Comme les grands jours de victoire à la coupe du monde de football, la Nouvelle-Calédonie a fêté le 8 juillet la décision du Comité du patrimoine de l’UNESCO d’inscrire six sites du lagon calédonien sur la liste des sites à Valeur Universelle Exceptionnelle.
C’est en effet le résultat d’un travail de dix ans et d’un parcours semé d’embûches et de péripéties diverses, même si ceux qui étaient sous les feux de la rampe au Québec n’étaient pas ceux qui étaient au fourneau, quand nous jetions les bases de ce projet.
Quoi qu’il en soit, le résultat est bien là et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Le terme de « résultat » est d’ailleurs impropre, car l’inscription constitue plutôt le début d’un vaste chantier qui doit conduire le Pays à adopter les mesures indispensables à la conservation des biens classés. En ce qui nous concerne, nous considérons notre objectif atteint, car l’inscription s’accompagne nécessairement d’un suivi et d’un contrôle strict de l’évolution des sites classés : notre lagon se trouve désormais sous le regard attentif d’une instance internationale chargée de veiller à l’application des contraintes inhérentes à l’inscription et qui lancera un signal d’alerte à la moindre altération du bien.
En effet, l’inscription n’est pas un label définitivement acquis. Il peut nous être retiré par l’UNESCO en cas de mauvaise gestion, comme elle l’a déjà fait. Par exemple pour le sanctuaire de l’oryx arabe à Oman, classé en 1994, qui s’est vu retiré de la liste en 2007, à la suite d’une réduction de sa superficie, par le sultanat d’Oman.
Le déclassement menace aussi le site de la vallée d’Elbe à Dresde en Allemagne, en raison d’un pont de 600 mètres en centre ville. D’autres sites classés sont sur la sellette comme la vieille ville d’Istanbul classée en 1985, menacée par un urbanisme anarchique, la ville de St Louis au Sénégal ou l’Ile de Gorée, menacée par la construction d’un hôtel 5 étoiles, ou encore le Pont Pertuis à Bordeaux.
La plupart des sites sont entourés d’une zone tampon. Du 11 au 14 mars 2008, des experts internationaux se sont réunis à Davos, en Suisse, précisément dans le but de clarifier la définition et le rôle des zones tampons. Il en est ressorti que les zones tampons doivent apporter une protection supplémentaire à la Valeur Universelle Exceptionnelle et à l’intégrité du bien. « Les zones tampons sont incluses dans l’engagement que l’Etat partie prend de protéger et de gérer le bien «…les activités menées à l’intérieur des zones tampons peuvent être examinées dans le cadre des processus d’évaluation, de suivi de l’état de conservation… » « Des actions peuvent être engagées bien au-delà des limites d’un bien ou de toute zone tampon et avoir néanmoins une influence majeure sur la valeur universelle du bien…Le concept de zone d’influence pourrait être utile pour décrire une zone plus large dans laquelle peuvent être menées des activités susceptibles d’avoir un impact… »
Nous avons évidemment applaudi des deux mains, quand il a été décidé fin 2007, suite aux recommandations de l’UICN, d’inclure le canal de la Havannah et la Baie de Prony dans la zone tampon du Grand Lagon Sud. Le tuyau de Goro Nickel se trouve de ce fait à l’intérieur de cette zone tampon.
Les experts mandatés par la Province Sud chargés de la contre -expertise sur les rejets de Goro Nickel ont beau affirmer comme on a pu le lire dans les Nouvelles « qu’il n’y a pas d’impact écologique au bout du tuyau… ». Il nous est difficile de croire que 3000 m3/heure à plein régime, rejetés 24 h sur 24, 7 jours sur 7 et pendant quelques dizaines d’années ne génère aucun impact sur le milieu. Il n’est pas sûr non plus que les conclusions des experts suffiront à convaincre les populations du Sud et qu’elles accorderont en « connaissance de cause », aux autorités qui donneront le permis d’exploiter, leur « consentement préalable, éclairés comme le stipule la Déclaration de l’ONU sur les peuples autochtones, que la France a adoptée.
La présence du tuyau et de ses futurs rejets dans la zone tampon constitue donc une sérieuse épine dans le pied de nos autorités, même si celles-ci devaient accorder l’ICPE à l’exploitant.
Que se passera-t-il en effet en 2010, si les experts de l’UNESCO constataient la dégradation inéluctable des coraux et du milieu marin dans la zone du Grand Lagon Sud ? Va-t-on alors fermer l’usine ou allons-nous figurer sur la liste des sites en péril ?
La question est d’autant plus épineuse que nous nous trouvons une fois encore en présence d’un conflit de compétences : Comment demander à Pierre de payer les erreurs de Paul sur la base d’engagements pris par Jacques ? Quelle obligation a la Province, collectivité territoriale de la République, compétente en matière d’environnement à prendre en considération les engagements de la France dans le respect de la Convention du patrimoine mondial, dont elle est l’Etat partie ? La France a déjà annoncé qu’elle ne financerait que le dossier d’inscription. Devrons-nous vendre davantage encore de minerais aux Chinois et aux Coréens, pour faire face aux coûts de protection de nos sites inscrits au patrimoine mondial ?
CODEFSUD –Action Biosphère- Corail Vivant
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