelle Calédonie, qui risquent de se propager et porter gravement atteinte aux cultures, à l’environnement naturel ou même à notre santé. Compte tenu des quantités de matériaux importés, ( 650 000 tonnes de charbon par an) nous sommes très inquiets des conséquences éventuelles que pourrait avoir l’introduction accidentelle d’espèces nuisibles et nous nous interrogeons sur les moyens de contrôle qui seront mis en place pour prévenir ce risque, et aussi des responsabilités en cas d’incident. La responsabilité et éventuellement la prise en charge des coûts d’éradication sont-elles du ressort de la SLN ou des services phytosanitaires ?
3. Le choix du charbon
Les critères qui ont conduit l’industriel au choix d’une centrale au charbon sont essentiellement la disponibilité, le rendement et la puissance, la facilité de stockage et le coût au Kwh. Un autre argument avancé est que 40,3% de l’électricité produite dans le monde vient du charbon, et que la production de Doniambo serait une goutte d’eau par rapport à cette production. Cet argument n’est toutefois pas recevable si on prend en compte les préconisations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ( GIEC) qui demande l’abandon du charbon et qui affirme que les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser maintenant pour empêcher la déstabilisation définitive du climat. (Source : quatrième rapport du Giec, Résumé à l’intention des décideurs, 2007). Une autre source d’énergie pouvait pourtant être envisagée : le gaz, qui est moins émetteur de CO2, et on ne peut que regretter qu’aucune étude comparative chiffrée n’ait été produite. Si on prend en compte l’ensemble des besoins (Goro Nickel, Doniambo, Koniambo et les besoins de consommation domestique), une telle étude aurait pourtant mérité d’être faite, à l’échelle du Territoire.
L’industriel déclare mettre en œuvre les Meilleures Technologies disponibles et annonce un rendement de 36%. Il semblerait pourtant que les centrales les plus récentes dites centrales thermiques super critiques, dépassent un rendement de 40%, ce qui permettrait une économie de charbon et la réduction du rejet de CO2
Le principal critère est le prix relativement abordable du charbon par rapport à l’envolée du fuel. Toutefois, le charbon, comme le fuel ne sont pas des sources d’énergie intarissables. Les réserves de charbon sont évaluées à 155 ans, et les cours du charbon ne sont pas stables. Ils ont doublé en moins d’un an, passant de 89$ la tonne fin 2007 à 200$ en juillet 2OO8, pour revenir à plus de 16O$ aujourd’hui. Vu le nombre réduit de pays exportateurs et la demande interne de la Chine, certains experts parlent d’ores et déjà de pénurie, avec le risque d’une envolée des cours. Qu’adviendrait-il en cas de chute des cours du nickel et de forte augmentation des cours du charbon ?
L’industriel affirme qu’il utilisera du charbon à faible teneur en soufre, mais il reconnaît aussi que « le pouvoir polluant des cendres, en raison de la diversité du combustible est difficile à prévoir », ce qui laisse planer un doute sur la composition réelle du charbon. Le procédé semble admettre l’utilisation de biomasse. La nature de cette biomasse doit être précisée, en particulier s’il s’agissait de déchets ménagers. Nous rappelons en effet notre ferme opposition à tout projet d’incinération des déchets ménagers.
Le procédé mis en œuvre est dit à lit fluidisé circulant, avec auto désulfuration de calcaire, nécessitant aussi du sable. Quelles sont les quantités de calcaire et de sable requises et d’où va-t-on les faire venir ?
4. Les rejets et leurs impacts sur la santé et l’environnement
La centrale thermique rejettera essentiellement de l’eau (sanitaire, pluviale et du process), des gaz (essentiellement SO2, NO2,CO2, ) des poussières et des cendres.
a) L’eau du process
L’eau du process sera surtout de l’eau de mer traitée par chloration et sulfate de fer. Le débit de l’eau de refroidissement sera de 40425 m3/heure et pourra former un panache thermique qui affecterait plus ou moins fortement les communautés biologiques en fonction de leur position. Il pourra s’étendre jusqu’à la presqu’île de Koumourou. Une étude est en cours pour déterminer les bio indicateurs les plus appropriés pour un réseau de suivi de la qualité des eaux et de l’impact industriel dans la Grande Rade. Même si la zone est déjà fortement impactée par les activités anthropiques, une telle étude nous paraît être un préalable à toute nouvelle installation industrielle parce qu’elle permettrait de faire un point zéro de la situation.
Aucune mesure d’atténuation ne semble envisagée, ni l’hypothèse d’une valorisation de l’eau chaude, qui aurait pourtant mérité d’être étudiée.
Des additifs pour éviter la corrosion, seront utilisés. Leur nature, les quantités et leurs effets éventuels auraient du être précisés. Les eaux de vidange du circuit ayant un PH de 11 subiront un traitement spécifique qui mériterait également d’être précisé, ainsi que le traitement des résidus de la déminéralisation.
b) Les rejets atmosphériques
Ils se présentent essentiellement sous la forme de particules solides, SO2, NO2, composés organiques volatiles ( COV), d’hydrocarbures aromatiques polycycliques ( HAP), de métaux lourds et de CO2.
Le dioxyde de soufre et l’oxyde d’azote sont à l’origine des pluies acides et de l’acidification des sols. Même si ces phénomènes n’ont pas encore été vérifiés en Nouvelle Calédonie et qu’ils n’ont fait l’objet d’aucune étude, nous estimons que des mesures de contrôle et de suivi doivent être mises en place, en particulier dans la zone de Koumourou à l’extrémité de la presqu’île de Ducos où s’étend une forêt sèche particulièrement intéressante et préservée, seul lieu de la presqu’île de Nouméa qui abrite encore des bulimes.
Dans l’ensemble de la zone pouvant être impactée par les rejets atmosphériques de la centrale, des mesures doivent être faites pour contrôler l’acidité des sols, mais aussi la teneur en métaux lourds, sur les parcelles où on pratique des cultures maraîchères.
Les valeurs de concentration moyennes de SO2 et de NO2 annoncées sont inférieures aux valeurs de référence. Nous estimons toutefois que des moyennes annuelles peuvent occulter des périodes de pics plus ou moins longues qui peuvent être très préjudiciables. Elles ne sont pas des indications susceptibles d’engager des mesures préventives ou d’atténuation qui s’imposent dans ces cas. Le SO2 et le NO2 peuvent en outre occasionner une gêne olfactive, que les Nouméens n’auront pas d’autre solution que de supporter.
Les COV et autres HAP, provenant d’une combustion incomplète des hydrocarbures peuvent être irritants, voire cancérigènes, comme le benzène.
c) Les poussières et les métaux lourds
Ils sont reconnus comme pouvant être dangereux pour la santé et confirment notre point de vue sur le caractère inapproprié du site à proximité immédiate d’une ville qui ne cesse de s’étendre. Le mercure pourrait être particulièrement préoccupant. Dans un article paru en 1991, on peut lire qu’une centrale thermique classique de 100Mw émet environ 25 livres de mercures par an. Or une quantité très faible ( 1/70è ) d’une cuillère à café suffit à polluer un étang dans lequel la chaîne alimentaire va reconcentrer le mercure au point que les taux de mercure dans les poissons dépassent les seuils considérés comme sûrs pour la consommation. Ce phénomène peut évidemment toucher aussi les poissons de mer. Est-il prévu un dispositif spécifique de retrait de ce métal ou un contrôle en amont de la teneur en mercure du charbon ? L’assertion « Le risque cancérigène global peut être considéré comme acceptable » est très significative de l’intérêt que le promoteur porte à la santé publique. Aurait-il droit comme l’armée à un pourcentage de pertes ? L’assertion suivante est à peine plus acceptable : « Les risques cumulés liés à l’ensemble des expositions ne sont pas imputables aux émissions de l’installation mais au « bruit de fond de la qualité de l’air de la ville ». Elle tend à exonérer l’industriel de toute responsabilité.
d) Les cendres
Elles sont considérées comme des déchets inertes et leur composition serait difficile à prévoir. Il n’est donc pas exclu qu’elles puissent se révéler toxiques. Il est envisagé de les valoriser dans une cimenterie ou éventuellement de les stocker sur le site, avec la scorie, éventuellement en les mélangeant. L’incertitude sur leur composition, et donc leur caractère potentiellement dangereux ainsi que leur devenir n’est pas recevable. Le stockage sur place reviendrait à considérer le site comme une aire de déchets relevant d’une réglementation spécifique. Les poussières les plus fines inférieures à 2,5 microns qui pénètrent facilement les voies respiratoires et les cendres volantes peuvent voler à des distances supérieures à 100 kms et contaminer la mer, les sols et même les eaux souterraines.
5. Les rejets de CO2 et leur compensation
La centrale thermique de Doniambo s’inscrit dans un programme d’équipement du Pays en centrales thermiques au charbon, avec Prony Energie et Koniambo. Ce choix semble s’imposer compte tenu des exigences des industries métallurgiques en énergie et du coût aujourd’hui relativement abordable du charbon. Il implique toutefois le rejet de quantités très importantes de CO2, principal gaz à effet de serre et donc facteur prépondérant des changements climatiques. La Nouvelle Calédonie se trouve exclue des contraintes inhérentes au Protocole de Kyoto, ce qui lui permet d’envisager un développement sans restriction de l’énergie au charbon. La puissance annoncée de la centrale de Doniambo est de 210 MW, qui génèrerait 1 747 620 tonnes de CO2 par an. Ces émissions s’ajouteront à celles de Prony Energie ( 832 200 t/an) et de Koniambo ( 2 912 700 t /an ) pour atteindre un total de 5 492 520 t / an, qui s’additionneront aux émissions déjà existantes. Les rejets de CO2 pour l’ensemble du Pays s’élèveraient ainsi à 32,5 t / an contre 20 t / an pour les USA et 8,2 t / an pour l’Europe occidentale. Au tarif tutélaire du carbone du centre d’analyse stratégique ( Note n° 1O1 de juin 2008) fixé à 32 Euros la tonne en 2010, le coût de la totalité des émissions de CO2 de la centrale de Doniambo s’élèverait à :1 747 620 x 32 = 55 923 840 Euros par an. Il n’est pas exclu que le Protocole de Kyoto soit un jour révisé et que la Nouvelle Calédonie ne soit plus exemptée de son application. Dans cette hypothèse, l’industriel va-t-il prendre à sa charge ce coût ou celui-ci sera-t-il imputé également aux contribuables ?
Dans le résumé non technique, le paragraphe portant sur les compensations tient en une dizaine de lignes, et quelques propositions de « participer techniquement et financièrement à différentes actions visant la réduction d’émissions polluantes, l’économie d’énergie ou d’intérêt environnemental ». Ces propositions n’ont aucune valeur contractuelle. Les chiffres annoncés en matière de compensation tournent autour de 150 millions Cfp par an. On y propose aussi la création d’une fondation d’entreprise, qui laisserait à l’entreprise le loisir de gérer ces fonds à sa guise, en l’exonérant éventuellement d’impôts. Si on considère l’évaluation du coût des seuls rejets du CO2 : plus de 55 millions d’euros par an, ces proposition, laissées au bon vouloir des industriels sont proprement indécentes.
Les rejets de CO2 doivent donc faire l’objet de compensations en référence avec les tarifs admis par les instances internationales dans le cadre de l’application du Protocole de Kyoto.
Sachant que la consommation des ménages s’élève aujourd’hui à 120 Mw, en période de pic, nous proposons que les compensations de Doniambo, ajoutées à celles de Prony Energie et de Koniambo alimentent un fonds destiné à couvrir la totalité de la consommation des ménages en énergie renouvelable, dans un délai de 15 à 20 ans.
Ce dispositif pourrait comporter des aides directes à l’investissement pour des particuliers ou des sociétés souhaitant produire de l’électricité d’origine renouvelable, solaire, éolienne, houlomotrice, thermique solaire géothermique…et un soutien au rachat de cette production à un prix incitatif, permettant pour un foyer un retour sur investissement n’excédent pas 7 ans. Il est probable que le coût de ce dispositif reste inférieur au coût induit par l’application stricte du Protocole de Kyoto.
Un tel dispositif tendrait à l’autonomie énergétique du Pays pour ce qui concerne la consommation domestique et à une responsabilisation des citoyens, par un recours massif aux énergies renouvelables. Il permettrait aussi de réduire, voire d’annuler à terme, la facture d’électricité des ménages, ce qui constituerait une authentique mesure de lutte contre la vie chère.
Cette compensation pourrait également servir à financer de vastes opérations de reboisement en Nouvelle Calédonie, qui en a bien besoin.
Le CO2 est reconnu comme un puissant facteur d’acidification des océans. A-t-on évalué l’impact d’une telle quantité de rejets et notamment ceux de Doniambo en matière d’acidification du lagon ? Ce choix énergétique est-il compatible avec le classement des récifs au patrimoine UNESCO et l’engagement de la France et de la Nouvelle Calédonie pour leur conservation ?
6. Les risques industriels
La stabilité du sol ne semble pas poser de problème, mais nous considérons que les résultats de « l’étude en cours » devraient être connus avant le début des travaux
Le charbon sera stocké sur une hauteur de plus de 53 mètres, ce qui pourrait constituer une condition favorable au feu. La proximité de la centrale thermique et de l’usine métallurgique est un autre facteur de risque. Que se passerait-il en cas d’accident majeur, compte tenu de la proximité de soufre, de carburant et d’autres sites de stockage de combustibles,( gaz) ? Un effet domino n’est pas totalement à exclure. Les mesures de prévention, d’alerte et d’intervention sont-ils à la hauteur des risques ? La Nouvelle Calédonie ne dispose pas de Centre pour grands brûlés.
Conclusion
La population de Nouméa, en particulier des quartiers voisins de Doniambo n’a pas à supporter les nuisances et les atteintes éventuelles à leur santé découlant de la présence d’industries lourdes à proximité immédiate de leur résidence.
Si les entreprises métallurgiques ont besoin de centrales au charbon, il n’est pas acceptable qu’elles échappent au principe pollueur/payeur. Les effest du CO2 sur les changements climatiques et leurs conséquences sont aujourd’hui établis. Le fait d’externaliser leur coût, sous prétexte que la Nouvelle-Calédonie n’est pas soumise au protocle de Kyoto ou que la réglementation n’impose pas leur prise en compte, n’est pas acceptable.
La Charte constitutionnelle institue le principe pollueur/payeur, qu’il convient de faire appliquer en Nouvelle-Calédonie aussi.
Le changement climatique est bien plus qu’un simple problème technique, financier ou politique, c’est un problème moral vis-à-vis des générations futures. A ce titre une politique visant au développement de l’énergie thermique au charbon n’est plus acceptable. Des compensations visant à développer un programme volontariste des énergies renouvelables et de reboisement créateur d’emplois et de richesse à long terme, rendrait l’énergie thermique au charbon que réclament les usines métallurgiques un peu moins insupportable.
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