Le 20 juin 2018 a eu lieu le 6ème Comité de gestion du PNMC. L’ordre du jour portait sur 3 projets d’arrêtés :
- L’arrêté instaurant des réserves à Chesterfield, Bellona, d’Entrecasteaux, Petrie et Astrolabe,
- L’arrêté portant approbation du plan d’action des atolls d’Entrecasteaux
- L’arrêté encadrant les activités touristiques professionnelles dans le parc naturel de la Mer de Corail.
L’enjeu de cette séance était important puisqu’il y va du sort que les autorités du Pays réservent à l’ensemble récifal et aux atolls des Chesterfield et d’Entrecasteaux. Malgré de nombreuses objections, ces arrêtés ont été validés par la totalité des membres du comité de gestion présents, à l’exception d’Action Biosphère.
En l’absence d’une recherche bibliographique sérieuse au sein du comité, nous avions décidé de consulter des experts indépendants et de procéder à des recherches dont nous avons tiré les éléments ci-dessous. Nous considérons que ces informations ont été insuffisamment prises en compte alors qu’elles auraient pu utilement contribuer, en amont à un « diagnostic partagé ».
1.Un milieu exceptionnel, fragile comprenant des espèces patrimoniales, rares, en danger et migratrices.
A. Chesterfield, Bellona :
Il ne reste plus que 3% de récifs coralliens à l’état quasi vierge dont environ un tiers dans la ZEE. L’ensemble récifal des Chesterfield, l’un des plus grands atolls au monde en fait partie. Son isolement, loin des activités humaines a permis, jusqu’à présent, de préserver sa riche biodiversité [P. Borsa et al., Nature vol. 558 (2018) p. 372].
Les coraux des Chesterfield ont été épargnés par le phénomène de blanchissement massif qui a affecté les récifs du monde entier. Les îlots sableux des Chesterfield accueillent les plus grandes colonies d’oiseaux marins du Pacifique ouest tropical. De fait, les composés azotés provenant du guano des oiseaux marins pourraient bien aider les coraux à se maintenir en bonne santé [A. Lorrain et al., Scientific Reports vol. 7 (2017) 3721].
Les îlots du Mouillage et l’Ilot Loop, en particulier, accueillent des colonies importantes de la sterne fuligineuse. Parmi les autres espèces particulièrement vulnérables au dérangement sont les deux frégates (Fregata ariel et F. minor) et le fou brun (Sula leucogaster). Ces deux îlots sont également utilisés par la sterne néréis Sternula nereis pour sa reproduction. Or cette espèce rare est classée comme menacée d’extinction (VU) par le Red List Committee de l’IUCN. Trois des quatre îlots du Mouillage et l’îlot Loop, tous reconnus comme IBAs (Important Bird Areas) selon les critères de BirdLife qui font autorité sur le plan international, ne bénéficient pas du statut de réserve intégrale (RI).
Le V des Chesterfield est une zone de nourrissage de la sterne néréis, menacée d’extinction. Par ailleurs, il héberge une espèce de serpent marin endémique, l’hydrophine de Laboute, (Hydrophis laboutei). C’est le seul site connu pour deux gastéropodes endémiques susceptibles de susciter un intérêt marqué pour les collectionneurs. De plus, on y trouve une petite population du grand dauphin du Pacifique (Tursiops cf. aduncus) et ce site est utilisé par la baleine à bosse Megaptera novaeangliae lors de sa migration annuelle de reproduction. Or la sous-population océanienne de la baleine à bosse est reconnue comme en danger d’extinction sur la liste rouge de l’UICN.
B. D’Entrecasteaux, Pétrie, Astrolabe :
D’après les recensements de O. Robinet et al. [Colonial Waterbirds 20 (1997) 282-290], l’îlot Fabre héberge 14 espèces d’oiseaux dont une importante colonie d’une espèce migratrice, la sterne fuligineuse Onychoprion fuscatus ( 1200 couples nicheurs) ainsi qu’une colonie de noddi noir Anous minutus ( 134 couples), espèce dont on connaît mal la biologie et l’écologie, mais qui est probablement migratrice elle aussi.
L’îlot Huon héberge 13 espèces d’oiseaux dont une importante colonie d’une espèce migratrice, le noddi brun Anous stolidus (2300 à 4600 couples) ainsi que des effectifs sensiblement importants du fou brun Sula leucogaster (400 à 500 couples) et du fou masqué Sula dactylatra (plus de 100 couples)
Tous ces îlots et l’entièreté du V des Chesterfield sont à classer en RI, pour les raisons développées ci-dessus et parce qu’ils sont aussi des sites de nidification pour la tortue verte Chelonia mydas, qui est une espèce en danger, sur la liste rouge de l’UICN. Tout aménagement de sentiers ou d’autres équipements pour les touristes y est donc à proscrire, car les visiteurs, même cantonnés aux chemins balisés, causent le dérangement des oiseaux au nid, ce qui a des conséquences mortelles pour les œufs et les jeunes poussins des espèces les plus fragiles.
2. Avec l’ouverture de ces sites au tourisme : une dégradation inéluctable et programmée
Les projets d’arrêtés qui nous sont soumis sont destinés à autoriser des navires comme le Lapérouse avec 120 mètres de long, 6 ponts, 260 passagers, 110 membres d’équipage, à se rendre dans la zone classée réserve naturelle (RN) des Chesterfield. Les navires de croisière perturberont inévitablement les habitats et la faune des récifs et des lagons. Le dérangement que pourraient causer, par exemple, un zodiac en approche, des visiteurs qui débarquent, et même un seul visiteur s’approchant des colonies suffit à semer la panique chez plusieurs espèces nicheuses, provoquer l’abandon des nids et ainsi compromettre leur reproduction pour toute une saison. En effet, les œufs, tout comme les jeunes poussins sont alors exposés au soleil et meurent de déshydratation. Une étude américaine préconise une distance minimale de 118 mètres pour ne pas déranger les colonies d’oiseaux marins [J. Burger et al., Journal of Wildlife Conservation vol. 74 (2010) pp. 102-108].
L’expérience vécue sur l’îlot Amédée est frappante. Il y a 25 ans encore, cet îlot était le site de reproduction de couples de puffins et pétrels et de plusieurs espèces de sternes, dont la sterne néréis. La guide nature bénévole explique que, malgré la zone interdite à la promenade, pour la première fois, AUCUN oiseau n’est venu nicher. Seul le dérangement répété par les visiteurs permet d’expliquer ce fait. Quelques décennies plus tôt, les îlots du lagon sud abritaient des colonies de frégates et de fous, désormais éteintes. Les îles Chesterfield et d’Entrecasteaux comptent parmi les derniers sites de reproduction accueillant ces espèces, du fait qu’elles y restent préservées par leur éloignement.
NB. La plupart des informations ci-dessus sont tirées de rapports scientifiques accessibles et vérifiables dans la liste de références en fin de ce document.
3. Des dispositions contraires à l’une des finalités principales du parc et la raison même de sa création, ainsi qu’au principe de précaution inscrit dans la Constitution
Le projet d’arrêté instaurant les réserves à Chesterfield, Bellona, Petrie, Astrolabe et d’Entrecasteaux prévoit qu’une partie soit classée en réserve naturelle (RN) et une autre en réserve intégrale (RI) dans la proportion respective de 1.6% et 0.5% de la surface totale du parc.
Ni l’îlot Loop, ni trois des quatre îlots du Mouillage à Chesterfield, ni les îlots Huon et Fabre, ni la plage de l’ile Surprise à d’Entrecasteaux, ne sont placés en réserve intégrale. Ainsi, il ressort des considérations développées plus haut, que seul un classement de l’ensemble de ces sites en Réserve Intégrale est susceptible de garantir la tranquillité nécessaire à la reproduction des oiseaux marins et des tortues qui y nidifient. Les navires de croisière perturberont inévitablement les habitats et la faune des récifs et du lagon, et leurs centaines de passagers y perturberont les colonies d’oiseaux marins jusqu’à mettre en péril la survie de certaines espèces. A plus ou moins long terme, ils dégraderont les conditions de vie de cet écosystème fragile et porteront atteinte à la biodiversité qu’il recèle.
Il apparaît aussi que les dispositions de l’arrêté 1 ne sont pas conformes à la principale finalité du parc qui est de : « PROTÉGER LES ESPÈCES PATRIMONIALES, RARES, EN DANGER ET MIGRATRICES ». C’est l’un des axes principaux du Plan de gestion qui constitue même la raison d’être du parc.
Non seulement les projets d’arrêtés sur Chesterfield et d’Entrecasteaux n’ont pas fait l’objet d’une étude bibliographique, au moment de leur élaboration, alors que la documentation existe, mais ils échappent même à l’avis d’un conseil scientifique, puisque celui-ci, bien que prévu dans les textes, n’a pas encore été constitué.
Si l’organisation de croisières aux Chesterfield et d’Entrecasteaux est soumise à une autorisation administrative, on notera qu’elle ne nécessite par contre aucune étude d’impact comme l’exige toute activité économique susceptible de porter atteinte à l’environnement. Cette lacune dans le projet d’arrêté constitue à nos yeux une entorse grave à l’article 5 de la charte environnementale adossée à la Constitution, à savoir :
« Lorsque la réalisation d’un dommage bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Le risque potentiel d’extinction d’espèce et l’absence d’un état initial qui rend toute évaluation ultérieure aléatoire voire impossible, illustrent bien la non-conformité des arrêtés à l’article 5 de la Charte.
4. Des usages d’un autre temps, auxquels il convient aujourd’hui de tourner le dos
Il y a quelques centaines d’années, la côte Ouest de Nouméa à Koumac était couverte de forêt sclérophylle. Il n’en reste aujourd’hui qu’environ 1% de la surface initiale. Tout le reste a disparu dans le meilleur des cas au profit de pâturages à usage d’élevage extensif, mais aussi de savanes à niaoulis, épisodiquement ravagés par les feux de brousse. Il en est de même pour les forêts humides qui couvraient la quasi-totalité de la chaîne et du sud et dont il ne reste que quelques lambeaux ayant échappé à l’exploitation forestière, la mine le feu ou d’autres activités humaines. On a pillé le santal et quasiment éradiqué le Néocallitropsis Pancherii pour en tirer l’essence.
A une époque beaucoup plus récente, on a estimé qu’il fallait protéger ces espèces et ces écosystèmes et on a pris des mesures de conservation. On a donc d’abord exploité, certains diront « valorisé » ces ressources avant de songer à les mettre en réserve. La logique qui sous-tend ces pratiques n’est plus d’actualité. Les dégradations sont parfois telles que tout retour en arrière est impossible et l’extinction d’une espèce est irréversible. Ces pratiques qui pouvaient peut-être se justifier à une époque où la croissance économique à tout prix était un dogme, il convient résolument aujourd’hui de leur tourner le dos.
Les Chesterfield et d’Entrecasteaux sont dans un état relativement intact et présentent l’avantage d’avoir échappé aux dégradations inhérentes aux activités humaines. Ils doivent donc bénéficier d’un niveau de protection maximal. Les mesures qui consistent à en limiter l’accès ou contrôler les activités sont certes nécessaires mais pas suffisantes pour en garantir l’écosystème et la survie des espèces. Elles sont mêmes, à moyen ou long terme en cas d’augmentation de la fréquentation, la première étape vers des dégradations inéluctables. Quand on s’en apercevra il sera trop tard. Le choix qui consiste à vouloir commencer à classer ces zones partiellement en Réserve naturelle, à suivre leur évolution et selon les constats, les classer finalement en Réserve intégrale n’est pas à la hauteur des enjeux. Les ouvrir au tourisme, c’est contribuer inévitablement à l’érosion de la biodiversité et accentuer la vague d’extinction qui touche l’ensemble de la planète.
5. Un affichage vertueux qui dissimule mal une logique essentiellement mercantile qui échappe à tout contrôle citoyen.
Contrairement à une opinion largement répandue, dans l’esprit des autorités le PNMC n’a pas essentiellement vocation à protéger le milieu marin. Il est avant tout une gigantesque opération de communication destinée à donner de la Nouvelle Calédonie une image séduisante, à « valoriser » les ressources marines et à attirer des investisseurs susceptibles d’y développer dans tous les domaines des activités lucratives qui permettent de réaliser de substantiels bénéfices dans les plus brefs délais.
C’est à cette fin qu’a été créé en 2014 le PNMC sur l’ensemble de la ZEE soient 1,3 millions de km2, pour lui donner une dimension spectaculaire dont l’existence reste toutefois très virtuelle, puisqu’aujourd’hui encore elle ne s’est traduite que par des réalisations complètement insignifiantes. Son utilité, c’est que sur la scène internationale elle permet de faire appel à des financements conséquents auprès de bailleurs de fonds comme la communauté européenne.
C’est aussi à cette fin qu’ont été choisis les membres du comité de gestion, composé dans une large proportion de représentants dociles, de salariés d’ONG internationales comme Pew, WWF, CI et même la SCO aux ordres et très largement acquis aux orientations fixées par les autorités ou de personnes en situation de conflit d’intérêt.
C’est encore à cette fin que sont adoptées des dispositions réglementaires générales, aux apparences strictes, qui laissent toutefois toute latitude aux autorités compétentes pour passer, avec les acteurs économiques des conventions très éloignées des exigences que nécessiteraient une véritable protection des écosystèmes et de la biodiversité. Ces conventions n’étant pas rendues publiques ni juridiquement opposables, échappent à tout contrôle citoyen.
L’appréciation d’un chercheur est sans appel : « Pourquoi ne pas avoir mis la totalité de l’ensemble récifal en réserve intégrale ? Pour permettre à la compagnie du Ponant (ndr : et probablement à d’autres ultérieurement), d’y faire escale et pour que des sociétés locales puissent faire des affaires. Il s’agit d’intérêts privés qui ne devraient pas primer par rapport à la conservation d’un bien public situé au sein d’un Parc ».
6. Notre bilan de la consultation du public et la prise en compte de l’avis des membres du comité de gestion, suite au 7ème comité de gestion du 26 juillet 2018
A. Consultation du public
a) Sur l’arrêté 1 instaurant des réserves à Chesterfield, Bellona, d’Entrecasteaux, Pétrie et Astrolabe.
L’ambiguïté des réponses est liée à une mauvaise formulation des questions. Il ne fait aucun doute que 99% des personnes qui ont répondu, sont favorables à l’instauration de réserves à Chesterfield…La question qu’il fallait poser n’est donc pas : êtes-vous favorables au classement en réserve de ces sites, mais êtes-vous pour un classement en réserve intégrale ou en réserve naturelle ? Une lecture attentive montre qu’une majorité se dégage tendant vers une demande de mise en réserve intégrale, et une opposition à la fréquentation des bateaux de croisières. De ce fait, la synthèse de la direction des Affaires maritimes (DAM) ne reflète pas l’avis des personnes consultées.
b) Sur l’arrêté encadrant les activités touristiques professionnelles
La synthèse réalisée par la DAM montre qu’une majorité émet un avis défavorable (52% contre 48%) sur un total de 61 réponses.
De façon générale, des réponses proposées par la DAM comme « difficile à mettre en œuvre » ou « si l’écosystème le nécessite » ou encore « il est prévu d’aborder cette problématique dans les Groupes de travail », sont des formules lapidaires, parfois inappropriées et qui montrent que les projets d’arrêtés ont un caractère non abouti, puisqu’on renvoie les réponses aux « Groupes de travail » à venir.
B. Prise en compte de l’avis des membres du comité de gestion
Très peu de propositions ont été prises en compte. Certaines ne figurent pas dans la synthèse de la DAM, et restent donc sans réponse, comme par exemple :
- le fait d’annexer aux arrêtés des cartes du SHOM, récentes et à jour
- la demande que les conventions autorisant l’accès des réserves aux visiteurs et la pratique de certaines activités, soient soumises à l’approbation de scientifiques et/ou au Comité de gestion et soient rendues publiques.
Nous observons que le pourcentage de Réserve Intégrale donc dédiée à la protection des ressources naturelles est de 0,5% de la surface du parc, soit une surface ridiculement faible par rapport à celui qui est ouvert à la « valorisation économique » et que dans les Réserves Naturelles 1,6 %, les mesures de protection proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux écologiques.
Quand des ornithologues amateurs se font passer pour des experts tout en ignorant les travaux des chercheurs, quand des salariés d’ONG, liées à des puissances d’argent s’expriment au nom de la société civile, quand des personnes sont appelées à se prononcer dans des domaines où elles sont susceptibles de se trouver en situation de conflit d’intérêt, quand les élus confondent l’intérêt économique et l’intérêt général, et qu’ils entretiennent cette confusion auprès du public pour faire carrière ou à d’autres fins, quand des décisions sont prises dans la précipitation pour satisfaire quelques intérêts privés, au mépris de l’avis de scientifiques et d’un véritable débat contradictoire, il est temps que les citoyens se mobilisent pour faire valoir leurs droits et fassent primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers.
Bibliographie :
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http://umr-entropie.ird.nc/index.php/home/old/les-oiseaux-marins-des-chesterfield-gravement-menaces-par-lindustrie-de-leco-tourisme
https://www.meretmarine.com/fr/content/pinault-officialise-la-reprise-de-ponant
https://www.letelegramme.fr/economie/compagnie-ponant-une-croisiere-anniversaire-et-des-grands-projets-19-04-2018-11932698.php
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