1. Pourquoi un bilan est-il nécessaire ?
a) Un moment charnière :
Nous sommes à un moment charnière de l’activité nickel en Nouvelle-Calédonie :
- les gisements à forte teneur se font rares, ce qui conduit les industriels à recourir au minerai de latérites et donc à remplacer la pyrométallurgie par l’hydro métallurgie. Le coût de l’énergie ne peut qu’accélérer cette tendance.
- Les cours mondiaux du nickel, encore exceptionnellement élevés il y a quelques mois, ont entraîné une prolifération de projets miniers et métallurgiques, encouragés par des conditions très incitatives : ( accès à la ressource à un coût défiant toute concurrence, laxisme de la réglementation, mesures de défiscalisation etc…)
- Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Au moment où la NC s’est lancé dans une grande réflexion pour déterminer ses axes de développement dans les 20/30 prochaines années, il est indispensable de connaître le plus objectivement possible ce que l’activité nickel omniprésente dans le pays lui a réellement apporté.
b) Finalité : un outil de pilotage pour le Pays
En périodes euphoriques où les cours mondiaux du nickel sont élevés, nous avons tendance à considérer cette activité comme un Eldorado avec le plein emploi et des taux de croissance exceptionnellement élevés, oubliant que les bénéfices du nickel sont très inégalement répartis et que cette activité ne génère pas que des bénéfices mais qu’elle induit aussi des coûts qui restent à la charge des collectivités.
De façon plus générale, les finalités d’un tel bilan tendent aussi à :
- mieux apprécier l’indispensable « rééquilibrage » entre les différents secteurs économiques en Nouvelle-Calédonie
- développer une culture de l’étude d’impact d’un projet en intégrant davantage tous les effets co-latéraux qui sont occultés dans les évaluations classiques
- promouvoir le développement d’indicateurs plus adéquats que les valeurs d’exportation pour mesurer le bien-être de la ou plutôt des sociétés calédoniennes (INB ou IDH)
- soutenir in fine la préservation, la restauration et la valorisation durable des services écosystémiques calédoniens, et en particulier ceux produits par le 1/3 ultramafique du territoire ainsi que des zones liées d’un point de vue fonctionnel.
2. Que doit contenir cette étude ?
Ce n’est qu’après avoir fait un bilan complet transparent et sans complaisance qu’on peut jeter les bases de ce que pourrait être une politique minière et métallurgique en Nouvelle-Calédonie. Cette étude doit mettre en évidence ce que l’exploitation du nickel a apporté au Pays, depuis son origine, mais aussi ce que cette activité lui a coûté :
- quels sont les acteurs passés et présents
- l’évolution des pratiques, car le minier a eu plusieurs visages depuis la fin du XIX siècle, ce qui a fait évoluer la nature des impacts
- quel est le coût de la main d’œuvre, des investissements, du fonctionnement
- le montant des bénéfices retirés, les retombées fiscales
- qui a principalement tiré profit de l’activité nickel,
- ce que cette activité a coûté au Pays, sur le plan environnemental, économique, social, culturel, et sanitaire.
Cette étude pourra être faite à l’échelle du Pays, mais aussi à l’échelle des régions minières ( Thio, Kouaoua, Poro, Monéo etc…) qui en subissent les impacts au quotidien et pour une longue durée.
3. Les externalités :
Dans les externalités on peut inclure des mesures évaluables ayant un coût non pris en compte dans le calcul de la production du nickel, comme la réhabilitation de sites dégradés après exploitation, ou des dispositifs nécessaires au fonctionnement de cette activité comme des mesures de défiscalisation, accordées par les collectivités, et qui représentent pour celles-ci un manque à gagner, mais aussi des conséquences non chiffrables comme la perte de biodiversité ou des modifications profondes des structures sociales ou culturelles. Les conséquences non chiffrables sont d’ailleurs à considérer aussi sous l’angle proposé par le Rapport d’étape, Pavan Sukhdev, 2008 sur « L’économie des écosystèmes et de la biodiversité »
a. Sur le plan environnemental
L’exemple le plus emblématique d’externalité est le coût de la réhabilitation des 20000 hectares de mines orphelines recensés par le gouvernement pour un coût de 160 milliards à raison de 8 millions cfp l’hectare, chiffre probablement sous évalué car il ne prend en compte que la « revégétalisation » sans inclure les travaux de gestion des eaux et des pentes.
Mais il faudrait aussi évaluer les centaines de kilomètres de pistes de prospection, ouvertes sur l’ensemble du Pays, à flanc de montagne, dans les endroits les plus reculés sur la Côte oubliée par exemple, d’Unia à Thio…. la pollution des creek, des rivières et du lagon, à cause de l’érosion. Dans les endroits les plus reculés, les creeks sont chargés de particules rouges en cas de fortes précipitations.
Il faudrait chiffrer aussi le coût du dragage des rivières encombrées de boues et de stériles, comme la rivière de Thio ou la Coulée. Il est vrai que l’érosion est aussi imputable aux nombreux feux de brousse qui sévissent régulièrement, mais le feu a fait partie de la panoplie des outils des prospecteurs dans la première moitié du XX° siècle.
Il faudrait prendre en compte les flancs des montagnes, les fonds de vallées où on a déversé des tonnes de stériles, (Poya, Boutana) rendant toute revégétalisation ou utilisation agro pastorale impossible.
Le stockage des stériles ( à Népoui) ou le décapage du couvert végétal ( à Thiébagi )mais aussi dans la région de Goro ont probablement fortement porté atteinte à la flore endémique de ces régions et peut-être mis en danger d’extinction certaines espèces. Ces pertes sont difficilement évaluables, faute d’états des lieux précis.
La situation de Doniambo à faible distance du centre ville en pleine zone urbanisée dispense l’industriel de se préoccuper de la forte teneur des sols en nickel et autres métaux lourds provenant de ses fumées, qui constituerait un handicap rédhibitoire si ces sols étaient destinés à l’agriculture. A qui incombe le coût de dépollution des terres en cas de dépassement avéré en métaux lourds, comme cela a été constaté à Sudbury ?
Les dépenses engagées par les mineurs pour la protection de l’environnement correspondent probablement à ce que la réglementation exige aujourd’hui : merlons, bassins de décantation, ouvrages de contrôle d’écoulement des eaux…Mais à ce jour, rien n’oblige les mineurs à la réhabiliter les sites après exploitation. Leur contribution dépend donc de leur bon vouloir et ne correspond en aucun cas à la réparation et à la revégétalisation des sites impactés.
Les montagnes sont traditionnellement des réservoirs naturels d’eau, qui alimentent les villages. Quand ces montagnes sont décapées, l’eau n’est plus retenue par la végétation et le sol, et ne peuvent donc plus jouer ce rôle.( Ex la mine du Plateau à Thio, peut-être Koniambo demain ? ) Les collectivités sont de ce fait contraintes de chercher de l’eau plus loin, ce qui induit un surcoût parfois très important en matière d’adduction d’eau.
L’activité nickel a été, est et sera encore, un gros consommateur d’énergie, pas seulement pour la métallurgie mais aussi pour le fonctionnement des engins miniers, et donc gros producteur de CO2.
b. Sur le plan économique :
La pyrométallurgie nécessite une forte puissance d’énergie qui a motivé dans les années 50 la construction du barrage de Yaté. Depuis la SLN bénéficie de la quasi-totalité de la production du courant de ce barrage à un tarif très préférentiel, de l’ordre de 3 cfp, alors qu’il est facturé 30 cfp aux particuliers. Il s’agit là ni plus ni moins d’une subvention que la collectivité accorde à la SLN quels que soient les bénéfices réalisés par cette société.
Autre subvention déguisée : la détaxation du charbon et du fuel qui alimente les centrales thermiques nécessaires au fonctionnement de Doniambo. Quel est le montant de ces « subventions » ?
La Nouvelle-Calédonie se trouve aujourd’hui exclue du protocole de Kyoto, mais qu’en sera-t-il demain et a-t-on évalué ce que les rejets de CO2 pourraient coûter au Pays si on lui imposait de payer le prix tutélaire de la tonne de CO2 ?
Les réseaux routiers sont fortement sollicités par les poids lourds miniers qui les empruntent régulièrement, ce qui nécessitent un entretien fréquent et coûteux ( ex : route du Sud, entre Nouméa et Goro, mais aussi RT1 vers le Nord)
Les aides fiscales (double défiscalisation, exonération de taxes douanières, de l’impôt sur les sociétés, de la patente, de la contribution foncière, de la TSS….), très conséquentes, dont bénéficient les opérateurs miniers ( 47 milliards sur 20 ans pour Goro Nickel, 32,5 milliards pour SMSP/Falconbridge, 19,8 milliards pour la laverie de Thiébaghi…)etc sont un manque à gagner pour la collectivité. (Depuis 2002, le secteur du nickel a bénéficié de 99,5 milliards de francs d’aides). Source Rapport de la Chambre Territoriale des comptes)
Le nickel est une activité très fluctuante constituée de brèves périodes d’euphorie (boum) suivi de périodes bien plus longues de récession. Il est difficile dans ces conditions de bâtir un développement cohérent d’un pays (versatilité des rentrées fiscales notamment). Et c’est d’autant plus vrai que cette activité tient une place prépondérante dans le paysage économique du pays. Parce qu’on a laissé faire. Plutôt que de la contenir, on a préféré faire des « coups ».
c. Sur le plan social
Au début du siècle, la population calédonienne était essentiellement rurale et fortement attachée à ses coutumes et traditions. Elles vivaient de façon quasi autarcique. Le développement minier a largement contribué à transformer leur mode de vie. Avec la mécanisation, la mine est devenue un secteur attractif et rémunérateur. Beaucoup ont donc abandonné le travail de la terre pour se tourner vers le salariat qui leur procurait un certain pouvoir d’achat qui leur permettait de se procurer des produits d’importation dans les magasins. Le secteur rural a de ce fait perdu de la main d’œuvre. La mine a « aspiré » une grande partie des personnalités « moteurs » dans les tribus. Même si celles-ci ré-injectent ensuite une partie de l’argent dans la tribu, le développement de projet en tribu devient de plus en plus difficile par manque de porteur, ou de disponibilité de ces porteurs potentiels ( accaparés par leur activité liée au minier ( salariat mine, roulage…)
La production agricole autrefois florissante s’est effondrée au profit des produits d’importation et de la distribution.
En période de crise, les employés de la mine sont mis au chômage et doivent être pris en charge par la collectivité. Le développement minier en périodes favorables attire un flux d’immigrants, ce qui n’est pas sans poser des problèmes, comme l’illustre le débat actuel sur l’emploi local et la citoyenneté.
d. Sur le plan culturel
L’activité salariée prend le pas sur les obligations coutumières, ce qui affecte profondément les réseaux d’échanges traditionnels et les relations coutumières. Dans les années 70, des tribus ont été déstructurées du fait de l’absence de coutumiers travaillant à la mine. Dans la société traditionnelle, la richesse était proportionnelle à la capacité de donner. Avec l’argent, elle s’évalue selon ce qu’on est capable d’acquérir.
L’activité minière peut aussi gravement impacter des sites à haute valeur culturelle comme ce fut le cas récemment à Monéo pour une grotte connue pour ses pétroglyphes.
e. Sur le plan sanitaire
Dans les années 90, un rapport des Amis de la Terre de Nouvelle Zélande a alerté sur l’incidence que pouvait avoir la poussière de nickel sur les cancers. Ce rapport était resté sans suite, du fait que l’étude épidémiologique menée auprès de travailleurs du nickel ne permettait pas de distinguer les cancers dont les causes étaient imputables au tabac et à l’alcool et ceux liés à leurs activités professionnelles. Et pourtant, le nickel est considéré par l’OMS comme une substance hautement toxique, et les taux de cancer et d’asthme en NC sont en constante augmentation. Officiellement rien ne permet d’établir un lien entre ces deux faits. Il est tout a fait invraisemblable qu’en Nouvelle-Calédonie la population semble immunisée contre les effets de cette substance. A ce jour, le Canada fixe à 2 microgrammes/m3 la concentration maximum admissible dans l’air. Où en est-on à Nouméa et dans le Sud ? Il est aujourd’hui établi que les terrains riches en péridotites contiennent aussi de l’amiante. Les travailleurs du nickel se trouvent de ce fait exposés. Les entreprises ont-elles pris toutes les dispositions préventives qui s’imposent ? A-t-on recensé les cas de cancer imputables à l’amiante et évalué les coûts pour la collectivité ?
Le bilan de l’activité minière en Nouvelle-Calédonie doit faire l’objet d’une étude approfondie, interdisciplinaire et indépendante, dont les éléments ci-dessus pourraient constituer la base d’un cahier de charge concerté entre collectivités publiques, coutumiers, associations et organismes de recherche, opérateurs miniers, ce qui en termes de méthode serait une première.
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