Bataille navale autour du parc naturel de la mer de corail : Touché… Coulé ?

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La pieuvre...  un octopodidé

Coquille toujours vide ?

Crédit Thomas Skirde

Suite à un recours contentieux, le 1er octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Paris, a déclaré illégaux les articles 10 et 11 de la Délibération n° 51/CP du 20 avril 2011 relative à la définition des aires protégées dans l’espace maritime de la Nouvelle Calédonie et annulé partiellement l’arrêté n°2018-1987/GNC du 14 août 2018, instaurant les réserves de Chesterfield Bellona, Entrecasteaux, Pétrie et Astrolabe.
Pour « sécuriser le cadre juridique » du Parc Naturel de la Mer de Corail, et ne pas l’exposer à d’éventuelles atteintes du fait d’une réglementation défaillante, le gouvernement a élaboré une nouvelle loi du Pays, relative à la protection des aires marines de la Nouvelle Calédonie, dont il a soumis l’avant- projet au CESE conformément à la procédure en usage. C’est dans ce cadre qu’Action Biosphère, association citoyenne de défense de la nature et membre du Comité de gestion du PNMC sollicitée par le CESE a décidé de répondre favorablement et à présenter ses observations sur l’avant-projet de cette Loi de Pays.


I.    Sur l’exposé des motifs :

Nous ne nous attarderons pas sur l’exposé des motifs qui présente à bien des égards des affirmations surprenantes, qui tendent à discréditer le projet. Contrairement à ce qu’on peut y lire dès le début, indépendamment de son origine géologique et même si elle est un fragment de continent, la Nouvelle Calédonie est bien une île, conformément à la définition du dictionnaire, à savoir : « Etendue de terre ferme émergée de manière durable dans les eaux d’un océan ou d’une mer… »
Un peu plus loin, l’évaluation à un peu plus d’une centaine du nombre de mont sous-marins dans la ZEE est largement sous-estimée. (Gardes et al.(2014) en dénombre 509)

L’affirmation « les monts sous-marins constituent un refuge pour de nombreuses espèces migratrices, comme les baleines à bosse » prête à sourire. Il serait plus approprié de dire que les monts sous-marins semblent être des points d’étapes privilégiés sur les routes migratoires des baleines à bosse.
La création de catégories d’aires protégées telles qu’elles sont proposées par le gouvernement est un point important sur lequel nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement dans nos commentaires sur le projet de loi.

La création d’aires protégées par le gouvernement est prévue après consultation du public. Nous notons toutefois qu’aucune précision n’est donnée sur les modalités de cette consultation et nous nous permettons de rappeler qu’une consultation n’est pas qu’une simple information.

La formulation de l’article 9 sur « le suivi de l’environnement » est impropre et ouvre la voie à des dérives que nous ne cautionnons pas : le suivi de l’environnement, par exemple le comptage d’oiseaux constitue une démarche scientifique qui doit être confiée à des spécialistes. Il est donc incorrect de dissocier les deux : démarche scientifique et suivi de l’environnement  

II.    Sur le projet de loi du Pays

Nous n’aborderons que les aspects environnementaux qui portent sur la définition des aires marines protégées et du régime des aires protégées aux chapitres 1 et 2, à l’exclusion donc des aspects juridiques liés à la police administrative (chapitre 3), aux sanctions pénales, administratives (chapitre 4) ou les contraventions qui exigent des compétences juridiques particulières.
L’article 1 précise les limites géographiques de l’espace maritime concerné par l’application de cette loi. Il correspond aux articles 1 et 2 de la Délibération 51/CP.
L’article 2 précise les finalités des aires protégées susceptibles d’être créées par arrêtés du gouvernement, à savoir : la protection, le maintien ou la restauration de la diversité biologique et des processus écologiques qu’elles comportent ainsi que des ressources naturelles et des valeurs culturelles qui leur sont associées.

1.    Les catégories de classement :

Le même article instaure trois catégories d’aires protégées : les réserves intégrales, les réserves naturelles et les aires de gestion durable des ressources. Elles sont énoncées en l’absence de toute référence ou correspondance aux catégories de l’UICN pourtant universellement admises.
S’agissant d’une loi de Pays, elles auraient à minima dû être accompagnées d’un tableau d’équivalence avec les catégories UICN et celles de la Province Nord et de la PIL. On peut de ce fait s’interroger sur la pertinence des catégories retenues par le gouvernement.
On observera qu’en 2011, le gouvernement avait défini (Délibération 51/CP), quatre catégories d’aires protégées : les réserves intégrales, les réserves naturelles, les aires de gestion durable des ressources et le parc naturel qui contient une ou plusieurs aires relevant des autres catégories. A l’article 13 de cette même délibération, on peut lire « un parc naturel est une aire protégée instituée dans le but de protéger l’intégrité écologique dans un ou plusieurs écosystèmes ».
Qu’il s’agisse d’instaurer des catégories, de créer des réserves, de fixer des limites ou des niveaux de protection, d’énoncer des obligations ou des restrictions dans des aires protégées, les décisions ne peuvent découler de simples appréciations empiriques, aléatoires ou dictées par des intérêts économiques à court terme,
Elles doivent être prises sur la base d’états des lieux scientifiques, état initial, études et de rapports sur l’évaluation des stocks, dynamique des populations… éprouvées et validées, réalisés par des spécialistes reconnus et sans conflit d’intérêt.

2.    Le déclassement du Parc Naturel de la Mer de Corail

Dans le projet de loi 2020, on ne retrouve pas la 4ème catégorie, ce qui a pour conséquence de retirer à la ZEE dans son intégralité le statut d’aire protégée. Ce qui revient à une dé-classification des 1,3 millions de km2 du Parc Naturel de la Mer de Corail qui perd son statut d’aire protégée, une décision confirmée par l’énoncé de l’article 7 : « Un parc naturel regroupant plusieurs aires protégées peut être crée par le gouvernement… ». Le parc naturel n’est donc plus une aire protégée tel qu’énoncé à l’article 13 cité plus haut.
On peut comprendre la difficulté et les coûts pour contrôler une surface telle que celle du PNMC et on est en droit de s’interroger sur la pertinence d’un tel classement d’autant plus s’il ne sert qu’à l’affichage et la promotion publicitaire. L’objection est recevable mais ne suffit pas à justifier le déclassement du PNMC.
Nous considérons qu’il est de notre responsabilité de garantir l’intégrité écologique au moins dans la zone qui concerne la France en y mettant les moyens et par un renforcement de la coopération avec les pays de la région. Le classement n’a évidemment de sens que s’il est accompagné de mesures destinées à en préserver l’intégrité. Certaines seraient peu coûteuses, faciles à appliquer et à contrôler, dans l’ensemble du PNMC, par exemple, la prohibition d’activités hautement impactantes comme la prospection sismique ou des activités extractives.
Même si le niveau de protection du PNMC était faible voire inexistant sur le terrain et équivalait éventuellement à la catégorie VI de l’UICN (« Zone de gestion de ressources protégées »), il avait dans son intégralité un statut d’aire protégée. Son déclassement constitue à nos yeux une régression inacceptable en contradiction avec toutes les manifestations médiatiques et déclarations en matière de protection de la biodiversité et d’urgence écologique des autorités locales et métropolitaines. C’est ce qui nous conduit à exprimer notre ferme opposition à cette décision.

3.    Gouvernance

Dans la délibération 51/CP de 2011, article 5, « le gouvernement est habilité, après avis du comité consultatif de l’environnement à prendre toute mesure relative à la création d’aires marines protégées ». Dans le projet de loi du pays, article 2 « l’arrêté du gouvernement créant une aire protégée précise la catégorie à laquelle elle appartient et en fixe les limites géographiques ». L’avis du comité consultatif n’est donc plus requis.  
Il est difficile dans une loi de pays qui fixe le cadre général d’une réglementation de formuler chacune des mesures ou disposition dans le détail. L’expérience du fonctionnement du comité de gestion depuis une dizaine d’années montre toutefois que la précision des concepts peut éviter de longues tergiversations stériles et vaines. C’est la raison pour laquelle il nous semble important que le législateur fournisse un certain nombre de précisions concernant : le plan de gestion, le comité de gestion, ou la consultation du public. Il conviendrait aussi de définir en préambule les motivations profondes de la création d’aires protégées au sein de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie ainsi que les raisons et les objectifs de chacune des catégories envisagées.
Le plan de gestion par exemple ne peut pas se réduire à un catalogue de bonnes intentions. Il devrait comporter à minima des objectifs opérationnels, la localisation, un calendrier prévisionnel, de mise en œuvre, les acteurs et partenaires, les coûts prévisionnels, les retombées attendues, les indicateurs de réussite…
Le comité de gestion est censé refléter la société civile et à faire remonter l’avis des citoyens pour éclairer les décisions à prendre en matière de gestion sur les questions qui lui sont soumises. Avec l’arrêté de création du Parc de la Mer de Corail du 23 avril 2014, le  gouvernement a instauré au sein du comité de gestion quatre collèges : les institutions, les coutumiers, les acteurs socio-professionnels, la société civile, dans un souci d’équilibre. Cette composition est destinée à permettre la confrontation d’avis divergents, mais ne met pas à l’abri de situations de conflit d’intérêts. L’intention de diversifier l’origine socio-culturelle des membres est louable à condition de ne pas perdre de vue la finalité même d’une aire protégée qui est avant tout la protection de la biodiversité et des écosystèmes. La question des modalités de nomination des membres et de leur légitimité au sein du comité reste toutefois opaque. En ce qui concerne le collège de la société civile, nous considérons que seules les associations locales de défense de l’environnement dûment enregistrées en Nouvelle Calédonie peuvent se prévaloir de représenter la société civile. Les ONG peuvent être présentes mais n’ont pas à se prononcer en lieu et place des associations locales.
La consultation du public est un droit inscrit dans la Charte environnementale du 1er mars 2005 adossée à la Constitution. Elle s’applique donc de droit, mais nous considérons qu’il appartient au législateur (le Congrès) d’en préciser les modalités d’application dans la loi du Pays car elles ne relèvent pas du gouvernement comme énoncé à l’article 2.

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le projet de loi de pays sur la protection des aires marines en Nouvelle Calédonie n’est pas qu’un simple toilettage ou une mise à jour formelle destinée à satisfaire le format juridique imposé. Il tend à mettre en cause l’objet même de la réglementation qu’il est censé remplacer puisqu’il retire au PNMC son statut d’aire marine protégée. Il fait abstraction des références qui devraient servir à en assurer le fondement et traduit manifestement un recul en matière de gouvernance.

ACTION BIOSPHERE,  Le 03 novembre 2020